Visite à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)

Ce compte-rendu de voyage a été rédigé par son organisatrice Estelle YSNEL.

Génèse

Je souhaiterais tout d’abord rappeler que le projet d’assister à une audience de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), initialement prévu au printemps 2020 et porté par Bernard DELADERRIÈRE, Président d’Honneur du ME76, se trouva reporté à plusieurs reprises en raison de la pandémie. Quand les circonstances redevinrent favorables, Bernard repris son projet mais l’explosion du budget, due à l’inflation, le contraignit à y renoncer. La participation à une audience de la Cour de Justice de l’Union Européenne étant exceptionnelle, j’entrepris de reprendre le flambeau sous une autre forme : 2 jours au lieu de 3, transport en covoiturage… Il faut dire que le groupe, initialement conséquent, se réduisit à 8 participants. Ainsi, les 14 et 15 mars derniers, nous partîmes à la découverte de Luxembourg et de certaines institutions européennes.

En route pour l’aventure …

Le 14 mars, pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous ne pûmes assister à la conférence sur la présentation du rôle du Parlement Européen et, plus précisément, de son bureau de liaison. Rappelons que les deux hémicycles, où se tiennent les sessions plénières, se trouvent respectivement à Strasbourg et à Bruxelles. Par conséquent, changement de programme : menés par Dominique LACAILLE, notre guide touristique d’un jour, nous flânâmes, sous la pluie et la neige mêlées, dans la ville haute : Place d’Armes, Place Guillaume II, quartier gouvernemental, Place de la Constitution, Cathédrale Notre Dame, Palais Grand-Ducal, chemin de la corniche avec un bel aperçu de la ville basse, cité judiciaire et ascenseur reliant ville haute et ville basse…

Nous goutâmes à la gastronomie luxembourgeoise dans le restaurant Am Tiirmschen, situé à l’intérieur d’une bâtisse médiévale, en compagnie de Mme Marie MOTCH, Secrétaire Générale du ME Luxembourg et de M. Alain CALMES, membre du ME Luxembourg. Je fis une présentation de notre section puis nous échangeâmes sur nos activités respectives. Le ME Luxembourg, après avoir dressé un rapide portrait historique, culturel, social, économique, administratif et politique de leur pays, nous expliqua leur organisation en une seule section comprenant environ 200 membres répartis sur l’ensemble du Grand-Duché. Une de leurs actions phares est, en partenariat avec le ministère de l’éducation luxembourgeois, la sélection des candidats luxembourgeois désirant intégrer le célèbre Collège de l’Europe de Bruges. Quant à leur mode de fonctionnement, il est sensiblement le même que celui du ME France ou de nos sections locales : partenariats avec les institutions, les élus, certains mécènes ; organisation de conférences, de débats, de séminaires ; sensibilisation des citoyens aux questions européennes ; réflexion sur les élections européennes 2024 … A la demande de Viviane FOLLEZOU, nouvelle Présidente du ME Cabourg, je me fis la porte-parole de cette autre section normande avec laquelle nous collaborons déjà pour le Quiz. Mme Marie MOTCH se souvint très bien de la Charte de l’Amitié signée le 19 mai 2012 entre Nicole MABIRE, Présidente du ME Cabourg, récemment décédée, et Nico BLEY, Président du ME Luxembourg de l’époque et du jumelage entre les villes de Mondorf les Bains et Cabourg. L’ensemble des participants convint qu’il faudrait réitérer l’expérience.

Découverte de la CJUE

Le 15 mars, nous découvrîmes la Cour de Justice de l’Union Européenne grâce à notre guide, M. MAHANDI.

Présentation de l’affaire T-671/19 Qualcomm / Commission

Mme A. NOUVEL de la FLÈCHE, attachée de Presse, nous présent le différend que la CJUE doit trancher.

En 2009, c’est l’apparition des premiers smartphones. Entre 2009 et 2011, Qualcomm, entreprise américaine, a revendu à un prix très bas ses semi-conducteurs aux fabricants de téléphone Apple, Huawei et Samsung pour éliminer l’entreprise concurrente Icera. En 2009, la Commission Européenne, constatant les abus de position dominante de Qualcomm à l’encontre d’Icera, ouvre une procédure formelle d’examen à son encontre. Qualcomm ne fournit pas à la Commission les renseignements demandés.

En 2011, Icera devient une filiale de Nvidia qui la fermera en 2015.

En 2019, la Commission européenne condamne Qualcomm à une amende de 242 millions d’euros pour la violation de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne prohibant l’abus de position dominante entre entreprises. Les amendes sont calculées en fonction de la durée de l’infraction et du chiffre d’affaire annuel de la société en cause. Elle ne peut cependant pas dépasser les 30% des ventes. Elle se base en outre sur les circonstances aggravantes ou atténuantes. La Commission européenne ne perçoit pas l’amende. Celle-ci vient en réduction du budget de l’Union Européenne et en diminution de la contribution de chaque État Membre. La Commission Européenne ayant le droit de se faire assister par un tiers lors du procès. Nvidia décide d’intervenir ; son intérêt étant qu’une solution soit trouvée. Pour chaque affaire portée devant le Tribunal, un mémoire en intervention puis un mémoire de présentation des motivations sont publiés dans le Journal Officiel de l’Union Européenne avec une traduction dans toutes les langues de l’Union.

En janvier 2018, la Commission Européenne inflige à Qualcomm une autre amende de 997 millions d’euros pour avoir à nouveau abusé de sa position dominante entre 2011 et 2016 à l’encontre de Nvidia en payant le fabricant Apple pour qu’il n’achète pas les composants électroniques de Nvidia.

Le 22 juin 2022, le Tribunal donne raison à Qualcomm au motif que la Commission Européenne a commis des irrégularités procédurales affectant la défense de Qualcomm et une erreur manifeste d’appréciation dans le constat d’abus de position dominante. La Commission ne s’est pas pourvue en cassation devant la Cour après le rejet du Tribunal.

Assistance à l’audience de plaidoiries

L’affaire a toujours lieu dans la langue du plaignant, en l’espèce, l’anglais. Le public étant français, nous avons eu un aperçu du travail des interprètes français et anglais dans leur cabine respective.

Qualcomm, la plaignante, commence par contester les dates de l’infraction et le montant de l’amende. Ensuite, la Commission justifie sa décision. Nvidia vient enfin appuyer la Commission. Dans un second temps, le juge rapporteur demande des précisions à chaque partie. Chaque juge en fait de même. Le Président du Tribunal conclut.

Visite guidée des bâtiments et de la bibliothèque

En 1952, création de la Cour de Justice. En 1989, création du Tribunal de l’Union Européenne.
Actuellement environ 2 500 personnes dont 1 200 juristes linguistes travaillent à la Cour de Justice de l’Union Européenne. Les bâtiments ont été conçus par l’architecte français Dominique PERRAULT. La troisième tour de 118 mètres est le bâtiment le plus haut du Duché de Luxembourg. Les premiers bâtiments avaient été dessinés par Conzemius. La structure est essentiellement en verre et acier. Les figures géométriques s’entremêlent. 

Présentation générale de la Cour de Justice

Mme A. ILJIC, référendaire, Cabinet de M. le Juge BONICHOT, nous explique que la Cour de Justice de l’Union Européenne comprend deux juridictions :

    1. Le Tribunal composé de 54 juges, deux par États Membres.
    2. La Cour composée de 27 juges, un par État Membre et de 11 avocats généraux. Certains pays, dont la France, ont un avocat général permanent. Les autres pays sont représentés par un système de rotation. Chaque juge et chaque avocat général travaille avec une équipe rapprochée. Chaque juge est assisté de quatre référendaires. Les référendaires n’assistent pas au délibéré. Ils étudient le dossier. Ils établissent un rapport préalable lu par le juge. Le référendaire rédige ensuite un projet d’arrêt qui est transmis aux autres juges. Le délibéré est à l’oral. Quand le juge sort de délibéré, il restitue les informations au référendaire qui améliore l’arrêt. Les référendaires ne sont pas obligatoirement de la même nationalité que le juge. Ils sont essentiellement français et belges. Ceci s’explique car la langue de travail à la Cour est le français. Les deux services fondamentaux à la Cour sont la direction de la recherche et de la documentation et la direction du multilinguisme. La Cour juge entre 800 et 900 affaires par an. Ce faible chiffre s’explique par l’obligation de traduire chaque affaire dans les 24 langues de l’Union et par la complexité des affaires traitées. Concernant la traduction, les interprètes ne travaillent que l’oral et les traducteurs l’écrit. Il existe des langues pivots et plus de 300 combinaisons possibles. Parfois, il existe plusieurs traductions possibles pour un même mot.

Il est possible de saisir la Cour pour

    • Une question préjudicielle : C’est une procédure de juge à juge n’impliquant pas les parties au litige. Une juridiction nationale a la possibilité ou l’obligation de saisir la Cour lorsqu’une question d’interprétation du droit communautaire se pose. La saisine varie en fonction des pays. Sur les 500 questions posées chaque année, environ 150 le sont par les allemands contre 25 par les français.
    • Un pourvoi en cassation : Le Tribunal statue sur les recours en annulation de décisions rendues par les institutions européennes. En cas de pourvoi, la Cour est compétente. Il peut toutefois arriver qu’une demande en annulation soit portée directement devant la Cour.
    • Un recours en manquement : environ une vingtaine d’affaire en 2020. L’État polonais a ainsi été condamné en manquement lors de la fermeture d’une mine et pour non-respect de l’indépendance de la justice. La Commission Européenne ayant institué une procédure de dialogue en amont avec les États Membres, cela diminue d’autant le nombre d’affaires portées devant la Cour.
    • Un recours en carence : Un État Membre ou une institution peut condamner une institution pour inaction.

Présentation sur le multilinguisme et sur le métier d’interprète

Mme A. PUUSEPP, interprète suédoise nous explique qu’il faut assurer l’interprétation et l’application uniforme du droit de l’Union Européenne. Il y a 27 pays avec leur système juridique propre et 24 langues officielles. Les traducteurs travaillent uniquement l’écrit, les interprètes l’oral. D’où l’importance de la bibliothèque de la Cour.

Les interprètes fonctionnaires peuvent travailler indifféremment à la Cour de Justice de l’Union Européenne, au Parlement Européen, à la Commission Européenne et au Conseil Européen. Le concours de recrutement est commun. Chaque interprète fonctionnaire appartient à une cabine sauf les néerlandais. Les français et les anglais ont 10 interprètes fonctionnaires, la Suède un. Les interprètes ne travaillent jamais seuls. Ils sont minimums deux. Ils interviennent surtout en simultané dans les audiences et toute autre réunion mais ils reçoivent tout de même les plaidoiries la veille. Chaque interprète dispose d’un écran et d’écouteurs. Il y a un système d’interprétation en retour ou en relais ou directe d’où 552 combinaisons possibles permettant de tout couvrir. On peut passer de la langue active aux langues passives.  Chaque interprète travaille maximum 20 ou 30 minutes de suite en simultané. Les interprètes de la cabine française sont sollicités entre 2 et 4 fois par semaine.  En cas de besoin, il est possible de recourir à des interprètes en free-lance.

Témoignages des participants

    • Manuel ROTHE, étudiant Erasmus à la faculté de droit de Rouen, étudiant à Leipzig en Allemagne : C’était un voyage très instructif. Notamment, la visite de la Cour de Justice de l’Union Européenne était le point culminant du voyage. Malheureusement la visite du Parlement Européen n’a pas eu lieu. Peut-être on pourrait lancer le trip plus tôt la prochaine fois. 
    • Alina POZNIAKOVA, étudiante ukrainienne en Master I de Droit International et Européen à la Faculté de Droit de Rouen : C’était un voyage très enrichissant ! J’ai pu découvrir la CJUE, ce qui m’a permis de me faire une idée sur la suite de mes études. On a pu visiter la ville de Luxembourg et goûter ses spécialités. De plus j’ai été accompagnée par des personnes incroyablement intéressantes ! Ce fut un grand plaisir !
    • Kévin SISOUNTHONE, étudiant en Master II Carrières Judiciaires à la Faculté de Droit du Havre : Le voyage au Luxembourg s’est très bien passé. Ce fut très enrichissant par la découverte de la CJUE et de la ville. Cela a été un échange culturel passionnant à vivre.
    • Catherine YSNEL : Voyage aussi bref qu’intense. L’architecture moderne et imposante des bâtiments, les visites et les conférences font prendre conscience, s’il en est besoin, du poids considérable des institutions européennes et du rôle majeur  de l’Europe au sein de notre monde tourmenté. Echanges très riches entre les membres de notre petit groupe intergénérationnel et pluriculturel sans oublier la rencontre chaleureuse avec le ME Luxembourg. Luxembourg, une ville contrastée où l’on a envie de revenir. 
    • Chantal CORMONT : Nous avons eu un échantillon de tous les temps du mois de mars : soleil, vent, pluie, neige. C’était très stimulant. Ce voyage-éclair très réussi, grâce à la réactivité de notre groupe très européen avec un étudiant allemand Erasmus, une étudiante d’origine ukrainienne, et où les juristes étaient bien représentés et l’intérêt d’avoir une visite encadrée de la Cour européenne de justice. L’audience était consacrée aux plaidoiries des avocats dans une affaire opposant la société américaine Qualcomm dominant le marché des puces électroniques en 2011, la société européenne Nvidia ayant racheté la start up évincée par la politique commerciale (présumée déloyale) de Qualcomm et la Commission européenne chargée de contrôler le respect d’une concurrence libre et non faussée sur le territoire européen. En jeu, une amende de 242 millions d’euros. De quoi stimuler l’éloquence !
      Très bien le discours d’Estelle au restaurant pour présenter le Mouvement européen 76 à nos amis du Mouvement européen luxembourgeois. Les différences suscitent des conversations !
    • Dominique LACAILLE : La découverte des lieux est surprenante. L’architecte a sûrement voulu que tout soit droit, comme la justice probablement. En tout cas, comme ce qui fait le fondement de l’activité du lieu. La ligne droite pure, l’angle droit, les formes au carré sont partout. De plus, le noir intense et le blanc immaculé s’amusent à faire contraste à moins qu’ils ne soient complices. Seuls, les drapeaux des états-membre, groupés, forment un bouquet de couleurs. C’est très beau et l’ensemble apparaît pleinement fonctionnel. Il faut descendre en profondeur pour trouver un immense couloir, Que dis-je ! Une avenue sans fin qui dessert toute la construction et toutes les pièces et salles d’audience. Car elles sont nombreuses, ces salles du tribunal ou de la cour elle-même. Faut dire que 27 juges et 11 avocats généraux pour la cour et 54 juges (2 par Etat) et 10 chambres pour le tribunal, ce n’est pas quelconque ! Cette visite a eu l’avantage premier de donner la pleine dimension des lieux et de l’importance de cette institution. Si la population de la ville de Luxembourg est de 133 000 habitants, il convient de noter que les luxembourgeois n’en forment que 30 % et les ressortissants étrangers 70 % provenant de 167 pays étrangers, principalement européens. Certains quartiers de la ville ont un ratio luxembourgeois/ressortissants étrangers de 1 sur 5. Ce sont les français les plus présents suivis par les… portugais. L’employée de l’hôtel en charge du petit-déjeuner m’expliqua qu’avant 1972, les portugais étaient tous clandestins et que maintenant ‘’ça ne les intéresse plus trop de se savoir portugais ou luxembourgeois car ils se sentent, en fait, essentiellement européens !’’. Évoquant l’armada 2023 à Rouen, l’un les membres du Mouvement européen qui nous accueillaient assura spontanément qu’il y aura un bateau de la marine luxembourgeoise ! Manque pas d’humour !
      • Jean-Michel CHEDRU:  Très satisfaisant sur tous les plans.
      • Marie MOTCH, Secrétaire Générale du ME Luxembourg :

      Tout d’abord, un grand grand merci à Estelle pour le dîner du 14 mars. Vous remercierez encore mille fois votre Président ! C’est à titre de revanche !J’espère que votre petit trip à Luxembourg vous a plu !La prochaine fois, il faudra venir par beau temps. Il y a une foule de choses à visiter ! Je suis contente que votre visite à la Cour de Justice se soit déroulée à la perfection ! En ce qui concerne le PE, dommage, je connais de nom cette Dame mais pas personnellement ! Je vais quand même forcer une petite rencontre avec elle ! Je vous souhaite bonne continuation avec le Mouvement européen ! J’ai pu remarquer que vous faites un très bon travail. Oui, au plaisir de nous revoir !

 Estelle YSNEL

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