Retour sur l’Université d’Automne du Mouvement Européen-France 2025


Université d’Automne du Mouvement Européen – France
7-9 Novembre 2025 à Belfort – Compte rendu des travaux
Jean-Marc DELAGNEAU et Antoine GRANIER

Journée 1
Conférence n°1 – Entre transition écologique et compétitivité : quels défis pour la souveraineté industrielle de l’Europe ?

Intervenants : Christophe Grudler (député européen, commission ITRE), Sylvain Waserman (président de l’ADEME), Éric Oternaud (conseiller régional, Bourgogne–Franche-Comté), Véronique Auger (journaliste, modératrice).
La France dépense chaque année environ 64 milliards d’euros en énergie fossile importée. Cette dépendance alimente non seulement notre déficit commercial, mais renforce également notre vulnérabilité géopolitique vis-à-vis de puissances extérieures (Russie, États-Unis, pétromonarchies). De ce constat découle un impératif : restaurer une souveraineté énergétique et environnementale fondée sur l’investissement local, le soutien à la transition écologique des entreprises et la protection des citoyens contre la volatilité des prix de l’énergie – multipliés par dix durant la crise de 2022.
Chaque euro public investi dans la transition énergétique entraîne, selon l’ADEME, 2,8 euros d’investissement privé. Cette dynamique permet à la fois de stimuler l’emploi local, de soutenir l’innovation et de réindustrialiser les territoires dans une logique de “création destructrice” chère à Schumpeter. Les intervenants ont souligné la nécessité d’associer davantage les TPE et PME aux dispositifs européens, aujourd’hui surtout maîtrisés par les grands groupes.
La transition écologique, ont-ils rappelé, ne doit pas être envisagée comme un dogme mais comme une condition de souveraineté durable. Enfin, ils ont établi un lien direct entre relance économique et recul du populisme : la prospérité retrouvée reste la meilleure garantie de stabilité démocratique.

Journée 2
Atelier 1 A– Que retenir du rapport Draghi ?

Le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne fixe un objectif d’investissement de 800 milliards d’euros, mais la Cour des comptes européenne réactualise les besoins à 1 200 milliards d’euros par an pendant cinq ans, soit 50 % de plus que l’estimation initiale. Cet effort, réparti à hauteur de 20 % pour le secteur public et 80 % pour le privé, représenterait environ 5 % du PIB européen — un niveau jugé soutenable par les experts.
Un nouvel emprunt européen massif pourrait être émis pour soutenir cet effort, bénéficiant de garanties solides et d’un fort attrait pour les investisseurs internationaux. Cependant, plusieurs critiques ont été formulées : le rapport se limite à une compilation de constats économiques, sans véritable dimension sociale ou politique. Il n’aborde pas la question d’une réforme des traités ni du rôle de la Banque centrale européenne. Enfin, les pays dits “frugaux” continuent de bloquer toute initiative d’endettement commun, freinant l’ambition du plan.

Atelier 1B Préparer la campagne des municipales 2026 : Construire un plaidoyer commun.

Dans cet atelier 4 groupes ont été constitués avec chacun 2 thématiques, un groupe a traité les thématiques Culture et Éducation ainsi que Démocratie locale.

a) La thématique Culture et Éducation s’est préoccupée principalement de l’éducation de la jeunesse, tout en incluant une dimension intergénérationnelle implicite dans la plupart des propositions. Les pistes suivantes ont été évoquées :

  • l’utilisation de cartes géographiques pour la présentation des enjeux européens,
  • l’implication des jeunes dans les jumelages et manifestations communales de type commémorations (le 11 novembre par ex.),
  • la réalisation de tables rondes avec des intervenants de type diplomatiques et des exposés d’élèves de terminales dans les lycées,
  • la promotion du plurilinguisme européen avec par ex. à l’occasion de la Journée européenne des langues le 26 septembre, passée souvent sous silence, en impliquant les médiathèques,
  • l’association de la dimension européenne aux Journées du patrimoine en organisant par ex. la visite de biens fiancés par l’UE,
  • la promotion des oeuvres et créations européennes dans les programmations culturelles municipales (spectacles, films, expositions dans les musées ou centres culturels, venue d’artistes européens
  • l’organisation d’une journée ou d’une semaine européenne dans les écoles, les mairies, les médiathèques en associant les associations de jeunesse de la commune…

b) La thématique Démocratie locale a suscité des propositions concrètes pour la campagne :

  • la désignation d’1 élu aux relations européennes au niveau communal ou intercommunal,
  • l’encouragement des dispositifs de participation citoyenne,
  • le soutien des associations d’éducation populaire et autres,
  • l’intégration des jeunes de moins de 35 ans et de citoyens originaires par leur nationalité d’autres pays européens sur des places éligibles dans les listes de candidats à l’élection,
  • la mise en avant des retours de financements européens,
  • l’implication des missions locales qui disposent de fonds européens, fait ignoré de la plupart des citoyens,
  • la promotion du label de ville européenne avec les Jeunes Européens,
  • la signature d’une charte d’engagement européen par les candidats pro-européens,
  • l’organisation d’une journée de formation pour les élus intégrant la communication sur des réussites locales ailleurs,
  • faire vivre la campagne des municipales sous diverses formes selon les possibilités locales et la nature du terrain (débats entre candidats, tractage, micros-trottoirs…) et s’impliquer particulièrement dans la ruralité, en formulant un plaidoyer pour l’Europe et non des attaques à l’adresse des anti-européens.

Atelier 2 A – Relations Union européenne – Suisse


Un rappel historique a permis de contextualiser l’état actuel des relations entre l’Union européenne et la Suisse. En 1972, un premier accord de libre-échange avait été signé dans le cadre de l’AELE. En 1992, le refus d’adhésion à l’Espace économique européen — particulièrement marqué dans les cantons germanophones — a mis un coup d’arrêt au mouvement pro-européen suisse.
Deux séries d’accords bilatéraux ont ensuite été conclues en 1999 et 2004, l’une à dominante économique, l’autre plus politique. Depuis plus de vingt ans, aucune avancée significative n’a été enregistrée. En 2021, la Suisse a unilatéralement interrompu les négociations sur un accord-cadre global avec l’UE.
Les accords existants deviennent aujourd’hui obsolètes à mesure que l’Union réforme ses politiques internes. Un “troisième paquet” d’accords est désormais envisagé, visant à moderniser l’ensemble de la relation et à inclure notamment le retour de la Suisse dans le programme Erasmus+.
Le Parlement suisse devrait se prononcer sur ce projet au printemps 2026, avant une probable votation populaire en 2028. Ce processus, qualifié par certains d’“institutionnalisation du cherry picking”, illustre la complexité des relations entre la Confédération helvétique et l’Union.

Atelier 2 C – Découvrir et amender la proposition de résolution sur le futur budget pluriannuel de l’Union européenne

L’actuel cadre financier de 7 ans se termine en 2027 et traditionnellement le prochain projet de budget est proposé par la Commission deux ans auparavant, donc en 2025. La première ébauche du budget 2028-2034 a été formulée en juillet 2025 avec quelques propositions complémentaires en septembre.
Les principaux postes sont la politique agricole européenne, la politique de cohésion, le programme « Horizon Europe » concernant la recherche européenne, le programme Erasmus et l’aide extérieure, dont aussi l’aide à l’Ukraine à laquelle s’ajoutent aussi des aides supplémentaires en dehors de cette enveloppe.
Le projet au niveau des recettes se monte à 1,26% du revenu national brut de l’Union contre 1,15% aujourd’hui. Les états membres ne sont pas très chauds à une grande augmentation, car 70% des recettes viennent des états membres (contribuables nationaux) et 30% de ressources propres (principalement de la taxation). Des débats vifs existent dans certains états membres et pour la 1ère fois il y a eu un débat en France sur la contribution nationale à la demande du Rassemblement national. Il y a dans chaque loi de Finances votée en France un article disant que l’UE viendra prélever la somme due au titre des états membres, c’est une obligation législative. Mais l’augmentation prévue n’est pas suffisante si l’on pense aux dépenses nécessaires en matière de défense. Donc le recours à l’emprunt devient donc une forme récurrente pour la Commission. La Commission propose aussi de nouvelles ressources au niveau de la taxation (droits de douane – l’UE est à l’origine une union douanière-, taxes diverses au titre de la protection de l’environnement comme la taxe carbone aux frontières, la taxe sur les déchets, ou la taxation des grandes entreprises bénéficiant avec l’UE d’un marché intérieur européen de près de 450 millions d’habitants avec un environnement sécurisé des affaires…) mais le volume des ressources propres demeure modeste.
La Commission propose aussi une réforme des procédures de négociation : autrefois il y avait une négociation entre l’UE et les états, puis une négociation entre les états et les régions. Maintenant chaque état va présenter un seul plan qu’il répartira ensuite entre ses régions. Il en résulte une perte d’autonomie des régions qui ne seraient plus en contact direct avec l’UE.
Le Conseil et le Parlement européen examinent pendant 2 ans ces propositions de la Commission. Le consentement du Parlement Européen est à la majorité qualifiée pour les dépenses, mais il faut l’unanimité pour les ressources propres et une ratification par les parlements nationaux pour la contribution versée par les états membres (il y a une inquiétude pour la France dans sa situation actuelle et aussi pour certains états dont les parlements nationaux sont moins enclins à accepter telle quelle la contribution demandée par l’UE.

Le Mouvement européen propose dans sa résolution :

  • Un budget plus important
  • La conditionnalité obligatoire de l’État de Droit pour bénéficier des fonds européens
  • Le recours à l’emprunt pour surmonter les situations de crise
  • Le retour de l’échelon régional dans les négociations et les échanges directs avec l’UE.


Il constate que l’on ne donne pas à l’Europe les moyens d’agir par rapport aux défis auxquels elle est confrontée, alors qu’un des combats permanents du Mouvement européen a été de donner plus d’autonomie à l’UE dans une structure de type fédéral reposant sur les contributions d’états nationaux.


Conférence – Souveraineté numérique : l’Europe a-t-elle déjà manqué le virage de l’intelligence artificielle ?

L’Europe accuse un retard préoccupant sur les États-Unis et la Chine en matière de technologies numériques, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle générative, de la maîtrise des données et des infrastructures. Ainsi l’enjeu de pouvoir constitué par le choix des éléments de langage destinés à actualiser les systèmes d’intelligence artificielle, comme les robots conversationnels, comporte une menace sur la souveraineté des autres états, elle pose la question de la formation des responsables politiques et de l’éducation de chaque citoyen pour éviter les manipulations dans tous les domaines. Au niveau matériel, il faut pour les grands modèles de langage des puces américaines et chinoises qui valent 50 000 Euros pièce, et pour un grand modèle de langage il en faut 15 000 ou 20 000. En Europe pour développer la seule société ayant actuellement un potentiel d’innovation pour tenter de se substituer progressivement dans l’UE aux sociétés américaines (Google, Open AI) ou chinoises (Deep Seek), la société française Mistral AI, il aurait fallu que l’état français dans un premier temps la nationalise au lieu d’y laisser rentrer, y compris dans la gouvernance, des capitaux américains, propose la constitution en partenariat avec les autres pays membres de l’UE et les grandes entreprises européennes dont françaises d’une sorte d’ « Airbus du numérique » avec aussi un consortium d’universités européennes pour travailler sur un modèle de langage européen répondant aux valeurs fondamentales de l’Europe.
Les intervenants ont identifié trois piliers indispensables pour assurer la souveraineté numérique du continent :

  1. Maîtriser les données, de leur collecte à leur usage, tout en garantissant leur protection, en développant les facultés de discernement pour différencier le réel vrai et l’artificiel faux, et en assurant la diffusion des valeurs européennes.
  2. Soutenir les talents et retenir les chercheurs européens, trop souvent attirés par l’étranger.
  3. Développer des infrastructures souveraines dans les secteurs stratégiques du cloud, des semi-conducteurs et de l’intelligence artificielle.


Si les textes législatifs européens (AI Act, Chips Act, Digital Services Act) vont dans la bonne direction, le rythme reste trop lent face à la dynamique mondiale, car l’intelligence artificielle constitue aussi une enjeu géopolitique fondamental. L’Europe doit désormais passer d’une logique de régulation à une logique de production. Les députés européens s’emparent aujourd’hui du principal enjeu démocratique constitué par l’évolution du numérique avec 3 ans de retard.
L’Europe doit s’impliquer dans la production industrielle pour le secteur numérique, avec la fabrication des composants, la réalisation des infrastructures, la conception des programmes d’intelligence artificielle et de robotique, en soutenant l’innovation, la recherche appliquée et les partenariats public-privé. Le virage n’est pas encore perdu, mais le temps presse : sans stratégie industrielle coordonnée, la souveraineté numérique restera un vœu pieux.
Dans une approche humaniste l’Europe doit se rappeler aussi que l’intelligence artificielle reste un outil en veillant à ce que l’être humain demeure au centre des décisions et des organisations, avec un pourcentage obligatoire d’êtres humains dans les administrations à tous les niveaux, européen, national et local.
Souveraineté numérique et souveraineté démocratique étant indissociables, la souveraineté européenne n’existera pas, si l’Europe ne s’occupe pas de la souveraineté numérique.


Conférence – Protéger l’État de droit et nos démocraties : un enjeu de souveraineté ?


L’ancienne députée européenne Gwendoline Delbos-Corfield, rapporteuse sur la situation de l’État de droit en Hongrie, a présenté une analyse approfondie des dérives autoritaires observées dans ce pays. Elle a rappelé que Viktor Orbán fut, à ses débuts, un jeune libéral pro-européen – la Hongrie était même considérée comme un état européen modèle, suite à son entrée dans l’UE- avant d’engager la Hongrie dans un processus de remise en cause progressive de la démocratie et des contre-pouvoirs au bout de 10 ans. Cette expérience sert aujourd’hui de “stress test démocratique” pour l’ensemble de l’Europe. Selon elle, les mécanismes employés en Hongrie pourraient être reproduits dans d’autres États membres, y compris en France – où un pouvoir autoritaire pourrait se mettre en place plus rapidement avec les menaces sur les libertés académiques et associatives, la concentration des médias dans le secteur privé et la grande proportion de contractuels ne bénéficiant pas de la protection du statut de fonctionnaire au sein des services publics- dans un contexte de montée des extrêmes.

Son étude met en évidence deux menaces principales :

  • Le modèle démocratique libéral est désormais attaqué non seulement par la Russie de Vladimir Poutine, la Chine de Xi Jinping et les fondamentalismes religieux, mais aussi par certains réseaux évangélistes américains finançant des campagnes anti-IVG. Ces offensives visent à remettre en cause les droits fondamentaux, notamment ceux des femmes, car contrôler le corps, c’est contrôler la société.
  • S’y ajoute la montée des partis d’extrême droite qui demeurent sur un projet d’origine raciste et antisémite, car il n’y a pas de « normalisation », même si leurs dirigeants font tout au niveau de la communication pour insérer leurs partis dans le système parlementaire démocratique. Il ne faut pas oublier que l’abstention résultant du désintérêt d’un nombre conséquent de citoyens pour la politique donne à ces partis des résultats électoraux relatifs élevés, malgré des résultats réels faibles. Selon les pays la lutte institutionnelle contre les propos anti-démocratiques est très variable, plus importante, par exemple, en Allemagne qu’en France.

La démocratie ne survit que grâce à ses contre-pouvoirs : institutions indépendantes, médias libres, corps intermédiaires et société civile active. Deux recommandations majeures ont été formulées :
1) Fédéraliser la société civile européenne, en favorisant les échanges, les réseaux et les solidarités entre associations, acteurs citoyens et institutions à tous les niveaux de pouvoir — local, régional, national et européen. On peut ainsi s’étonner à l‘échelon européen que les journalistes et juges français aient été absents des réseaux créés par des homologues européens pour soutenir leurs collègues hongrois menacés.
2) Restaurer le sens du politique, au travers du courage et de la vision des grandes figures historiques pro-européennes et démocrates. Il faut s’inquiéter même au Parlement Européen actuel de l’influence importante de l’extrême droite sur les conservateurs du PPE, parti dans lequel il est difficile de reconnaître, par exemple, comme chez les membres de la CDU allemande, l’héritage des illustres constructeurs de l’UE que furent les Chanceliers Adenauer et Kohl. La conférencière a rappelé que les partis qui s’allient avec les extrêmes finissent toujours absorbés : “on préfère toujours l’original à la copie”.

Ces recommandations constituent des enjeux fondamentaux si l’on souhaite que l’État de Droit Européen continue à nous protéger, face aux menaces extérieures comme intérieures, au moment où, par exemple, certains gouvernements d’états membres de l’Union Européenne sont tentés par le non-respect de décisions de la Cour Européenne de Justice. L’État de Droit est aussi un des fondements de la souveraineté européenne.

Conclusion

Cette Université d’Automne a mis en évidence un constat partagé : la souveraineté européenne ne se décrète pas, elle se construit. Énergétique, industrielle, technologique ou démocratique, elle suppose des choix politiques courageux, une meilleure coordination entre les niveaux de gouvernance et un engagement renouvelé de la société civile. Au-delà des divergences, une idée forte s’impose : la souveraineté européenne est la condition même de notre liberté collective.

Journée 3

Nous avons représenté la Normandie à la réunion des sections, puis au CA du Mouvement Européen France, Jean-Marc DELAGNEAU avec le mandat du Président du Mouvement Européen 76 et Antoine GRANIER avec le mandat de la Présidente du Mouvement Européen 14.
Jean-Marc DELAGNEAU a présenté lors du CA au nom du Président Thibaut DROUET la proposition du Bureau du Mouvement Européen 76 d’organiser la prochaine Université d’Automne 2026 à Rouen, en indiquant la préférence pour les journées du jeudi 5 au dimanche 8 novembre 2026. Elle fut accueillie avec un enthousiasme unanime.

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