L’Europe à l’heure numérique, Catherine Morin-Desailly

Intervention de madame Catherine Morin-Desailly

L’Europe et le numérique, deux thèmes qui me sont chers. Le numérique est plus que jamais d’actualité ; en juin 2016 j’ai clôturé une réunion des jeunes européens au CNAM où je parlais du numérique, or aujourd’hui le numérique est plus que jamais en pleine actualité.
Je reprends les propos de Nicolas Mayer-Rossignol, je partage avec lui l’idée que Rouen doit être une Eurocité, Rouen a tous les bons atouts pour y réussir, de plus l’attractivité de la Normandie passe par l’attractivité de ses villes.

Le parlement français fait des propositions de loi, comme le projet de loi contre la haine en ligne ; il est essentiel de préserver la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Je sors d’une réunion où j’étais en lien avec des parlementaires de plusieurs pays pour mettre en place une régulation de l’Internet qui se joue au niveau européen, mais aussi au niveau mondial.

Cette technologie est très jeune, sa puissance de transformation n’en finit pas. La technologie numérique est l’épine dorsale de notre société, ses implications sont économiques, politiques… 57% de la population mondiale est connectée. Il faut toutefois noter que ce chiffre comprend 90% d’habitants de pays membres de l’OCDE. Fin 2012, il existait 1,4 milliards de terminaux, en 2020, ce sont 14 milliards, soit dix fois plus. Il y a une accélération des données en ligne, données de santé, éducation, finance, culture, handicap et solidarité. La crise sanitaire a accentué l’usage de l’Internet. Nous avons connu le Web social avec B&B, puis le «3.0» avec les puces que l’on trouve partout : voitures, machines à laver, objets connectés, on arrive à présent au «4.0» qui concerne la santé, un Web généticien.
Aux États-Unis, Bill Clinton a pris les devants en 2000 sur le plan législatif pour maîtriser le système avant son développement. La Chine et la Russie ont suivi.

Un enjeu stratégique

L’Europe n’est qu’un petit satellite, nous n’avons pas d’acteurs de premier plan. Nous avons perdu notre souveraineté. La stratégie européenne ne se soucie pas de savoir si l’Europe sera composée de consommateurs, de producteurs ou d’acteurs. L’Europe a bien identifié le problème, mais a surtout axé sur les usages du numérique. Les révélations de l’affaire Snowden ont changé la donne. L’affaire Cambridge Analytica où il est avéré que l’on a manipulé les données pour influencer le vote des électeurs en faveur de D. Trump. Le Brexit a aussi largement fait l’objet de manipulations de ce type. Depuis tous les forums mettent en avant leurs qualités de sécurité.
Cédric O, Secrétaire d’État à la Transition numérique, a confié à Microsoft TousAntiCovid. Le Health data Hub a été confié à Microsoft avec nos données de santé, au prétexte que nous n’avons pas de sociétés capables en Europe. On ne fait pas confiance aux entrepreneurs européens.

Cinq axes pour l’Europe

Thierry Breton est très actif dans ce domaine, c’est notre chance. L’Europe est coincée entre le capitalisme de surveillance et le modèle chinois, autoritaire. L’Europe ne doit pas se résigner, elle a un rôle à jouer. Il nous faut retrouver un modèle vertueux, un modèle conforme à nos valeurs. Voici 5 axes

  1. Protection des données (RGPD)
  2. Régulation / offensive du numérique.
  3. Prendre des mesures fiscales. Préférence communautaire. Small business Act. Réguler les plateformes. Digital Services Act. Établir un statut d’hébergeur/éditeur. Il y a une urgence démocratique à régler. Il faut avoir une politique industrielle qui permette d’aider les entreprises européennes qui existent. Favoriser la Greentech.
  4. Peser dans la gouvernance mondiale de l’Internet.
  5. L’appropriation citoyenne est indispensable, les citoyens doivent être aguerris pour peser sur les évolutions culturelles et politiques.

Les américains utilisaient nos données. Avec GAIA-X, le projet de cloud européen franco-allemand, je me réjouis, nous avons l’espoir d’un véritable retour de notre souveraineté. Google abusait de sa position de force pour favoriser ses propres partenaires ; il faut revoir les règles de la concurrence. Il nous faut une directive qui donnera un statut à ces plateformes et évite la manipulation. On a proposé aux plateformes de s’autoréguler, c’est une mauvaise solution, il ne faut pas les laisser décider, cela leur donnerait davantage de pouvoir. Depuis un an les Démocrates américains parlent de démantèlement. La polémique dans l’affaire Breton montre la volonté d’ingérence pour détruire les tentatives de régulation

De nouveaux clivages politiques

Jean Louis Borloo a affirmé qu’il ne faut plus penser en termes de clivage droite / gauche ; il y a deux enjeux importants : 1. Relever le défi climatique. 2. Acquérir notre souveraineté vis-à-vis du numérique.
D’énormes progrès ont été réalisés grâce au numérique, en ce qui concerne la mobilité par exemple. Nous pouvons faire confiance à Thierry Breton. En France nous avons trop longtemps été naïfs. Toutefois nous avons su agir sur le RGPD et sur la culture, les ministres de la culture successifs ont su faire avancer la loi sur les droits d’auteur. Les plateformes reversent une partie des droits aux auteurs sur les textes publiés. Nous avons besoin d’une législation plus stricte. Il reste également à régler le problème du statut des plateformes. Je regrette les pantouflages, notamment les fonctionnaires européens en charge de la concurrence. Lire le livre de Shoshana Zuboff : L’Âge du capitalisme de surveillance.

Questions du public :

Question de M. Legendre : « Comment contrôler les lobbies ? »
Réponse de CMD : la législation est à créer. Difficile de trouver un avocat : ils travaillent tous pour les géants américains.

Question de Gérard Grancher : « Comment inciter nos concitoyens européens à utiliser Qwant plutôt que Google et Libre office plutôt que Microsoft ? »
Réponse de CMD : « Il faut choisir la préférence communautaire, l’État devrait faire de la publicité pour faire connaitre Qwant. Les Américains ont financé tous les développements d’Apple.

Deux questions de Valérie Milaire : « Comment dès la petite enfance sensibiliser à la protection des données ? » et « Comment permettre l’accès au numérique pour tous ? »
Réponse de CMD : « Il faut arriver à une montée en puissance du numérique pour tous. La formation des maîtres a changé, on les forme au numérique désormais. Il a fallu former des formateurs pour que tous les enseignants soient compétents. Pas d’écran avant 3 ans, pas d’Internet avant 6 ans. La Région a fait un effort pour les Mairies n’ont pas toujours les moyens financiers d’équiper toutes les écoles. L’enjeu est important car tout passe par le numérique.

Compte rendu rédigé par Florence Aston le vendredi 4 décembre.

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