Semaine 3 : L’action de l’Europe et la solidarité des Etats durant la crise sanitaire.
Visioconférence du 17 juin 2020 – 18 h
Invitée : Mme Annie Vidal, députée de la Seine Maritime (2ème circonscription, LREM) à l’Assemblée Nationale, membre de la Commission des Lois
Animation : Jean-Marc Delagneau
Synthèse réalisée par : Alain Ropers
Propos d’accueil par Jean Marc Delagneau, qui dresse le cadre de notre mois européen de la santé, invite Mme Annie Vidal à répondre aux questions qui lui sont posées sous la forme d’un entretien à bâtons rompus, et lance la discussion en posant la première question.
Jean-Marc Delagneau.
Même si la santé ne relève pas des compétences de l’Union Européenne, la France a-t-elle été soutenue cependant par l’Union Européenne, voire aussi par des relations bilatérales entre Etats membres, au niveau des exécutifs et des parlements?
Annie Vidal: Merci de votre invitation à cette visioconférence à laquelle je suis honorée de participer. Je commencerai par un point de la situation, en me basant sur les sur les travaux de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.
Nous déplorons environ 170 000 morts du coronavirus en Europe à ce jour.
La majorité des Etats ont établi un contrôle aux frontières.
La Commission Européenne a recommandé une réouverture progressive des frontières à partir du 15 juin, ce qui est en train de se réaliser.
Cette crise aura un impact économique et social énorme dans toute l’Europe, avec une chute importante du PIB dans tous les pays. En France, on s’attend à une chute du PIB de 11%.
Le confinement s’est fait à des niveaux différents selon les Etats. Ces choix ont été dictés, entre autres raisons, par les capacités hospitalières en réanimation.
Dix pays, dont la France ont opté pour un confinement strict. En France, on a commencé à déconfiner le 11 mai, mais le virus circule toujours, et il est important de continuer à respecter les distanciations et les gestes barrières : lavage de mains, pas d’embrassades, etc.
Certains pays comme le Danemark et l’Allemagne, ont opté pour un confinement relatif, c’est à dire un simple appel à rester chez soi.
D’autres pays ont parié sur l’immunité collective et n’ont pas décidé de confinement.
Chaque pays a commencé à prendre des mesures d’urgence, sans prendre forcément le temps de la concertation, mais on a aussi constaté la mise en place assez rapide d’une certaine solidarité entre les Etats, comme des livraisons de masques et de matériels médicaux, la prise en charge de certains patients, notamment dans le Grand Est, sans que l’UE ait été nécessairement force de soutien. La réaction commune au niveau européen, en revanche, bien que réelle, a été un peu tardive, et n’est restée que partielle.
Jean-Marc Delagneau.
Cette solidarité entre Etats s’est elle accompagnée de solidarité interparlementaire ?
Annie Vidal: Directement non, mais oui il y en a eu. Nous avons eu des relations plus denses avec les parlementaires européens, notamment en faisant des points de situation réguliers. Avec Stéphanie Yon-Courtin, nous avons travaillé à mettre plus clairement en valeur l’utilisation des fonds européens, par exemple. L’Europe finance beaucoup de projets et de réalisations y compris dans notre région, mais c’est trop peu su. Il faut continuer à renforcer ces liens entre parlementaires, aussi bien entre les parlements des Etats qu’avec le Parlement Européen.
Jean-Marc Delagneau.
Que peut attendre maintenant la France de l’Union Européenne au niveau financier, économique, environnemental et social pour surmonter les conséquences de cette crise, et aussi affronter dans de meilleures conditions de nouvelles crises éventuelles?
Annie Vidal: On a constaté dès le début de la crise une pénurie d’équipements de protection individuelle, notamment pour les soignants, mais pas de pénurie de molécules médicamenteuses. La France a pu ainsi aider l’Italie en lui fournissant des médicaments. De même, la solidarité des Etats a permis à certains citoyens de regagner leur pays. Il est toujours facile de dire après coup ce qu’il aurait fallu faire. Cette crise est d’une ampleur importante et inattendue. Beaucoup de pays n’étaient pas préparés. Par exemple, les stocks de masques étaient largement insuffisants, car des stocks stratégiques avaient été mis en place, puis détruits, et on a pris de plein fouet notre dépendance face à la Chine.
Un des enseignements qu’on peut en tirer, c’est la mise en place souhaitable de procédures d’anticipation au niveau européen. Il est urgent de restaurer notre indépendance et notre autonomie européenne ainsi que notre capacité d’anticipation sur certains produits. Et ce sera évidemment bien plus facile avec la force de l’UE que Etat par Etat.
La Commission Européenne a déjà fait un certain nombre de propositions dans ce sens. Par exemple la proposition du 26 mars, très concrète, suggère de faire des appels d’offres communs pour l’acquisition de matériel médical, entraînant une meilleure harmonisation et un prix de revient plus intéressant.
André Calentier (participant). Actuellement, la santé reste un domaine réservé aux Etats, et n’est pas une compétence de la Commission Européenne. L’organisation européenne de la santé n’existe pas. Comment l’imaginer demain, alors qu’il y a de grosses diversités des systèmes de prise en charge de la santé?
Annie Vidal : C’est vrai que les systèmes sont très différents, mais la coordination est indispensable. Il convient de faire d’abord un état des lieux très précis, puis de se concerter pour construire une stratégie commune. Personnellement, je pense qu’il faut baser cette stratégie sur le parcours de soins de la personne et non pas sur la structure de soins (hôpitaux, médecine de ville,etc.) qui ne doit venir à mon sens qu’après. C’est un chemin long mais pas impossible.
Jean-Marc Delagneau.
La présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, elle même médecin de formation, formule des propositions pour avancer dans ce domaine, en s’appuyant sur le Traité de Lisbonne qui mentionne, parmi ses objectifs, un niveau élevé de protection sanitaire.
Annie Vidal: L’approche santé n’est pas assez présente eu niveau européen. On peut rebondir positivement sur cette crise et en tirer les leçons.
S’il y a une volonté commune, on peut y arriver. Il est important d’enclencher la dynamique. Si on arrive à se mettre d’accord sur la stratégie, les adaptations législatives suivront dans chaque état.
Jean-Marc Delagneau. Le thème de la santé est évidemment fondamental, mais on ne peut le dissocier des autres aspects, économiques et environnementaux. C’est un tout.
Annie Vidal: Oui, c’est un tout. De bonnes propositions sont faites. Elles visent à définir une directive d’harmonisation des systèmes de santé européens, avec la mise en commun de procédures pour garantir des stocks, une stratégie commune de productions médicales, vaccins, antibiotiques, matériel etc.
Il faut aussi renforcer et soutenir la recherche au niveau européen, harmoniser les pratiques et mutualiser les compétences.
Philippe Thillay. Faut-il aller jusqu’à un transfert de compétences ?
Annie Vidal: Oui, il faut mutualiser et partager les compétences entre acteurs de la santé au niveau européen.
Jean-Marc Delagneau. Quelles décisions la France doit-elle envisager à son tour pour renforcer l’intégration européenne, non seulement au niveau politique et institutionnel, mais aussi au niveau individuel de l’ensemble des citoyens ?
Annie Vidal : Pour une association plus active des citoyens, il faut créer des instances de dialogue sur certains sujets qu’on pourrait partager. Par exemple, le vieillissement de la population. En France, ou 28% de la population a plus de 65 ans, on a beaucoup travaillé sur ce sujet. Parallèlement, d’autres pays travaillent sur le même sujet et on refait plusieurs fois les mêmes travaux. On devrait organiser des partages de réflexions, pour que les travaux des uns bénéficient aux autres et éviter les doublons. Nos apports peuvent faire avancer les choses en même temps dans plusieurs pays. Car quand il y a un décalage l’UE intervient trop tardivement.
Alain Ropers. Pour que le domaine de la santé devienne une compétence de la Commission en tant que telle, est-il nécessaire de recourir à de nouveaux traités ?Annie Vidal: Je ne suis pas assez juriste pour vous répondre. Il est vrai que recourir à de nouveaux traités, c’est une procédure à risques. Mais je vais faire suivre la question.
Alain Ropers. Tout est souvent une question d’argent. Les ressources de l’Europe c’est actuellement environ 1% de PIB de chaque Etat. Ne pensez vous pas qu’il faut largement augmenter ce pourcentage, et que l’UE devrait disposer de ressources propres et d’un budget autonome et significatif ?
Annie Vidal : Je n’y suis pas opposée personnellement.
Jean-Marc Delagneau. Beaucoup de fonctionnaires européens, compétents et bilingues, travaillent ensemble sur bien des sujets essentiels, mais leur action n’est pas médiatisée, et trop peu connue. Ne pensez-vous pas qu’ils pourraient servir de relais ?
Annie Vidal: Oui, il y a un effort de visibilité à faire. Il faut profiter de cette opportunité d’après crise. C’est le moment de mettre sur la table des propositions. Certains sujet sont faciles à traiter ne coûtent pas cher, et sont d’une réelle efficacité sur le terrain.
Jean-Marc Delagneau. Dans le domaine des risques, nous y sommes sensibles ici depuis l’affaire Lubrizol, on constate une absence totale de termes communs aux Européens. Des Alsaciens ont mis en place une sorte de lexique, pour que tout le monde parle de la même chose.
Annie Vidal: C’est vrai aussi dans le domaine de la santé. Il faut mettre en commun les termes, les définitions, les méthodes de calcul, de façon à pouvoir parler de la même chose avec les mêmes mots, et mieux se comprendre.
Dominique Renault (participant). On a la réserve sanitaire en France. Peut-on imaginer quelque chose de semblable au niveau européen, pour mobiliser des moyens et des énergies nécessaires lorsqu’une catastrophe se produit ?
Annie Vidal : Pourtant, au cours de cette crise, il y a eu des transferts de médecins et de professionnels. Mais même en France ça n’a pas été si fluide que ça dans la mobilisation des médecins. Je prends note de ce que vous dites et je relaierai.
Jacques Brifault (participant). La pénurie de masques du départ a été partiellement compensée par la mobilisation des fabricants de tissus qui se sont mis à fabriquer des masques lavables et réutilisables. Mais, aujourd’hui, les entreprises rechignent à acheter ces masques lavables et réutilisables, car elles ont la responsabilité des lavages alors qu’elles ne peuvent pas matériellement les gérer. Il faudrait transférer la responsabilité des lavages sur les épaules des utilisateurs.
Annie Vidal : Je connais cette situation. Les entreprises rencontrent beaucoup de difficultés pour obtenir le logo indiquant le nombre de lavages possibles. Difficultés aussi de faire face aux tests. Pour moi, il est impensable de donner la responsabilité des lavages aux entreprises, et on va essayer de revenir là-dessus. C’est en discussion, mais on constate actuellement un peu de frilosité, je ne sais pas pourquoi. On a voulu une garantie pour les salariés, mais ça pèse un peu trop lourd sur les entreprises.
Jean-Marc Delagneau. Dommage qu’il n’y ait pas de norme européenne en ce qui concerne les masques.
Annie Vidal: Dans la course contre la montre qu’on a connue, ceux qui ont produit des masques ont déjà eu beaucoup de contraintes. S’ils avaient dû en plus obtenir le logo européen, on ne s’en serait pas sorti en termes de timing. Mais les échanges d’expériences devraient finir par aboutir à une norme européenne.
Philippe Thillay. Dans d’autres pays, il y a d’autres pratiques. Il serait bon d’échanger sur ce qu’on fait ailleurs, et comment on le fait. Peut-on s’approprier chez nous en France les bonnes pratiques constatées ailleurs ?
Annie Vidal : C’est ce qu’on appelle le Retex, le retour d’expérience. C’est une bonne chose très utile. Un mouvement comme le vôtre doit pouvoir le faire aussi. Il faut contextualiser les chiffres et les corréler.
Et voir aussi de quoi sont partis les pays. En France, on savait qu’on n’avait pas la capacité en lits de réanimation pour accueillir des vagues de patients en même temps. C’est pourquoi nous avons opté pour le confinement strict. Un pays qui a eu au départ une capacité de réanimation plus importante aura choisi sans doute un confinement plus relatif.
Jean-Marc Delagneau. Les cultures sont différentes et les habitudes sont différentes. Il y a des différences aussi aussi dans les équipements. En Allemagne, il y a des lavabos partout, dans les salles de classes, à côté des tableaux noirs, par exemple.
Annie Vidal: Dans notre culture latine on est tactile. Il va pourtant falloir garder les nouvelles habitudes. La pédagogie sur les bons comportements n’est pas assez développée chez nous. Il y a quelques années, dans les films, la cigarette et l’alcool étaient omniprésents, et de ce fait leur usage semblait naturel, voire encouragé. Maintenant avec la politique de prévention, on ne verrait jamais ça. C’est la prévention qu’il faut continuer à développer.
Dom Renoult. Certaines personnes sont très “à risque”, comme les SDF, les migrants, les personnes en dessous du seuil de pauvreté. Il y a certainement un lien entre le nombre de personnes atteintes par le virus et le niveau économique et culturel des populations.
Annie Vidal: Le confinement pour certaines catégories a été plus difficile à respecter. Il y a des efforts importants à faire pour ces populations.
Jacques Brifault. J’ai assisté récemment à une réunion revente entre chefs d’entreprises, suivie d’un cocktail. J’ai constaté que les distances et le port du masque n’étaient pas vraiment bien respectés.
Cette inconscience fait craindre pour l’avenir, car elle n’est pas seulement le fait des catégories socioprofessionnelles les plus basses.
Annie Vidal: Tout un chacun doit se discipliner. Toutes les réunions sont à risque mais il est difficile de les interdire. Chacun doit avoir conscience de sa responsabilité.
Ça bouscule la manière de vivre à la française, mais il est important de modifier nos pratiques, pour ne pas faire redémarrer l’épidémie.
Jacques Brifault. C’est aux organisateurs de ces cocktails d’informer les participants, comme dans les théâtres ou les salles de conférences où on demande aux gens de couper leurs téléphones.
Jean-Marc Delagneau. Nous arrivons à la fin de cette visioconférence, et nous vous remercions pour votre participation.
Annie Vidal : Merci à vous aussi. J’espère avoir apporté les réponses à vos questions. En conclusion, je voulais vous dire que je suis très heureuse et fière d’avoir porté le texte qui ouvre une nouvelle branche de la Sécurité sociale, la branche autonomie. C’est un pas important vers une vraie politique de l’autonomie. Et c’est à partager au niveau de l’UE.
Philippe Thillay. Merci Madame Vidal. La visioconférence est terminée, mais le débat continue sur notre site internet.
La semaine prochaine, nous recevrons le 24 juin M. Andres Cattaneo, pour traiter de la la géopolitique de la pandémie, puis, le 26 juin Mme Stéphanie Yon-Courtin pour terminer notre mois delà santé avec le parlement européen.
Fin de la visioconférence ,à 19 h 10.
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Régie de la rencontre : Gérard Grancher, puis Philippe Thillay