L’Europe numérique suite rencontre : l’enjeu économique

Mardi 17 novembre, nous avons reçu:
Manuella Portier : directrice des affaires européennes à Cap Digital et Margot de Caminel, chef de projet de “Ai4cities”
Retrouvez-ici le compte rendu  de cette  rencontre

Animation : Charles Maréchal
Régie : Gérard Grancher
Suivi des questions par le Chat : Florence Aston
Prise de notes : Alain Ropers
Ouverture de la session et réglages par Gérard Grancher. Conseils pour utiliser le chat. 23 participants connectés.

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    Propos liminaires par Charles Maréchal

Notre cycle de conférences abordera successivement les principaux enjeux liés au développement du numérique dont la crise sanitaire a révélé, si cela était encore nécessaire, l’importance croissante : l’enjeu économique, l’enjeu éthique, l’enjeu social et l’enjeu géopolitique.
La première conférence est centrée sur l’économie et plus exactement sur l’impact du numérique pour aider à la transformation de l’économie, vers une économie plus vertueuse, centrée sur les objectifs de l’Union Européenne, à savoir la transition énergétique, le développement du numérique et de son indépendance, mais aussi vers une économie mesurée non seulement par le PIB, mais aussi par d’autres indicateurs que le numérique doit aider à définir, incluant par exemple, le bien-être etc.

Nos invitées ce soir sont Manuella Portier, directrice des affaires européennes à Cap Digital, à qui je vais donner la parole pour qu’elle nous présente Cap Digital, son organisation, ses missions, ses réalisations, et Margot de Caminel, chef de projet de « Ai4cities » qui nous présentera plus en détail ce projet de six villes européennes qui se regroupent pour hybrider l’intelligence artificielle et le développement durable.

Leurs interventions nous permettront, je l’espère, de mieux comprendre comment favoriser le développement des nombreuses start-up européennes, à partir de quels projets concrets, comment diminuer l’empreinte carbone et notamment celle du numérique et enfin comment ces expériences sur quelques villes peuvent servir de moteur d’entrainement pour d’autres collectivités territoriales européennes.

Manuella Portier:

Merci beaucoup de votre invitation ce soir. Si aujourd’hui, j’ai plus l’habitude de parler à des startupers ou à des entrepreneurs, il y a quelques années j’ai bien connu les jeunes européens dont les objectifs rejoignent les vôtres et les miens. Je suis contente de pouvoir échanger avec vous ce soir.
Nous sommes une association, un pôle de compétitivité. Nous nous définissons comme le pôle européen de la transition numérique et écologique.

Les pôles de compétitivité, qui rassemblent les énergies sur une thématique ciblée ont été créés en 2004 par le Gouvernement, dans le cadre du lancement d’une nouvelle politique industrielle. Aujourd’hui, le cofinancement des pôles a été transféré aux régions. En France, une cinquantaine de pôles représentent chacun en moyenne environ 200 membres. Cap Digital, ancré sur la région ÎIe-de-France mais aussi sur Lille, est le plus grand cluster en Europe avec environ 1000 membres. Nos structures adhérentes sont principalement (à 85%) des PME et des start-up, mais aussi des grandes entreprises, des établissements de formation, des écoles d’enseignement supérieur, des fonds d’investissement, des collectivités, etc. Nous sommes 40 collaborateurs qui travaillons en partenariat avec des experts, selon les thématiques.

Chaque pôle a sa thématique. La nôtre est de créer du lien entre les différents acteurs cités plus haut, mais aussi avec notre « écosystème », cette communauté qui gravite autour de nous sans forcément adhérer à Cap Digital. Pour ce faire, nous organisons des événements, avec un budget annuel de 6 millions d’euros. Nous sommes des facilitateurs, accompagnant notre communauté mais aussi des acteurs qui n’auraient pas forcément eu l’occasion de se rencontrer en dehors du pôle, pour faire émerger des innovations technologiques puis les développer jusqu’à l’expérimentation. Notre ADN d’origine c’est le numérique, mais ça évolue, car nous voulons utiliser les potentialités du numérique, l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle augmentée, etc. au service d’autres thématiques, comme la ville durable, les questions d’énergie, de mobilité et d’économie circulaire, en vue de favoriser le bien-être en ville, intégrant les questions d’éducation de culture ou de santé.

Nous ne produisons pas directement de service, mais nous sommes en support pour aider nos membres à développer des produits et des services innovants.

Par nos programmes d’open innovation nous aidons des start-up, des villes ou des grandes entreprises à se connecter entre eux. C’est à dire que nous les aidons à définir leurs objectifs, leurs challenges, et à identifier dans l’écosystème les acteurs pouvant les aider avec des challenges similaires ou complémentaires.

Nous proposons aussi des formations entre autres pour familiariser les acteurs aux notions de data, d’intelligence artificielle, de block chain, etc.
Nous faisons aussi un travail de veille technologique et de prospective, pour identifier les grandes tendances sur lesquelles se positionner.

Charles Maréchal :

En résumé, vous faites travailler en synergie des personnes qui, a priori, n’ont rien à voir et vous les mettez en réseau.

Manuella Portier :

Exactement. Nous les mettons en réseau pour les aider à créer des projets de recherche et d’innovation, de recherche et de développement, d’expérimentation de nouveaux prototypes. Mais nous ne voulons laisser personne au bord du chemin, et donc nous accompagnons aussi ceux qui sont encore éloignés du numérique pour les aider à se transformer.

Nous voulons aussi sensibiliser les jeunes générations à la nécessaire évolution très rapide des métiers. Ce sont les mix-up, des ateliers dans lesquels les jeunes peuvent rencontrer les professionnels des métiers de demain et utiliser les outils que nous mettons à leur disposition pour créer sans avoir à acquérir un équipement coûteux.

Un dernier point. Tous les ans depuis dix ans, nous organisons le festival « futur en Seine » gratuit et ouvert à tous, mais qui n’a pas pu avoir lieu cette année. C’est une approche inclusive qui doit permettre aux acteurs économiques mais aussi aux citoyens et même aux enfants de mieux découvrir les nouvelles technologies, grâce à des démonstrations, des conférences, etc.

Nos activités européennes, encouragées par l’État ces dernières années, consistent à aider et à soutenir les acteurs pour déposer des dossiers susceptibles d’obtenir des financements européens. Et nous travaillons en partenariat avec d’autres structures semblables en Europe, pas forcément des pôles, mais centrées sur le numérique et sur d’autres thèmes, comme les médias.
Trois exemples de projets concrets.

Making City. L’objectif est de valider le concept de quartiers à énergie positive comme levier de la transition énergétique urbaine dans deux villes phares «Lighthouse cities» à Groningen aux Pays Bas et à Oulu en Finlande, ainsi que d’aider au développement des plans d’urbanisme dans six villes «Follower cities».

Digicirc. Il s’agit de booster l’économie circulaire grâce aux outils numériques en soutenant des PME très innovantes dans le développement et la mise sur le marché de solutions, produits, process basés sur des chaînes de valeur circulaires dans différents secteurs et différents pays.

Sumity. Le projet consiste à accélérer la transformation numérique et écologique des entreprises dites traditionnelles et des territoires d’Île-de-France et des Hauts-de-France, grâce à l’alliance des plus grandes universités, laboratoires de recherche, grandes entreprises, associations de PME/ETI et collectivités, qui réunissent leurs compétences, leurs moyens techniques, humains et financiers.

Charles Maréchal :

Je rappelle que l’objectif de l’UE c’est d’arriver à la neutralité carbone en 2050 et d’arriver à baisser les émissions de gaz à effet de serre de 50% à l’horizon 2030, pour respecter les accords de Paris de 2015. Ce qui est proposé dans Making City est donc un enjeu stratégique.

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

La croissance bleue, c’est tout ce qui concerne le domaine maritime.
Les villes partenaires de Making City. On peut en retrouver la liste sur le site http://makingcity.eu/city-profiles/ Lighthouse cities : Groningen (Pays Bas) et Oulu (Finlande). Followers cities : Bassano del Grappa (Italie), Kadiköy (Turquie), León (Espagne), Lublin (Pologne), Trenčin (Slovaquie), Vindin (Bulgarie).
Ces exemples peuvent aussi être suivis par des villes qui ne sont pas dans le projet.

Margot de Caminel :

Ai4cities est un projet étalé sur trois ans, de janvier 2020 à décembre 2022. Son objectif est d’aider les villes partenaires engagées dans le projet à atteindre la neutralité carbone à une échéance plus ou moins proche : Copenhague en 2025, Paris en 2050. Le budget total est de 6,6 Millions d’Euros.

Le Consortium est composé des villes suivantes : Amsterdam, Copenhague, Stavanger, Helsinki, Tallin, Paris. Il s’agit de les aider à préciser leurs objectifs, à définir les solutions étape par étape, et à communiquer les résultats. Ensuite, des solutions numériques innovantes et non commercialisées utilisant l’intelligence artificielle leur permettront de réduire leurs émissions de CO2 dans les domaines de la mobilité et de l’énergie grâce à un marché public pré-commercial basé sur des challenges.

Les challenges de mobilité, par exemple, ce sont la mobilité comme un service, la création d’un planning avancé de trafic, la combinaison entre les transports publics et les mobilités douces, l’optimisation et la coordination des transports de marchandises.

Les challenges de l’énergie concernent la qualité thermique des bâtiments neufs, l’isolation et la rénovation des bâtiments existants, la prise de conscience par les citoyens de leur propre consommation d’énergie et leur motivation à la réduire, et l’utilisation optimale des sources d’énergies renouvelables.

Le projet se déroule en phases successives, qui vont de l’étude de marchés, à la recherche des tendances, pour définir les propositions de solutions, créer des prototypes, les tester et enfin les mettre en exploitation. Avec évidement un chiffrage et un budget alloué à chaque phase.

Charles Maréchal :

Merci Margot de Caminel. On rentre ici vraiment dans le vif du sujet et c’est intéressant. Tout ce travail permet de dégager des fonds, aussi bien européens que nationaux, et en plus, il a une valeur d’entraînement pour d’autres villes et d’autres états. San Francisco, par exemple a développé cette stratégie et a entrainé ensuite Los Angeles, dans des pratiques beaucoup plus vertueuses que d’autres villes des États-Unis. Mais aucun cluster n’a la possibilité de changer radicalement les pratiques et les comportements. C’est un travail de longue haleine.

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

Michel Deflin. Le trafic planning de la ville de Paris est-il étudié en coordination avec les villes périphériques ?

Margot de Caminel. L’échelle est la région Île-de-France. Ça dépendra des villes qui voudront être partenaires du projet.

Charles Maréchal. Si on vise 2040 ou 2050 pour Paris, c’est qu’il y a beaucoup de travail à faire. Il y a donc une grosse marge de progression

Philippe Thillay. En Île-de-France, il y a grosso modo 11 millions d’habitants et donc environ 220 000 associations actives qui sont aux côtés des citoyens. On ne parle pas des associations dans ces deux présentations.

Manuella Portier. On travaille beaucoup avec les associations. Les associations, en général, ne sont pas nos membres, mais des partenaires. On s’associe avec elles en fonction des besoins et en fonction des sujets. On travaille aussi avec des fédérations professionnelles.

Michel Deflin. Quelle est la place que vous donnez à l’hydrogène et à partir de quelles sources d’énergie primaire ?

Manuella Portier. On ne s’intéresse pas forcément à la source, mais on favorise les énergies renouvelables. Développer le numérique peut y aider.

Charles Maréchal. L’Hydrogène peut être une énergie propre en soi, mais produite à partir d’énergies non propres, de centrales thermiques, etc.

 Florence Aston. Une remarque de Jean-Marc Delagneau qui voit une approche exclusivement liée au concept de marché, alors que la notion d’économie numérique peut relever aussi d’autres approches.

Manuella Portier. On réfléchit à pousser d’autres modèles, d’autres approches de co-création en mettant le citoyen au centre des préoccupations. Cette coopération n’est pas seulement mercantile mais en termes de développements de compétences. C’est une approche la plus englobante possible. Notre association est indépendante mais évaluée par l’État avec des indicateurs de résultats, notamment économiques.

Philippe Thillay. Cap Digital est un pôle de compétitivité qui a été créé sur un angle très axé sur l’économie et peu transversal, contrairement à ce qui se fait en Allemagne par exemple ou dans d’autres pays européens où on a une approche sensiblement différente.

Charles Maréchal. Il serait intéressant d’utiliser l’intelligence artificielle pour trouver les indicateurs permettant de piloter l’économie de demain et le développement des villes dans une direction plus verte. Ça ne relève pas seulement du marché.

Manuella Portier. On prépare l’appel d’offres pour le projet Ai4cities et on s’interroge sur les critères de choix. Le plus important c’est la réduction du CO2, puis l’utilisation de l’intelligence artificielle, puis l’impact économique, car ça ne servirait à rien de soutenir des structures non viables économiquement. Mais ce changement de paradigme nécessite du temps.

Charles Maréchal. C’est important de définir de nouveaux indicateurs qui permettront de mieux mesurer les choses en tenant compte de bien d’autres facteurs que le PIB.

Florence Aston. Une question de Gérard Grancher. Des laboratoires de recherche universitaire participent-ils au projet de Ai4cities ?

Margot de Carminel. Pas en tant que tel, mais on a sollicité des laboratoires, notamment de la région parisienne, pour mieux définir certains points, certains challenges, et pour mieux comprendre les besoins, etc.

Florence Aston. Une question de Bernard Deladerrière. Sur vos documents j’ai aperçu le logo d’une structure Europe Chine. Quels sont les partenaires, quelles villes sont concernées par ce partenariat ?

Manuella Portier. Je me suis permis de mettre le lien directement dans le chat. Il ne s’agit pas d’une structure mais d’un projet financé dans le cadre d’horizon 20-20, qui s’est terminé l’année dernière, et qui visait à développer une plateforme sur l’urbanisation durable, et à rédiger des recommandations pour la Commission Européenne afin de favoriser la coopération sino-européenne.

Florence Aston. Une question d’Éric Chevalier. Qu’est-ce que l’horizon 20-20 ?

Manuella Portier. C’est un programme cadre de financement de recherche et d’innovation.

Charles Maréchal. L’heure tourne. C’était passionnant. Nous sommes plus intelligents maintenant. Merci d’avoir apporté votre expertise sur cette économie qu’il faut mettre en place et qui est indispensable pour atteindre les objectifs des accords de Paris. Je vous rappelle qu’il y a trois conférences à suivre, sur les thèmes des enjeux Éthique, Social, et Géopolitique.

Philippe Thillay. Merci à nos intervenantes, et à tous ceux qui ont contribué à cette conférence. Notre association, le ME 76, est une force militante dont le rôle est d’animer le débat pour soutenir le projet européen.

Fin de la visioconférence.

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Internet ou un raté français !

Au début des années 60, le Général de Gaulle, en appui sur les outils stratégiques comme le Commissariat au plan, lance le plan Calcul. Un plan qui vise à développer nos capacités mathématiques et informatiques pour, notamment, nous affranchir de la tutelle américaine. Sous la houlette de Maurice Allègre et Louis Pouzin est né le projet Cyclades. Il s’agissait d’augmenter la vitesse de circulation de l’information entre deux points. Cela a engendré le Datagramme, que les Américains ont ensuite développé sous la forme du protocole TCP/IP que nous utilisons tous aujourd’hui sur Internet.

Parallèlement, au CERN à Genève, des chercheurs européens créèrent le Web : Une application permettant d’écrire sur les écrans des ordinateurs et de communiquer l’information.  C’est le protocole htlm.

Ces initiatives ont débouché sur le projet européen Unidata. Un consortium regroupant centres de recherche, universités, entreprises…, avec la perspective de créer une dynamique du type Airbus.

Un projet abandonné:

En 1974, le nouveau Président de la République, Valéry Giscard D’Estaing abandonna le projet. Ambroise Roux, PDG de la Compagnie Générale d’Électricité (CGE), grand fournisseur des PTT, le convainquit de liquider le plan calcul, la filière informatique et par voie de conséquence le projet européen Unidata. Nous eûmes le Minitel tandis que les américains inventèrent le PC. Cherchez l’erreur.

Les Allemands et de nombreux partenaires européens s’en souviennent encore. Les Américains pour leur part, se sont appropriés le Web, ont développé le datagramme et ont créé dans la foulée Internet.

Pour en savoir plus :

L’Europe à l’heure numérique: l’enjeu sociétal

Avec
Philippe Vidal : Géographe, Professeur des Universités,
Vendredi 27 novembre 14h30
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Philippe Vidal, Professeur des Universités à l’Université le Havre Normandie, géographe-aménageur, spécialiste des rapports entre « territoires » et « numérique » et très attentif à la construction politique multi-niveaux (local, national, européen) de cette société numérique en cours d’installation.

Depuis de nombreuses années, l’Union européenne investit la question numérique. Si certains pays comme l’Estonie ont accompli une véritable révolution culturelle, la plupart des pays membres, ont encore beaucoup à faire. Le programme 2021-2027 de l’Union, combiné avec le plan de relance va impulser une mutation profonde de nos modes de vie. 20% des budgets de l’Union seront consacrés au numérique.

Nouvelles perspectives ?

Le développement numérique ouvre de nouveaux rapports aux territoires. La culture, la formation, le travail, la consommation semblent pouvoir s’affranchir des distances. Les initiatives prises face à la pandémie en témoigneraient. Une culture de l’initiative se développe, la participation des citoyens est facilitée, de nouvelles dynamiques soci-territoriales émergent, de nouveaux rapports aux pouvoirs se construisent… De nouveaux rapports à la mobilité, aux territoires se tissent, à l’information territoriale (data) se construisent.

Nouvelles fractures ?

Mais, une double fracture nous guette : géographique entre les territoires ayant un accès facile à ces outils et les autres; culturelle entre ceux qui maîtrisent les codes et les usages et ceux qui n’ont qu’une consommation passive ou sont de véritables victimes “d’illectronisme”.
Le risque de désintégration sociale existe : enfermement sur les territoires (puisque de là où on est, on accès à tout). Enfermement induit par les réseaux sociaux, les algorithmes qui séparent. Enfermement nivelant les hiérarchies entre l’informations et les rumeurs, délégitimant les corps intermédiaires et par-delà les règles du vivre ensemble…

des Textes à découvrir

Révolutions technologiques, pour le meilleur ou pour le pire?

Numérique et inégalités sociales: une cause, une conséquence, un reflet ?
Ni victime, ni coupable. Les technologies numériques  reproduisent les biais de notre société. Il est de la responsabilité des Responsables publics, des éducateurs de veiller à permettre à chacun de  s’approprier les potentialités offertes par ce nouveau monde. Voir l’article de Clémentine Désigaud, du Fellow de l’Institut Open Diplomacy

La technologie n’est pas le problème.
Elle n’est qu’un outil, son impact dépend de comment il est utilisé. Retrouvez l’article du Monde publié il y a 10 ans déjà

Des jeunes au bord de l’illettrisme numérique :
Les nouvelles générations seraient naturellement capables d’utiliser les outils du Web. Ce mythe menace les plus défavorisés. Voir Le point de vue de Rachid Zerrouki, publié sur Libération

des Infographies

La fracture numérique qu’est ce que c’est? Quelles sont les populations concernées ? Comment est-elle analysée ?
https://novaveolia.files.wordpress.com/2017/01/novaveolia-infographie-fracture-numerique.jpg

 Des Documentaires

Ce ne sont pas vos données qu’ils vendent…

Philippe Vidal :


Ses recherches portent sur l’impact des TIC sur les dynamiques territoriales, en considérant

L’Europe à l’heure numérique: l’enjeu géopolitique

Avec
Gilles Babinet : Président du Conseil National du Numérique
Jeudi 03 décembre 17h30
Inscrivez-vous sur : https://bit.ly/mois-numerique
Face aux puissances en présence (entreprises aux capitaux presque illimités, États dont le comportement impérieux et peu soucieux du respect des droits fondamentaux n’est plus à démontrer, affaissement des États libéraux), quelle posture nos états démocratiques et l’Europe doivent-ils adopter ?  quelles dispositions l’Europe doit-elle prendre pour restaurer notre souveraineté ? Telles sont les questions auxquelles nous essaieront de répondre dans cette séquence de l’Europe à l’heure du digital
Textes à découvrir

Une Europe plus verte, plus numérique et plus “géopolitique” :
La Présidente élue de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est exprimée le mercredi 27 novembre 2019 devant le Parlement européen réuni en session plénière à Strasbourg. A cette occasion, elle a présenté son équipe de commissaires (le “Collège”) et leur programme. Le Parlement européen a approuvé la nouvelle Commission, qui entrera en fonction le 1er décembre 2019.
https://ec.europa.eu/france/news/20191128/discours_ursula_von_der_leyen_fr

Une stratégie mondiale ?
Avec la prochaine loi sur les services numériques, l’UE vise à façonner l’économie numérique, non seulement au niveau européen mais aussi pour être une référence au niveau mondial, comme elle l’a fait pour la protection des données.
https://www.europarl.europa.eu/news/fr/agenda/briefing/2020-10-19/1/priorites-du-parlement-pour-la-future-loi-sur-les-services-numeriques

Numérique : La Cour de Justice de l’UE consacre le principe de neutralité du net.
Les mesures pratiquées par certains fournisseurs d’accès à Internet vont à l’encontre du principe d’égalité de traitement et d’accès des contenus en ligne, a considéré la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt rendu mardi 15 septembre2020.
https://www.touteleurope.eu/actualite/breve-numerique-la-cour-de-justice-de-l-union-europeenne-consacre-le-principe-de-neutralite-du.html

Souveraineté numérique : quelles stratégies pour la France et l’Europe ? Fiscalité des GAFAM, risques d’ingérence de puissances étrangères, dépendance de l’État vis-à-vis d’acteurs technologiques extra-européens… La souveraineté numérique met en évidence la nécessité de faire émerger en Europe de nouveaux acteurs du numérique dont les activités respecteraient les principes et les valeurs des Européens.
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/276126-souverainete-numerique-quelles-strategies-pour-la-france-et-leurope

Infographie

Le numérique dans l’Union européenne :
Une frise sur Le marché unique numérique en Europe. Déroulé historique de la démarche et des actions de l’UE.
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/digital-single-market/

 Vidéos

L’Estonie, paradis du numérique.
Daniel Cohn-Bendit est impressionné par le pays balte, où l’administration est presque intégralement dématérialisée.

Numérique : l’Europe à la traîne ?
Paris capitale de la Tech au salon de 17 mai 2019. L’Élysée a réuni 80 grands patrons du numérique pour promouvoir le numérique en Europe. Table ronde avec Pascale Joanin (Rapport Robert Schuman), Guillaume Leboucher de IA pour l’École et Aurélien Sousset.

Internet ou un raté français !

I. Falque-Pierrotin (CNIL) “Les données des Européens profitent aux acteurs internationaux.
Isabelle Falque-Pierrotin est présidente de la CNIL, cette autorité administrative française chargée entre autres de garantir que les usages d’Internet ne portent pas atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles. Dans cet entretien, elle explique pourquoi les acteurs internationaux qui utilisent nos données personnelles devront respecter le droit européen.

Ce ne sont pas vos données qu’ils vendent…

A voir, le documentaire: The social dilemma

Ce documentaire sorti le 20 septembre 2020 sur Netflix donne la parole à une dizaine d’anciens cadres dirigeants qui ont démissionné de grandes entreprises de la Silicon Valley. Comment ces entreprises s’emparent de nos données et au bout du compte façonneent le monde.

“Quand l’accès à un réseau est gratuit, c’est que les utilisateurs sont le produit”. On a tous entendu cette sentence. Mais non! Nous disent ces témoins. Ce ne sont pas vos données qu’ils vendent, mais les modèles comportementaux qu’ils élaborent à partir de vos données. Dès que vous vous connectez, dès que vous téléchargez une application, vous envoyez  à chaque instant des données à partir desquels les firmes élaborent leurs modèles.

Ces modèles, ils les proposent à des entreprises pour caler leur stratégie de communication. Ensuite à chaque fois que vous vous connectez à une application, à un réseau, vous recevrez des notifications, des messages correspondants à vos attentes, vous renforçant dans vos prédispositions, dans vos opinions.
C’est vrai aux plans de la mode, des affaires, des choix culturels… Mais c’est vrai aussi aux plans politique et moral.

Les réseaux sociaux créent des bulles, isolent les groupes sociaux les uns des autres, développent les antagonismes. Ils fragilisent le corps social.Les témoins expliquent ainsi les profonds clivages qui traversent nos sociétés et tout particulièrement les USA.
Les réseaux sociaux plutôt que de favoriser le débat, la rencontre entre des appréciations différentes, confortent au contraire chacun dans ses positions en lui envoyant les informations qu’il attend.

Les témoins tirent le signal d’alarme et dénoncent le chemin vers la guerre civile que prennent les USA. Ils tirent le même signal en direction de l’Europe.

Mais alors Que faire?
Deux propositions ressortent de ce documentaire:

  • A titre individuel, refuser tous les cookies et les notifications proposés par les sites auxquels nous connectons, n’utiliser que des moteurs de recherche comme Qwant qui ne conservent pas nos données.
  • A titre collectif, prendre des mesures pour obliger les entreprises numériques à retreindre leurs collectes. Il suffirait de créer un impôt sur le volume des données collectées.

En savoir plus sur le documentaire:

Révolutions technologiques, pour le meilleur ou pour le pire?

Les 1er et 2 octobre, se déroulaient à Caen le « Forum mondial pour la Paix ». Le Mouvement européen 76 y participait. Retrouvez ici le compte rendu de la conférence du 2 octobre.

Thème de la conférence:

” Dans notre monde interconnecté, les nouvelles technologies imprègnent notre quotidien et impactent de nombreux secteurs. La gestion du Big Data, le recours à l’intelligence artificielle, l’essor de la reconnaissance faciale rendent impérative une réflexion sur la maîtrise et l’encadrement de ces nouveaux procédés, tant d’éventuelles dérives seraient porteuses de déstabilisation majeure, y compris dans les pays démocratiques. Déploiement de robots tueurs, armes intelligentes ou généralisation de la surveillance : sur le terrain militaire également, de nouvelles formes d’intervention et d’affrontement émergent.

Génératrices d’inquiétudes, ces révolutions technologiques sont aussi de formidables leviers d’innovation, porteurs de changements profonds et multiples, y compris pour le meilleur. À l’image de la Green Tech ou de la Tech for Good, elles permettent d’œuvrer en faveur de la transition écologique. Elles  apportent des réponses concrètes à des problématiques contemporaines. Au cœur de la réflexion sur le monde de demain, les révolutions technologiques seront-elles pour le meilleur ou pour la guerre?”

Nicole Gnesotto: Science sans conscience ?

Lors d’une courte introduction, Nicole Gnesotto introduit la notion de rupture civilisationnelle. Jusqu’à nos jours les innovations technologiques ont toujours été ambivalentes. On pouvait les utiliser pour le meilleur ou le pire. On connaît tous cette citation de Rabelais tirée du Pantagruel : “science sans conscience n’est que ruine de l’âme”. Récemment encore on a vu comment des outils comment Twitter pouvaient tout à la fois contourner la censure mais aussi surveiller les comportements de chacun… Mais aujourd’hui?  Que sont les développements de l’intelligence artificielle?  Quelle place  prennent les algorithmes dans la gestion du monde. Quel poids de la conscience humaine? On sait comment les automatismes ont accéléré la crise financière de 2008. Qu’en sera-t-il demain? La question mérite d’être posée.
Nicole Gnesotto: Professeure au CNAM, titulaire de la Chaire Europe : L’Europe indispensable éditions du CNRS   .

Justice : le danger de l’arbitraire

Christiane Feral Shul a pointé le recours de plus en plus importants des cours de justice aux outils numériques. Certes, l’accès aux données est une formidable source d’informations utiles aux différentes parties prenantes. Mais au-delà , Christiane Feral Shul s’inquiète de la tentation pour les juges de recourir à l’intelligence artificielle comme auxiliaire de justice, voire même pour rendre la justice dans certaines situations.

C’est déjà le cas en Estonie où dans les affaires civiles portant sur une créance inférieure à 7000€ la procédure est automatisée. Si cette manière de faire peut paraître objective, rigoureuse, elle présente une faiblesse énorme. Elle ne tient pas compte des circonstances qui sont à l’origine du délit. Elles sont pourtant essentielles pour comprendre les situations et formuler les décisions justes.
La France résiste à une telle évolution mais jusqu’à quand? Il faut se méfier de l’arbitraire de l’Intelligence artificielle.
Il est indispensable de poser des règles éthiques, de mettre sous surveillance les algorithmes, de maintenir l’intervention humaine dans le processus judiciaire.
Le conseil national des barreaux s’est tourné vers le Conseil de l’Europe.
Cette instance est à l’origine de plusieurs conventions qui ont inspiré le législateur: protection des données, cybercriminalités. Il pourrait ici se mobiliser à bon escient, même s’il ne faut surestimer le poids de ces conventions qui ne sont des textes contraignants.
Christiane Feral Schul est avocate: Présidente du conseil national des barreaux.

L’extension du domaine de la lutte :

Jean Marc Vigilant, Général d’Aviation, Directeur de l’école de guerre pointe l’extension de l’environnement stratégique. Très récemment ont été intégrés trois nouveaux domaines: l’Espace, le cyber espace et l’information. Les conflits ne se déroulent plus aujourd’hui uniquement sur les champs de bataille.
Cette extension du domaine de la lutte exprime une double tendance: le recul de l’influence de l’Ouest à l’échelle du monde, et l’importance essentielle du Capital humain.

Pour tenir compte de tout cela, la France élargit son approche stratégique.
– Elle crée des outils: une agence sur l’innovation numérique en lien avec les entreprises, un commandement de la cyberdéfense et de l’espace, l’armée de l’air est aussi celle de l’espace maintenant. Développement de nouvelles bases de données en lien avec l’Intelligence artificielle.
– elle développe une approche globale en réseau pour mettre en œuvre des réponses complexes, multi localisées, répondant en de nombreux points en cas d’agression.

Dans le prolongement ,

Jean-Louis Gergorin, (un ancien du quai d’Orsay) souligne la rupture introduite par le numérique dans le rapport à la guerre. Aujourd’hui la frontière est devenue volatile. Il existe des zones hybrides.
Grâce aux outils numériques, une puissance étrangère peut agresser un territoire. On l’a vu par exemple en Ukraine avec les coupures d’électricité.
Les cyberattaques sont devenues l’équivalent des notes diplomatiques. Elles envoient un message, expriment une menace, invitent à un repositionnement. On peut lire ainsi la cyberattaque de mars dernier sur les hôpitaux de Paris.

Si la France a su prendre la mesure du problème, il faut aller beaucoup plus loin et bien prendre en considération la dimension globale du problème. Il faut tout à la fois:
– traiter de l’information: si les médias traditionnels sont contrôlés, ce n’est pas le cas des réseaux sociaux. On peut dire ce que l’on veut.
– agir dans les domaines militaires et civils: les attaques numériques en demandes de rançon se sont multipliées par 8 depuis 2017.
– les frontières s’estompent entre les groupes mafieux, les attaques “militaires” l’espionnage économique…
– agir à l’échelle internationale: mettre en place pour la circulation de l’information des instances du même type que ce qu’il existe dans l’aviation civile, la santé par exemple…

En contrepoint Nicole Gnesotto réagit  soulignant que  la gouvernance doit aller au-delà des Etats et associer l’ensemble des acteurs de la société civile.

Pour conclure Science et éthique ?

Fréderic Bordry a développé une approche plutôt optimiste en soulignant la dimension géopolitique de la science. Il a cité en exemple plusieurs programmes du CERN qui associent étroitement des soi-disant ennemis. Que ce soit entre Israël et la Palestine, ou entre les différents pays des Balkans
il a souligné la dimension universelle du langage de la science qui permet de jeter des ponts, de s’affranchir des susceptibilités et de jeter des ponts entre des territoires séparés.
Fréderic Bordry est directeur au CERN à Genève.

– Gabriela Ramos Patino est revenue sur la nécessité d’encadrer à l’échelle internationale l’usage des outils numériques et notamment l’Intelligence artificielle. Aujourd’hui 200 entreprises dans le monde régulent 80% des outils numériques.
Quelle que soit la performance des outils, il faut en revenir à l’origine, c’est à dire à la commande et sa régulation, aux valeurs qui la cadrent. C’est possible. Regardons ce qu’a fait l’Europe avec le RGPD. L’Unesco agit en ce sens à l’échelle internationale.
Gabriela Ramos Patino Directrice générales sciences sociales UNESCO

 

Retrouvez, les principaux moments  du forum en videés sur: https://www.facebook.com/NormandiePourLaPaix/

 

 

le Pays des Européens par Sylvain Kahn, Jacques Levy:

Un livre écrit à la veille des élections européennes de 2019 par deux géographes. Un livre plutôt optimiste sur l’avenir de l’Union européenne : l’Europe a gagné, les citoyens y sont attachés. L’Euro en témoigne. Les eurosceptiques ne proposent plus de sortir de l’Europe. Le débat s’est déplacé sur un autre plan : de quelle Europe voulons-nous ?
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L’enjeu européen
Si l’Europe n’est pas une nation, elle est cependant une société en construction avec des valeurs fortes (les droits de l’homme), des repères solides (des modes de vie partagés) et la mise en place progressive de réelles institutions. Les résultats des élections européennes de 2019 et les mesures prises ces derniers mois confortent semble-t-il, le point de vue des auteurs.
L’Europe est une société d’individus alliant cohésion sociale et parcours individuels. C’est autour de ce couple que s’articule le débat d’idées. Quel équilibre entre cohésion sociale et libertés individuelles ?

Le fruit d’une longue histoire :
Les auteurs identifient trois axes géographico-historiques :

  • A l’ouest, protégé sur son flanc est par des territoires « tampons », ce secteur est entré plus tôt dans la stabilité « géopolitique ». Certains de ces territoires ont donné naissance à des puissances militaires puis à des Etats forts protégeant les citoyens en échange de leur soumission.
  • A l’est, des territoires aux contours plus « fragiles » soumis aux pressions de voisins plus à l’est encore (Russie, Turquie…)
  • Au centre, des territoires moins hiérarchisés qu’à l’ouest, en appui sur des réseaux d’acteurs, ont progressivement vu le jour. Ils conjuguent initiatives individuelles et institutions sociales fortes.

L’Europe aujourd’hui est le prolongement de cette « Mittel Europa », constituant un axe Nord-sud au centre de l’Europe. Même si les Etats conservent le pilotage institutionnel de l’Europe, L’Union européenne fait une large place aux territoires et à la société civile.

Le choc de la mondialisation
La mondialisation, le développement des technologies de communication bouleversent les rapports sociaux.  Les territoires décentralisés, organisés traditionnellement autour des réseaux d’acteurs, accordant une place importante à l’initiative des citoyens, aux réseaux de solidarités semblent plus réactifs face à cette situation. La mondialisation bouscule le pacte social des Etats forts.

Certaines forces politiques stigmatisant cet affaiblissement désignent l’Europe, vecteur de la mondialisation, comme la cause de l’affaiblissement des institutions de leurs pays.

La montée des populismes
Par-delà des sensibilités politiques parfois opposées, ces forces politiques souhaitent le renforcement de ces Etats forts, garants de la préservation d’un ordre et d’une cohésion sociale originelle. C’est le sens des courants populistes que l’on voit se développer un peu partout. Ils se retrouvent sur deux axes :

  • A l’échelle européenne, affirmer les valeurs de la civilisation européenne et s’inscrire à l’échelle internationale dans une confrontation des civilisations
  • A l’échelle nationale, affaiblir les corps intermédiaires, privilégier l’unité du peuple autour de ses dirigeants, quitte à restreindre les libertés individuelles, ce sont les tenants de régimes « illibéraux ».

Les partisans de cette approche trouvent un écho positif dans les territoires fragiles qu’ils soient à l’Est de l’Europe ou à l’écart des agglomérations.

Le nouveau clivage politique :
Face à cela, s’expriment des forces politiques valorisant une Europe des citoyens, promouvant les initiatives individuelles, en appui sur la mobilisation des territoires et la société civile.  De ce point de vue, il convient d’ouvrir l’Europe à la différenciation des modes de vie, aux nouvelles pratiques sociétales. Le réchauffement climatique, le développement durable, l’écologie, les technologies de l’information sont autant de défis à relever pour articuler davantage cohésion sociale et épanouissement individuel.

C’est autour de cette alternative que se structure le débat européen aujourd’hui, quitte à recomposer les clivages politiques traditionnels.

 

 

 

 

 

 

 

Europe de la santé, qu’en penser?

En initiant le mois européen de la santé, le Mouvement européen de Seine-Maritime souhaitait mieux comprendre la place et le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre la pandémie. Était-elle aussi inopérante que certains le disaient ? Prenait-elle toutes les initiatives souhaitables? Sortirait-elle affaiblie ou renforcée de ce moment particulièrement délicat ?
Pendant un mois nous avons rassemblé et mis en ligne diverses sources d’information. Nous avons organisé 6 visioconférences qui ont rassemblé une centaine de personnes.

Au final, que pouvons-nous en dire ? Retrouvez ci-dessous le point de vue de Philippe Thillay, Président du Mouvement européen de Seine-Maritime, écrit en appui sur ces sources d’informations et sur les comptes rendus des visioconférences rédigés par Alain Ropers.

Découvrir et télécharger le point de vue de Philippe Thillay
Cliquez ici

Retrouvez tous les documents mise en ligne sur
https://mouvement-europeen76.eu/suites-mois-europeen-de-la-sante/

 

 

Et l’Europe dans tout cela, le point de vue de Stéphanie Yon-Courtin

Visioconférence du 26 juin 2020 – 10 h

Invitée : Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne (Renew Europe)
Animation : Philippe Penot (PP)
Synthèse rédigée par : Alain Ropers

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Présentation de l’invitée et propos d’accueil par Philippe Penot.
Stéphanie Yon-Courtin, avocate de formation a été élue en mai 2019 députée européenne. Elle est spécialisée dans le domaine du droit de la concurrence, a exercé en qualité de juriste à la Commission Européenne et, de ce fait, possède une bonne connaissance de nos institutions européennes. À noter son ancrage territorial en Normandie où elle a été élue Maire de Saint-Contest en 2014.
 « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. A l’heure où l’Union Européenne vit sa plus grande crise sanitaire, il sera intéressant de voir si, à long terme, ce principe d’un des pères de la Communauté Européenne se vérifie.

L’Europe au temps du coronavirus s’est montrée dispersée, peu solidaire, chaque État choisissant sa version d’un confinement plus ou moins strict, d’un déconfinement plus ou moins rapide. « La crise a mis l’accent sur des défaillances des systèmes de santé nationaux et sur le manque de compétence de l’UE pour répondre à ces défaillances », résume Claire Dhéret, responsable d’un programme de recherche sur « Europe sociale et bien-être » au European Policy Center. Pour certains, cette gestion étatique a montré l’inutilité de l’Union européenne. Pour d’autres, au contraire, une véritable Europe de la santé n’a jamais été aussi urgente.

Première question. Les armes de l’Europe face aux crises.

Philippe Penot : Alors diriez-vous avec Jean-Yves Le Drian que : “L’Europe a eu du retard à l’allumage”, mais “s’est bien rattrapée” ?   A la lumière de la gestion de la crise sanitaire actuelle pensez-vous que l’Europe est, d’un point de vue institutionnel, bien armée pour les affronter avec toute la réactivité exigée par les circonstances ?
Stéphanie Yon-Courtin : Merci de m’accueillir. Vous avez mentionné dans votre présentation l’ancrage territorial. Oui, il est plus que jamais nécessaire d’être ancré sur les territoires. Je suis, pour ce qui me concerne, toujours conseillère départementale du calvados.
Jean Monet disait fort justement que l’Europe se construirait grâce aux crises, et ça peut tout à fait être le cas cette fois-ci. S’il a été dit que l’Europe a eu du retard à l’allumage, cela montre a contrario que la population a une très forte attente de la part de l’Europe. Les dernières crises auxquelles l’Europe a dû faire face étaient d’ordre financier ou économique, et on pouvait mieux en cerner les causes, et même pointer du doigt un responsable. Là, c’est différent. La pandémie nous est tombée dessus de façon inattendue, et sans qu’on puisse l’attribuer à qui que ce soit en particulier. Les reproches qu’on entend ici ou là ne s’adressent pas aux responsables indéterminés de la pandémie, mais concernent la façon dont le problème a été pris en compte par les uns ou les autres.

Au niveau de l’Europe, et malgré les circuits complexes qui la caractérise, des décisions ont été prises très rapidement : assouplissement budgétaire (la fin du verrou de Maastricht), déblocage de 120 milliards d’euros pour des rachats d’actifs et pour des investissements, etc. Et ce, malgré le fait que la compétence en matière sanitaire relève des États membres et non de la Commission. Pour changer cela, il faudra passer par de nouveaux traités, et donc il faudra l’unanimité, ce qui ne simplifie pas les choses. De plus, dans certains États membres, cette compétence en matière sanitaire ne relève même pas de l’État, mais des entités régionales. Et c’est le cas notamment des pays les plus touchés par le virus, l’Espagne et l’Italie.

Ce n’est pas à l’Europe de venir au secours des systèmes de santé défaillants. Il faut proposer quelque chose, et certains y travaillent au Parlement Européen, pour muscler le rôle de l’Europe dans ce domaine, et lui permettre de coordonner les actions des États membres. Cette coordination n’est pas facile, puisque cette fois, par exemple, chaque État n’a pas été touché de la même manière ou avec la même intensité, ni au même moment.

Ça n’a pas empêché la solidarité de fonctionner. Quelques exemples parmi d’autres : La France a donné 1 million de masques et de tenues de protection à l’Italie, l’Allemagne donné des tonnes de masques, l’Autriche le Luxembourg la Grèce ont accueilli beaucoup de patients venant des autres pays, les États se sont entraidés pour rapatrier énormément de monde. De plus, on a pu débloquer des fonds pour la recherche qui a travaillé en concertation, des reliquats de fonds régionaux inemployés ont été mobilisés, etc. En résumé, il y a eu une vraie dynamique, bien au delà des compétences de la Commission Européenne.

Deuxième question. Efficacité et types de régimes.

Philippe Penot : J’aimerais aussi entendre votre sentiment sur ce débat qui agite nos sociétés : les régimes autoritaires seraient plus efficaces pour lutter contre les crises sanitaires et, corollairement, les démocraties adoptent des mesures régressives de nos libertés, généralement temporaires, sauf à utiliser la crise comme prétexte pour s’installer durablement dans un régime illibéral, y compris au sein de l’Europe.
Stéphanie Yon-CourtinC’est un point sur lequel on est vigilant. Les périodes de crises sont souvent des opportunités pour les régimes autoritaires et les dictateurs en germe qui profitent de l’état d’urgence pour mettre en place des mesures liberticides, museler le parlement, les juges et les journalistes. Victor Orban n’a pas attendu la crise pour le faire. Mais, l’Europe s’est construite sur des valeurs de respect des droits de l’homme et des valeurs démocratiques qu’il ne faut pas oublier et qui ne sont pas négociables. Une collègue hongroise a vu sa photo placardée la montrant avec un fusil pointé sur elle et la mention « il faut les tuer, ce sont les ennemis de la Hongrie ». Elle nous a envoyé un SOS. Le parlement a adopté une résolution indiquant que l’état d’urgence en Hongrie ne pouvait pas être maintenu indéfiniment, car incompatible avec les valeurs européennes. En France, par opposition, les mesures de restrictions de liberté sont strictement proportionnées et limitées dans le temps. Actuellement, nous travaillons sur les prochains budgets, et beaucoup d’entre nous veulent introduire pour la perception de fonds régionaux, des critères de conditionnalité au respect des valeurs démocratiques et de l’état de droit. Ce sont justement les pays qui cherchent à s’affranchir des valeurs européennes qui perçoivent le plus de fonds régionaux. Dans l’ensemble, ce principe de conditionnalité est assez accepté, mais avec un bémol : Victor Orban fait partie du FIDES, dont les députés siègent au PPE. Et la droite française, ne se démarque pas suffisamment  de ses positions et se refuse à exclure le FIDES du PPE.

Troisième question. Compétences de l’Europe.

Philippe Penot : La santé publique est, par principe, de la compétence interne des Etats membres, même si l’action de l’Union européenne se manifeste déjà en matière de santé dans les domaines de l’information, l’éducation, la prévention, la surveillance ou la recherche. Nul doute qu’à la lumière de cette crise, des améliorations, extensions de compétences … seront envisagées.
A-t-on déjà quelques idées de dispositions souhaitables et quelles chances ont-elles d’être mises en œuvre et quelles seront les actions prioritaires ?
Et, corollairement, l’Europe devrait-elle se doter de moyens de fiscalité propre pour une action plus efficace ?
Stéphanie Yon-Courtin: Permettre à l’Europe d’avoir des compétences réelles, oui. Mais il faut des moyens financiers à la hauteur de ces nouvelles ambitions. La création de ressources propres est en discussion pour le budget en cours. On travaille notamment sur la fameuse taxe GAFA visant à faire contribuer les géants du numérique. Et d’autant plus qu’il faut mettre au point  dès maintenant des plans de gestion de crise, car une deuxième vague n’est pas exclue, pas plus qu’une autre pandémie. Nous avons fait des propositions pour un programme santé  de 10 milliards d’euros, soit 23 fois plus qu’évoqué avant la crise. La crise peut avoir du bon. Ce programme va de la réaction aux crises, à la lutte contre les inégalités face aux problèmes de santé, et à l’aide à la coordination et l’harmonisation des systèmes sanitaires des États membres. Il est actuellement en cours de discussion entre la Commission, le Parlement et le Conseil pour trouver une position commune.

L’Europe est un géant politique en germe mais un nain budgétaire. Son budget ne représente que seulement un peu plus de 1% du PIB de chaque État, alors qu’il y a énormément de choses à financer, et d’autant plus qu’il faut trouver un budget supplémentaire, en remplacement de celui que l’Union Européenne perdra avec le départ du Royaume Uni. La renégociation du CFP (cadre financier pluriannuel), définissant la liste des ressources possibles est en cours de discussion. On cherche la possibilité d’instaurer des taxes et redevances là où on peut, comme sur les plastiques ou autres. Le parlement Européen est maintenant co-législateur, notamment en matière de budget, et on ne votera pas le budget s’il n’est pas assez ambitieux.

Mais il faut aussi discuter aussi avec ceux qui ne sont pas d’accord pour une augmentation de budget comme les pays dits « frugaux ». Augmenter les compétences sans augmenter le budget paraît pourtant illusoire. Si chaque État membre se met à taxer les GAFA à sa façon, avec des taux différents, ça n’a pas de sens car l’homogénéité n’est pas respectée. Il vaut mieux avoir la même taxe pour tous. Emmanuel Macron et Angela Merkel ne ménagent pas leurs efforts sur le sujet, avec leur proposition d’une émission de dettes communes mutualisées. C’est encore plus nécessaire au moment où Donald Trump vient d’annoncer, par son Secrétaire d’État, son intention de voir les USA quitter l’OCDE.

Dernière question. Opportunité.

Philippe Penot : En guise de conclusion, la crise du Covid-19, après celle des migrants et le Brexit, risque-t-elle être la crise de trop pour l’Europe ou au contraire une opportunité pour le réveil européen et pour que l’Europe s’affirme comme puissance souveraine de son destin ? Et que peut-on attendre de la conférence sur l’avenir de l’Europe ?
Stéphanie Yon-Courtin : Il n’y a jamais eu une crise de trop. À chaque fois, quand elle est au bord du gouffre, l’Europe s’affirme. C’est comme après la deuxième guerre mondiale. L’Europe, c’est un espoir et c’est aussi un devoir. Les lignes commencent à bouger. C’est une opportunité à saisir plus que jamais, car la crise a aidé beaucoup d’États membres, à s’intéresser davantage au social et à la solidarité. C’est le moment d’utiliser ce marché européen pour réaffirmer nos valeurs démocratiques, notre attachement à l’état de droit et à la libre circulation, ce qui profitera à tous, y compris aux salariés.

Les économies sont trop interdépendantes pour s’en sortir seules. La souveraineté européenne c’est la somme des souverainetés nationales, elles sont complémentaires.
Jean Monnet disait au sujet de la construction européenne : « Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je suis réaliste ». Churchill, quant à lui, avait cette phrase : « Never underrate a good crisis ». (Ne jamais sous-estimer l’intérêt d’une bonne crise)

On prépare la conférence sur l’avenir de l’Europe. Il s’agit d’associer les citoyens, et toutes les parties prenantes, dès que les conditions sanitaires le permettront. La question c’est de savoir comment rendre l’Europe plus efficace et plus démocratique, car  on constate un déficit de démocratie et de citoyenneté européenne.
L’Europe doit arrêter d’être naïve et se rendre compte des rapports de force. On n’a plus le choix que d’être ensemble, surtout depuis le Brexit. L’Europe est loin d’être achevée. Elle est reconnue, et enviée, notamment par les Américains, car elle offre à leurs yeux des avantages fabuleux, comme le chômage partiel, etc.

Questions des participants.

Dominique Renoult. L’Union Européenne a une compétence en matière de santé, avec l’agence des médicaments, même si c’est peu connu. Quelles sont les extensions possibles du rôle de l’Europe en la matière ?
Stéphanie Yon-Courtin : On vient de faire une petite brochure regroupant nos propositions. L’agence européenne du médicament  à laquelle vous faites allusion n’est pas armée, par exemple, pour faire face à une pénurie de médicaments. Vous savez que 80% des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Chine ou en Inde. L’extension des pouvoirs de l’Union Européenne est nécessaire pour harmoniser les règles dans chaque État. Cela repose sur trois piliers.
Premièrement, il faut établir une souveraineté sanitaire européenne et un approvisionnement sécurisé. Pour cela il faudra autoriser des aides des États, pour que les industriels puissent relocaliser. Il faut aussi établir des critères prioritaires dans les appels d’offres. Il faut créer des établissements pharmaceutiques à but non lucratif pour produire des médicaments en cas de crise. Il faut sortir du giron de la productivité et de la rentabilité, pour que le médicament puisse devenir un bien commun.
Deuxièmement, il faut mieux coordonner l’action européenne, notamment pour créer une réserve européenne sanitaire de médicaments, avoir recours à des achats groupés, et recourir à un pilotage centralisé dans la chaîne de distribution.
Enfin, troisièmement, il faut renforcer la coopération entre les États membres, pour connaître et mieux gérer les stocks. Il faut simplifier les législations, et avoir une meilleure lisibilité des mesures réglementaires en temps de crise. Il faut introduire la notion d’intérêt thérapeutique majeur pour certains produits comme les vaccins, pour leur éviter de tomber dans le giron de certains intérêts privés.

Gérard Grancher : Plusieurs questions se regroupent sur le thème de l’appartenance du parti de Victor Orban au PPE, à son exclusion éventuelle qui le ferait renforcer les groupes d’extrême droite au Parlement Européen et augmenterait ainsi la sphère d’influence de la Russie. Qu’en pensez-vous ?Stéphanie Yon-Courtin : Effectivement, l’exclure comporte des risques, mais ne pas l’exclure et le laisser agir c’est ouvrir la porte à d’autres agissements comparables. C’est aussi très dangereux sans doute encore plus dangereux. Il faut être cohérent avec les valeurs qui fondent notre union. C’est un équilibre à trouver.

Charles Maréchal : Nous avons réalisé une union monétaire, mais pas une union budgétaire. Si nous ne faisons pas cette union budgétaire, aurons-nous jamais la force financière de nos ambitions ?
Stéphanie Yon-Courtin : Je suis entièrement d’accord. Notre union monétaire n’est pas aboutie. Christine Lagarde remarquait le décalage dans l’opinion entre le plébiscite de l’Euro et l’opposition contre la BCE « et tous ces machins ». Il faut avancer sur l’union budgétaire et sur une union plus économique. Il faut aussi réorienter l’épargne pour investir dans l’économie réelle et participer à la relance de notre pays.

Dominique Lacaille : Mettre en place des plans pluriannuels, n’est ce pas revenir à l’époque de Michel Rocard ?
Stéphanie Yon-Courtin : L’idée c’est de permettre aux décisions d’être prises sur le long terme. Il faut des plans adaptés, mais on est loin de la planification soviétique ! Derrière les mots, il faut une stratégie et du pragmatisme, une articulation entre les niveaux européen, national et local et redonner du sens à notre devise « unis dans la diversité ». On peut imaginer un noyau dur sur les axes majeurs, tout en laissant la possibilité aux États d’adapter les modalités en fonction des spécificités nationales voire locales. Nous devons transcender les clivages politiques, et ça, ça me plait bien. Faisons l’Airbus de la batterie, de la 5G et que sais-je… Réinventons, transcendons les dogmes et les clivages, en respectant les convictions  de chacun, par la méthode de compromis et de consensus ! Ça passe ou ça casse ! Si on n’a pas d’Europe, ça fera  très mal. Si les Chinois et les Américains cherchent à nous diviser, c’est qu’ils craignent l’Europe. Profitons-en ! Disons-leur de venir investir chez nous, mais avec nos règles.

Letycia Ossibi : Que prévoit l’UE pour le tiers monde ?
Stéphanie Yon-Courtin : Actuellement un sommet Union Européenne Afrique est en préparation. On évoque la suspension de certaines dettes et des renégociations, pour permettre à certains pays d’investir, notamment dans les domaines sanitaires.

André Calentier : Faut-il garder le Parlement Européen à Strasbourg ? Les dépenses  qu’il génère en temps et en argent pourraient être mieux investies ailleurs. Et les bâtiments pourraient être transformés en musée de l’Europe.
Stéphanie Yon-Courtin : La question n’est pas iconoclaste, et elle est actuelle surtout en période de crise. Mais il est difficile de répondre surtout quand on est français. Oui, il y a une perte de temps et d’argent, mais d’un autre côté ce n’est pas mal de ne pas tout avoir à Bruxelles. Le Parlement est le seul organisme qui représente directement les citoyens européens, et tout concentrer à Bruxelles symboliquement c’est réduire la démocratie à la bureaucratie. L’Europe se trouve partout et non seulement dans son noyau. De plus, le Parlement de Strasbourg a été utile pendant la pandémie, car il a ouvert ses portes pour l’hôpital. Mais ça ne se sait pas, car les élans de solidarité ne font pas le buzz médiatique. De même, à Bruxelles, on a accueilli les femmes brutalisées.

Venez, venez donc nous voir. Nous vous accueillerons avec plaisir, et nous écouterons les idées que vous nous donnerez sur tout ça.

Philippe Penot : Nous arrivons au terme de cette visioconférence. Il reste certaines questions que nous poserons par mail. An nom de tous, je vous remercie pour votre intervention. Merci encore.
Stéphanie Yon-Courtin : Merci à vous. Vous êtes là aussi pour relayer tout ce que l’Union Européenne fait de bien et qui passe trop souvent  inaperçu. Par exemple sait-on que les masques sont financés à 80% par les fonds européens ? Merci aux deux Philippe. Ma permanence vous est ouverte, ainsi que votre maison, à Bruxelles ou à Strasbourg. Au revoir !

Régie de la rencontre: Gérard Grancher

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 Fin de la visioconférence à 11 h 10.

Géopolitique de la pandémie, le point de vue de Andres Cattaneo

Semaine 4 : Thème de la semaine : Approche géopolitique de la crise sanitaire.

Visioconférence du 24 juin 2020 – 19 h
Invité : Docteur Andrés Cattaneo, médecin néphrologue,membre de plusieurs groupes de réflexion

Animation : Philippe Thillay
Synthèse réalisée par : Alain Ropers

Propos d’accueil par Philippe Thillay, qui rappelle le déroulement de notre mois de la santé, fait un point de la situation, et présente les thèmes qu’il désire voir aborder pour la quatrième et dernière semaine. Il présente Andrés Cattaneo qui récuse par modestie la qualité d’expert international, malgré la dimension incontestablement internationale de son parcours : Argentine, Suisse, Allemagne, France, Chine.

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Premier thème : L’état de notre système de santé.

Philippe Thillay : Le système sanitaire français et la gestion globale de la crise ont été sévèrement critiqués dans les médias pendant la pandémie. Peut-on analyser l’état de notre système de santé et quelles ont été les défaillances quatre mois après le début de l’épidémie ?

Docteur Andrés Cattaneo: Il est vrai que la circulation médiatique a surtout mis l’accent sur la faillite de notre système de santé, ses lourdeurs, et qu’on a peu parlé de ce qui a bien fonctionné. C’est pourquoi, je voudrais rappeler quelques données factuelles, tirées d’une étude de l’OCDE 2019.
Le système de santé français n’est pas sous financé.  On ne peut pas parler de manque de moyens, puisque la santé représente en France environ 11% du PIB, à la première place en Europe, à égalité avec l’Allemagne et la Suède, pour une moyenne de 8,8% dans les pays de l’OCDE. Rapportée au nombre d’habitants, la France occupe la sixième place, derrière les pays nordiques, avec une dépense de 3600 € par habitant, pour une moyenne européenne de 2600 €.
L’espérance de vie (83 ans) est plutôt bonne en France. Elle est supérieure à celle de l’Allemagne (pour les femmes) et à la moyenne européenne (81 ans). Les chiffres de surmortalité liée au coronavirus sont plutôt corrects si on compare à d’autres pays européens. 

Alors, comment expliquer cet écart entre le diagnostic de l’OCDE et la perception généralement partagée d’un déclin du système de santé français ?
Notre système de santé a révélé à la fois de l’excellence, notamment dans la qualité des soins, dans notre capacité à avoir doublé en quelques jours notre capacité d’accueil hospitalier, et de la médiocrité à cause de ses faiblesses dans le domaine de la coordination et de la prévention. Pour faire face à une deuxième vague quasiment certaine, il faudra une stratégie claire, une coordination meilleure entre les divers acteurs de santé (hôpitaux, cliniques privées, médecine de ville, etc.) à travers un commandement décentralisé et adapté.

La prévention est le parent pauvre de notre système de santé. Moins de 2% du budget est alloué à la santé publique et à la prévention, contre 3,5% en moyenne dans l’Union Européenne. Cela se manifeste par un dysfonctionnement au niveau de la prise en compte des risques, par exemple en ce qui concerne dans le cas présent : les masques, les tests, les médicaments.

Les masques. C’est basique, mais efficace, comme l’ont montré les pays asiatiques et ceci malgré les premiers discours gouvernementaux. La France avait en 2007 un stock de 1,6 milliard de masques permettant d’équiper la population et les soignants. Ce stock, ayant atteint sa date de péremption, n’a pas été totalement renouvelé, et on a décidé que les masques FFP2, les masques chirurgicaux, seraient à la charge des hôpitaux. Or, comme ceux-ci sont en faillite, il n’y a pas eu suffisamment de masques pour les soignants. C’est une erreur.

Les tests. Il y a eu du retard à la mise en service, et leur nombre a été insuffisant. Le Gouvernement a donc dû réserver les tests aux malades admis en réanimation, et ainsi, des porteurs asymptomatiques non testés ont continué à disséminer la maladie sans le savoir.

Les médicaments. Ce n’est pas la pandémie qui a mis notre système en difficulté, des tensions étaient déjà signalées dès 2018, du fait de la délocalisation de la fabrication des médicaments. Par exemple, le principe actif du paracétamol, l’APAP  était produit dans les usines françaises à raison de 8000 tonnes par an jusqu’en 2008. Mais le prix de revient pour une quantité donnée, était de 4 € environ, contre 2 à 3 € en Inde ou en Chine. La délocalisation a permis à l’industrie pharmaceutique de réaliser des économies, mais aussi de s’affranchir des contraintes environnementales. Le paracétamol n’est pas un cas isolé, puisque aujourd’hui, 80% de nos médicaments sont fabriqués en Asie ou ailleurs et 20% en France, ce qui pose, entre autre, le problème de la traçabilité des produits. Pendant cette crise, l’Inde et la Chine ont fermé leurs exportations, et nous nous sommes trouvés à cours. Néanmoins, pour le futur, il ne faut pas regarder dans le rétroviseur, et l’autarcie n’est pas forcément la solution, car on doit analyser tous les coûts de la relocalisation. Si on construit des usines Seveso, avec tous les risques et toutes les conséquences sur l’environnement, pour produire le paracétamol en France, ce ne sera même pas forcément accompagné de création d’emploi car tout sera robotisé.

En ce qui concerne la coordination, la France est mal placée. En voici trois exemples.

  • Coordination entre le niveau national et le niveau régional: C’est un mille-feuille mal coordonné. Les ARS (Agences Régionales de Santé) sont en principe autonomes financièrement et fonctionnent avec un budget propre. Elles sont censées piloter la politique de santé, et réguler l’offre de santé au niveau régional. Mais les ARS sont elles mêmes coordonnées, c’est le ministère de l’économie qui fixe les budgets et le ministère de la santé qui définit les orientations. Dans les faits, l’ARS est toujours gérée par l’état.
  • Coordination avec la médecine de ville : On assiste, de la part de la médecine de ville, à l’abandon de certaines tâches comme les services de garde, ce qui contribue à l’engorgement des services d’urgences des hôpitaux. Mais cette fois-ci la médecine de ville a répondu présent et a fait largement face, bien que non associée en amont aux décisions. De la même façon on n’a pas pensé utiliser les compétences des laboratoires de ville pour le développement de test PCR. En France, quand on parle de santé, on pense hôpitaux, mais on ne va pas au bout de la logique, et on oublie que le système repose sur bien d’autres acteurs.

Coordination politico-scientifique : Cette coordination a été à géométrie variable. l’État, en se retranchant derrière l’avis des comités scientifiques, s’est comporté comme l’auxiliaire exécutif des sachants, en mettant en œuvre les préconisations de la « vérité » scientifique, ce qui a vidé la démocratie représentative de sa substance. Or la science ne produit pas de vérité, elle cherche à comprend et à décrire le monde. Elle ne peut pas servir d’argument politique pour justifier telle ou telle mesure. D’autre part, pourquoi avoir choisi un conseil si restreint, alors qu’il y a beaucoup de compétences dans ce domaine, dans les universités entre autres ?
Notre système souffre aussi de la logique financière. Depuis les années 2000, l’hôpital public, en concurrence avec les cliniques privées, doit satisfaire les critères de bonne gestion des deniers publics. Le concept d’hôpital-entreprise s’est imposé dans les faits et dans les esprits, ce qui a entraîné la suppression de 80 000 lits en 20 ans. La tarification à l’activité a eu des conséquences délétères. Le budget étant fondé sur le nombre des actes effectués, cela a entraîné une multiplication des examens, et des soins « rentables » au détriment de certains soins moins « rentables ».
Notons encore deux points : en France, les salaires des infirmières sont très largement inférieurs à ceux des autres pays européens, et les médecins sont trop peu nombreux.

Deuxième thème : Les résultats différents selon les pays.

 Philippe Thillay : Les comparaisons de la gestion de crise entre la France et l’Allemagne en matière de santé ont été également très commentées. Peut-on dire que les résultats globaux sont différents entre les deux pays et si oui pourquoi ?

Docteur Andrés Cattaneo ; Les deux approches sont très différentes. Le fédéralisme allemand semble plus efficace que le centralisme français, le taux de létalité semble le confirmer. C’est une opposition entre la monarchie républicaine et la démocratie parlementaire, entre le jacobinisme et le fédéralisme. En Allemagne, le consensus est la vertu cardinale, on ne peut pas dire que ce soit le cas en France, où il est perçu comme une compromission, voire une soumission.
L’Allemagne a confiné, ou plutôt a réduit les contacts sociaux, très rapidement alors qu’en France, nous n’avons rien fait entre janvier et mars, puis nous avons décidé un confinement strict. Les Allemands ont eu accès au dépistage dès le 12 janvier et l’Allemagne a même proposé des tests à toute l’Europe. Pourquoi la France n’en a-t-elle pas acheté ? Les tests ont permis à l’Allemagne de dresser un tableau de propagation du virus plus réaliste qu’ailleurs, ce qui a permis de contenir l’épidémie de façon plus ciblée. De plus, en Allemagne, les tests sont effectués par les généralistes et dans les maisons de santé : c’est une médecine de proximité.
Il y a aussi une grande différence dans les nombres de lits et de respirateurs disponibles dans les deux pays.
Les dépenses hospitalières sont beaucoup plus importantes en France qu’en Allemagne, mais en ce qui concerne la médecine de ville et la prévention, c’est l’Allemagne qui a le plus gros budget.
En Allemagne, le système fédéral a l’avantage de la proximité des territoires, mais il nécessite aussi une bonne coordination entre les Länder et le pouvoir fédéral. Sur ce point, la Chancelière s’en est plutôt bien sortie.

Cependant, le fédéralisme ne fait pas tout, puisque des systèmes de dictatures militaires ont aussi eu  de bons résultats, et que d’autres pays fédéraux ont connu une situation catastrophique, comme  les USA, pour avoir manqué d’une bonne coordination. 

Troisième thème : Le monde de la santé dans l’avenir.

Philippe Thillay : Quelles conclusions pouvez-vous en tirer pour l’avenir du monde de la santé ?

Docteur Andrés Cattaneo : Il faut prendre conscience que la santé ne doit pas être supportée par le système productif, mais que c’est un élément essentiel de valeur sociale économique, au même titre que l’éducation, par exemple. L’indépendance stratégique de la santé publique doit être garantie à terme. Il faut concevoir cette indépendance stratégique au niveau européen et même au niveau d’un multilatéralisme mondial incluant la Chine. On doit renforcer la coopération scientifique européenne qui doit sortir revigorée de cette épreuve.

Si vous me permettez une réflexion anthropologique, l’humanité est passée du stade où elle exploitait les ressources naturelles, à un stade agricole, puis industriel, et maintenant à l’automatisation, avec la révolution numérique et l’intelligence artificielle. Le prochain stade, à mon sens, sera axé sur la conscience, la défense de la vie, de la liberté, de l’égalité et de la dignité de chaque individu. Il faudra aller vers une nouvelle démocratie, de nouvelles institutions, et une nouvelle éducation.

Questions des auditeurs.

Dominique Renoult : Quels objectifs de santé mettre en œuvre en Europe ?

Docteur Andrés Cattaneo : L’Europe de la santé n’existe pas vraiment. Il existe bien une agence, mais qui n’a qu’un avis consultatif. Il faut une Europe beaucoup plus unie avec une industrie pharmaceutique européenne et pas seulement dans chaque pays. Il faut aussi une nouvelle façon d’aborder les problèmes, une nouvelle vision. La stratégie classique rationnelle de joueur d’échec sera de plus en plus remplacée par les stratégies apparemment farfelues des gamers actuels qui obtiennent des résultats en allant dans toutes les directions à la fois.

Gérard Grancher : Les coûts de la santé sont à peu près équivalents en Allemagne. Mais où dépense-t-on plus d’argent en France, puisqu’on en dépense moins sur la prévention ? Est-ce le salaire des médecins ?
Docteur Andrés Cattaneo: Les salaires des médecins sont difficiles à comparer. Pourtant, il s’agit dans les deux cas de systèmes « bismarkiens » même si la France se rapproche depuis quelques années du système « beveridgien ». En France les honoraires sont maintenant libres, surtout en médecine de ville, mais en gros, les médecins en Allemagne et en Grande-Bretagne sont payés 20% de plus qu’en France.
La différence des coûts ne résulte pas du salaire des médecins, mais de l’augmentation du nombre des personnels non sanitaires depuis quelques années, et du système bureaucratique qui fonctionne mal par manque de connexions entre les différentes instances, avec un déficit de leadership, et un trop plein d’intervenants, le tout avec des hiérarchies peu claires.

Philippe Thillay : Ce sont donc les frais de gestion qui sont en cause ?
Docteur Andrés Cattaneo : En Allemagne, les Länder ont un ministre de la santé, qui définit la politique de santé en fonction des objectifs et non en fonction des moyens. Le système est plus cohérent, mais on doit pouvoir y arriver aussi en France si on décentralise vraiment.

Dominique Renoult : J’appuie ce qui vient d’être dit. Il y a redondance et mauvaise organisation des filières de soins…..

 (Ici, j’ai eu une coupure de connexion internet de quelques minutes. Mes excuses à Dominique Renoult et à Mireille  Dinienne et peut-être d’autres, dont je n’ai pas pu entendre les questions et à Andrés Cattaneo dont je n’ai pas pu entendre les réponses.)…..

Dominique Lacaille : L’Italie fonctionne aussi par région, comme l’Allemagne. Mais les résultats ont été très différents.
Docteur Andrés Cattaneo : L’Italie est le premier pays qui a connu le déferlement de la pandémie, à la suite d’un match de football. L’Italie a aussi souffert d’un manque de masques et de tests, et les hôpitaux ont été les principaux pourvoyeurs de la dissémination. De plus le nord de l’Italie a de nombreux liens commerciaux avec la Chine.

Dominique Lacaille : Les ARS sont autonomes et en même temps elles sont les courroies de transmission de l’état. Quel est leur positionnement exact ?
Docteur Andrés Cattaneo : Théoriquement elles sont autonomes, mais c’est là tout le problème. Elles dépendent en fait de Ségur et de Bercy. Il faudra arriver à une réforme profonde de leur fonctionnement lors du Ségur de la santé. Pour moi, les ARS doivent continuer à exister mais d’une façon beaucoup plus autonome et elles doivent mieux communiquer entre elles : on a envoyé des patients en Allemagne alors qu’il y avait des places disponibles en France.

Philippe Thillay : En France on s’enferme dans des institutions, pas en Allemagne, ou on a une approche plus territoriale.
Docteur Andrés Cattaneo : Entièrement d’accord. C’est un élément clé de la santé.

Gérard Grancher : Qu’entendez-vous par les personnels non soignants ?
Docteur Andrés Cattaneo : C’est le personnel administratif qui gère les finances de l’hôpital, mais aussi le personnel technique, notamment en imagerie médicale et en laboratoire de biologie, qui sont indispensables au fonctionnement de l’hôpital.

Gérard Grancher : L’organisation de l’hôpital peut différer, et il est toujours très difficile de comparer d’un pays l’autre. Par exemple, on peut supprimer des postes de femmes de ménages, et faire appel à une société de nettoyage.

Mireille Didienne : Comment expliquer le manque de médecins spécialistes ?Docteur Andrés Cattaneo : C’est le produit d’une politique qui s’est fourvoyée depuis 30 ans. On manque aussi de de médecins en santé publique, pas seulement dans les secteurs nobles comme la cardiologie etc. Même si on change les méthodes maintenant, compte tenu du temps nécessaire à former un médecin, on ne verra pas les résultats tout de suite.

Dominique Renoult : L’organisation générale du système de santé est très difficile en France, mais aussi en Angleterre, en Allemagne ou en Belgique. Il pourrait y avoir des délégations de tâches plus importantes au sein de pôles de santé.
Docteur Andrés Cattaneo : Oui, on pourrait déléguer davantage. Par exemple, pour les diabétiques, beaucoup de ce qui est fait par les médecins pourrait être fait par des infirmières. Mais certaines réformes reçoivent une fin de non-recevoir : le médecin est le médecin, l’infirmière est l’infirmière.

Dominique Lacaille : Quel système pourrait remplacer la tarification à l’acte ?Docteur Andrés Cattaneo: :La tarification à l’acte n’est pas une mauvaise chose en soi, mais il faudrait l’adapter, la réadapter pour qu’elle tienne compte de la médecine de prévention.

Conclusions: Philippe Thillay remercie le Docteur Andrés Cattaneo et demande à Alain Ropers de mentionner les deux idées principales qu’il a retenues de cette visio-conférence :

  • Il est très difficile de comparer les systèmes de santé entre les pays, car ils sont issus de l’histoire propre à chacun et s’incluent dans des systèmes politiques différents. On ne peut comparer des choux et des carottes.
  • Par ailleurs, en France, nous sommes des sous-développés de la prévention, et nous sommes gênés dans notre coordination par un bureaucratisme et un centralisme étatique qui ne sait pas déléguer.

Fin de la visioconférence à 19 h 35

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Régie de la rencontre : Gérard Grancher,