Le Mouvement européen est né en 1948, juste après la Seconde Guerre mondiale. Le premier objectif de ses créateurs était : “PLUS JAMAIS ÇA !”
Dans nombre d’établissements scolaires de notre académie, la rouennaise Denise Holstein, qui vient de s’éteindre, a témoigné sur la Shoah qu’elle a subie dans sa chair.
Des adhérents du Mouvement européen de Seine-Maritime, enseignants retraités, racontent.
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Chantal Cormont se souvient :
Collège Francis Yard de Buchy, le 21 février 1995
À cette date, Madame Holstein a déjà publié son ouvrage « Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz … » et intervient dans les classes depuis trois ans. Elle a enregistré son histoire sur une cassette audio qu’elle fait écouter aux élèves avant de répondre à leurs questions.
Dans la salle polyvalente du collège ont été rassemblées toutes les classes de troisième pour écouter le témoignage de Denise Holstein sur sa déportation à Auschwitz-Birkenau. Très droite, digne et impassible, elle fait face à son auditoire et soulève ostensiblement sa manche pour montrer son tatouage sur son bras gauche : A 16727, A comme Auschwitz.
L’effet est immédiat et les derniers bavardages cessent. Les élèves ont compris qu’ils vont entendre l’indicible. Pendant une demi-heure, la cassette déroule l’histoire d’une jeune fille juive rouennaise qui doit porter l’étoile jaune et perd brutalement tous ses droits, est séparée à jamais de ses parents à Drancy en mars 1943 et doit survivre dans l’inhumanité d’un camp d’extermination. Les élèves notent quelques chiffres de la comptabilité macabre – elle est la seule survivante des 420 Juifs rouennais arrêtés lors de la rafle du 15 janvier 1943 – des noms de lieu : Auschwitz-Birkenau, Bergen-Belsen, des noms de personnes : Aloïs Brunner, Mengele, du vocabulaire crypté : tri, sélection, « les gosses deviennent du savon », et des anecdotes sur un monde clos perverti par la lutte pour la survie.
À la fin du récit, l’émotion est palpable. Mme Holstein doit intervenir pour amorcer le débat. La première question est sur Anne Franck : était-elle à Auschwitz ? Puis il y a une série de questions personnelles : son devenir après le retour, en voulait-elle aux Allemands ? Pourquoi ne pas avoir voulu enlever son tatouage ? Par ailleurs, la déportation des enfants et les expérimentations médicales interpellent. On veut savoir aussi comment on prend conscience d’être dans un camp d’extermination. À la question sur l’entraide entre les déportées, elle répond « qu’elle ne l’a jamais sentie ». Sur la possibilité de résistance, elle répond que c’était impossible en camp d’extermination. Malgré sa vision pessimiste du genre humain, la grande dame a donné aux élèves, par l’affirmation de sa volonté de survivre, une grande leçon de courage.
Ce qui trouble Denise Holstein, en 1995, est toujours la question de l’antisémitisme. Elle dit que « les antisémites n’ont aucun regret ». Elle dénonce le révisionnisme et le négationnisme qui distillent leur poison. Elle ne peut supporter l’impunité d’Aloïs Brunner réfugié en Syrie.
Après la séance, les collégiens sont encore bouleversés. Ils disent « On ne savait pas ». La découverte de l’antisémitisme est un choc, une aberration pour eux. Quelques filles pleurent. Le message de la passeuse de mémoire a été entendu.
Sa venue à Buchy est relatée dans le Bulletin de Darnétal qui titre « Denise Holstein raconte Auschwitz ».
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Charles Maréchal se souvient :
Professeur d’histoire-géographie, j’ai eu l’occasion de rencontrer Madame Denise Holstein et d’assister à son témoignage au lycée Marcel Sembat à Rouen et au lycée Galilée à Franqueville-Saint-Pierre, dans les années 1990/2000.
Ce fut à deux reprises un témoignage bouleversant car Denise Holstein avait su trouver les mots justes pour désigner “la banalité du mal“: être déportée en pleine jeunesse dans un camp nazi, avec la complicité du gouvernement de Vichy qui avait obligé nos concitoyens d’origine juive à le mentionner sur leur carte d’identité !
N’oublions pas ! En ces temps de retour des folies raciste et identitaire…
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Françoise PASQUIS-DUMONT se souvient :
Les rencontres sont souvent le fruit du hasard, le nœud d’itinéraires divers. C’est ainsi que j’ai rencontré Denise Holstein.
Élève en 6ème au Lycée Camille Saint-Saëns, j’ai une camarade Françoise Bottois, elle devient professeur d’histoire-géographie au Collège Barbey d’Aurevilly de Rouen, qui est situé dans les locaux de l’ancien lycée fréquenté par Denise Holstein. Cette dernière habitait rue Jeanne-d’Arc près de ce lycée.
Nous sommes en 1992. Je suis principale du collège Robespierre de Saint-Étienne du Rouvray, 19 nationalités, Anne Chrétien, une professeur d’histoire-géographie soucieuse de l’ouverture d’esprit de ses élèves de 3e. Quelques articles dans le journal local permettent à Françoise Bottois de me retrouver. Elle a, avec Denise Holstein, organisé un projet : le témoignage, dans des établissements scolaires, de Denise Holstein sur sa vie de déportée.
Denise Holstein engage ses propos et je découvre qu’elle a été libérée de sa situation de déportée, le 15 avril 1945, à Bergen-Belsen en Allemagne. Ce camp est libéré par les Anglais qui, par souci d’hygiène, incendient tout le camp. Constituer le livre des noms de tous les déportés de ce camp a impliqué une participation, des recherches.
Son histoire rejoint celle de ma famille. Ce 15 avril 1945, le frère de ma mère, déporté pour faits de résistance, est déclaré mort à Bergen-Belsen … Arrêté dans l’Eure, il fera partie du dernier convoi parti de Compiègne vers Buchenwald, puis Nordhausen-Dora, et en fin de vie Bergen-Belsen. Un camp que j’ai visité 5 fois et particulièrement le 15 avril 2005 en présence de Simone Veil.
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Pour en savoir plus sur Denise HOLSTEIN
- Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Denise_Holstein
- Biographie de D. Holstein : https://convoi77.org/deporte_bio/holstein-denise/
- Reportage de France3 sur l’Adieu à Denise Holstein : https://www.youtube.com/watch?v=BnqgiUcDUVA
- Le communiqué de l’Elysée : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/11/17/disparition-de-denise-holstein
Pas facile de faire un commentaire devant tant d’horreur. Même Imre Kertesz a pu être sauvé par un acte de solidarité d’un autre déporté.
Sylvaine RD