Europe numérique: Séminaire, les temps forts

Europe, à l'heure numérique
Retrouvez  ci-dessous les différentes interventions

 L'Europe à l'heure numérique, l'enjeu économique

L'Europe à l'heure numérique, l'enjeu éthique

L'Europe à l'heure numérique, l'enjeu sociétal

L'Europe à l'heure numérique, l'enjeu géopolitique

L'Europe à l'heure numérique, les conclusions

 

 

L’Europe à l’heure numérique: l’enjeu géopolitique

L’EUROPE À L’HEURE DU NUMÉRIQUE – NOVEMBRE 2020
Semaine 3 : L’ENJEU GÉOPOLITIQUE
Visioconférence du 3 décembre 2020 – 17 h 30
Invité :
Gilles Babinet : Conseil National du Numérique, une instance de conseil du Gouvernement, et « Digital Champion » ou « Spin Doctor » représentant la France auprès de la Commission Européenne.

Animation : Philippe Penot
Régie : Gérard Grancher
Suivi des questions par le Chat : Florence Aston
Prise de notes : Alain Ropers

Ouverture de la session et réglages par Gérard Grancher. Conseils pour utiliser le chat. Une trentaine de participants connectés.
Présentation par Philippe Thillay de l’ensemble du cycle de conférences dans lequel s’inscrit celle-ci.

LA FIN DES MONOPOLES RÉGALIENS

Philippe PenotLa géopolitique classique repose sur la notion de territoire, d’état ; la notion de souveraineté est définie traditionnellement comme le pouvoir suprême exercé sur un territoire, à l’égard d’une population, par un État indépendant, libre de ses choix. Or, le cyberespace de par sa nature immatérielle et volatile, bouleverse la notion même de géopolitique.

En géopolitique digitale, le territoire est l’ensemble des réseaux d’information et de communication dont dispose un pays (câbles sous-marins, bandes passantes, serveurs, etc.). Les données numériques sont de nouveaux outils de puissance pour les États.
L’acteur principal en géopolitique traditionnelle est incontestablement l’État. À l’heure du digital, les états partagent cette puissance avec d’autres acteurs :

  • Des individus (Edward Snowdon, Julian Assange, etc.)
  • Des groupes d’individus (les hackers d’Anonymous, etc.) qui peuvent d’ailleurs être utilisés par les États pour régler leurs comptes avec d’autres États qualifiés d’hostiles (particulièrement les hackers russes et chinois)
  • Les géants du web : les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) américains et les BATX chinois (Biad, Ali baba, Tencent et Xiaomi). Ces data brokers, forts des data centers qu’ils détiennent et des applications qu’ils développent, sont considérés comme les acteurs les plus puissants sur l’échiquier des relations internationales.

Dans ce contexte de fin des états-nations, la souveraineté numérique est bien un enjeu géopolitique.
La souveraineté numérique, c’est-à-dire notre capacité à rester maîtres de nos choix, de nos décisions et de nos valeurs dans une société numérisée recouvre plusieurs aspects sur lesquels nous aimerions Monsieur Babinet avoir votre éclairage.
Ma première question, Monsieur Babinet, concernera la remise en question des monopoles régaliens (le privilège de battre monnaie, l’identification officielle, celui de la violence légitime…) à l’ère du numérique.  L’efficacité de nos services d’enquête judiciaire et de renseignement repose dorénavant sur des solutions étrangères et privées, par exemple pour le traitement de données.
Quel regard portez-vous sur cette atteinte à notre souveraineté par des acteurs sans aucune légitimité ?

Gilles BabinetMerci de vous intéresser à ces sujets passionnants et cruciaux. La géostratégie de la technologie devient un sujet fondamental et beaucoup d’études lui sont consacrées, surtout aux États-Unis, mais aussi en Europe. Les concepts militaires sont en train de changer de nature très profondément. Aujourd’hui, l’espace territorial n’a plus la même importance qu’auparavant et la part des acteurs privés délocalisés est d’une importance croissante. La technologie n’est pas neutre, comme le montre beaucoup de travaux de chercheurs et comme le montre l’histoire. L’invention du canon en Europe après celle de la poudre en chine, a eu une importance géostratégique indéniable, car ce sont ces inventions qui ont créé la parenthèse « westphalienne », puisque ceux qui pouvaient s’offrir ces technologies ont pris le dessus en agrégeant les petits, ceux qui n’ont pas pu en disposer.

Aujourd’hui, on se trouve dans un entre-deux. On assiste à une coalition entre acteurs privés et états impériaux. Citons les GAFAM avec l’État fédéral américain, ou les BATX avec l’État chinois. Les américains ont compris les premiers qu’il faut arriver à maîtriser ce type d’acteur.

En conclusion de cette première question, je constate que l’Europe n’a pas encore réussi à former une stratégie de ce genre parce que ce n’est possible que pour des états dont le pouvoir est très concentré. La fameuse subsidiarité européenne complique cette problématique :  chaque État peut avoir sa propre stratégie ; c’est ainsi que Huawei est entré au Portugal et en Italie. Ces désaccords sont souvent clivants et rendent la construction d’une doctrine commune difficile.

Philippe Penot. Un des aspects de la souveraineté régalienne, c’est le droit de battre monnaie. Actuellement, on assiste à l’essor des crypto-monnaies, comme le bitcoin. Quel est le risque de ce côté-là ?

Gilles Babinet. Les crypto-monnaies sont symptomatiques de ces technologies très décentralisées, sans banque centrale, sans chambre de compensation et donc le danger est que ces monnaies peuvent être manipulées de façon incontrôlée.

Il y a eu un projet alternatif au bitcoin, basé sur des technologies semblables, c’est le libra, imaginé par Facebook, Mais il y a eu une levée de boucliers des états, vis à vis d’une monnaie qui prétendait s’affranchir des banques centrales, et Facebook a compris qu’un système sans régulateur et banque centrale pouvait le décrédibiliser. Facebook a donc présenté une nouvelle copie. C’est maintenant une monnaie adossée au dollar et en fin de compte, c’est plus un système de transaction qu’une monnaie en tant que telle. Ces technologies ont leur origine dans la Silicon Valley, et sont portées par une idéologie libertarienne qui leur est consubstantielle.


LA SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE

 Philippe Penot. Deuxième dimension, la souveraineté numérique : comment conserver notre capacité autonome d’appréciation, de décision et d’action dans le cyberespace ? À ce titre, vous pourriez peut-être nous éclairer sur l’importance de l’arrêt du 16 juillet 2020 de la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’affaire qui oppose Facebook à l’Autrichien Maximilian Schrems relative aux transferts de données personnelles de l’Union européenne vers les États-Unis, pays qui oblige, nonobstant la RGPD, les opérateurs du net à mettre les données personnelles de ses utilisateurs à la disposition des autorités américaines, telles que la NSA et le FBI ?

Gilles Babinet. Après le Cloud Act adopté en 2018 par les Américains, une loi fédérale règlementant l’accès aux données de communication et notamment les données personnelles opérées dans le Cloud, les Européens avec l’arrêt « Schrems 2 » de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ont invalidé le système du « Privacy Shield » qui permettait le transfert de données personnelles vers les États-Unis Cet arrêt oblige également les responsables de traitement à repenser les transferts de données personnelles et leur encadrement.

Cette décision européenne montre que nous sommes dans un moment critique pour agir, une fenêtre de tir favorable, un momentum comme on dit en anglais. Un momentum pour se hisser au niveau du Cloud Act, en investissant davantage car nous sommes loin des investissements américains sur le sujet. Le risque est que si nous réussissons à créer un système de régulation efficace, il y ait une perte de marché pour ces sociétés américaines et que pour les aider les États-Unis renoncent au Cloud Act, faussant encore davantage la concurrence.

Philippe Penot. À quel niveau l’Europe intervient-elle ?

Gilles Babinet. Vous connaissez l’attitude très offensive du commissaire français, Thierry Breton, qui a demandé des comptes au patron Sundar Pichai alors que Google préparait une riposte au Digital Service Act. Ce texte en cours de préparation vise à donner la possibilité de réguler les grandes entreprises technologiques. Il s’agit d’une vraie réflexion sur cette notion de data et de souveraineté.

Il faut que l’Europe se réveille, avec un vrai projet stratégique, qu’elle crée, ce parapluie politico-technologique européen, vers lequel finiront par converger les pays regardant ailleurs, et même d’autres, comme Singapour ou d’autres qui cherchent à se rapprocher de l’UE car ils ont besoin d’évoluer dans le cadre d’alliances. C’est le moment d’avoir sur certains thèmes des discours unifiés. Un pas supplémentaire est à faire aujourd’hui dans le domaine de la technologie.


LES OUTILS NUMÉRIQUES

 Philippe Penot. Enfin, troisième enjeu, la souveraineté des outils numériques : comment maîtriser nos réseaux, nos communications électroniques et nos données, publiques ou personnelles ?  Face aux puissances en présence (entreprises aux capitaux presque illimités, États dont le comportement impérieux et peu soucieux du respect des droits fondamentaux n’est plus à démontrer, affaissement des États libéraux), quelle posture nos États démocratiques et l’Europe doivent-ils adopter ?

Quelles dispositions l’Europe doit-elle prendre pour restaurer notre souveraineté ?

 Gilles Babinet. Il y a une sorte de fatalisme qui consiste à laisser croire que les États non démocratiques avanceraient plus vite que les autres, mais je suis convaincu que ce n’est pas inéluctable, et qu’il faut faire émerger un projet de démocratie technologique. C’est le destin de l’Europe. La concentration de pouvoirs finit toujours mal, car le niveau de désinformation et de propagande, cachent les dysfonctionnements du pays. Par exemple, selon le Financial Times, il y aurait eu cinq millions de morts de la Covid-19 en Chine ce qui est très loin des chiffres annoncés. Pour assurer sa souveraineté, notamment dans le domaine numérique, l’Europe doit à mon sens bâtir une cyberstratégie militaire en dehors de l’OTAN.
Et pour cela, il faut d’urgence investir sur le long terme.

  • Augmenter les investissements dans la recherche fondamentale. L’Europe est la partie du monde qui comprend le plus de prix Nobel, le plus de publications scientifiques, etc. et elle est la mieux dotée en termes d’infrastructures télécom. Nous devrions pouvoir mettre en place nos propres plateformes.
  • Renforcer la recherche universitaire avec obligation de transfert de technologie
  • Augmenter les investissements dans les start-up
  • Orienter les systèmes éducatifs dans ce sens

Il n’est pas trop tard pour faire de l’Europe la première zone de recherche et d’innovation, même si jusqu’à présent nous n’avons pas été capables de faire ce projet susceptible d’entraîner l’adhésion des citoyens européens.

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

 Florence Aston a noté les questions de Charles Maréchal, Michel Le Stum et Gérard Grancher.

Michel Le Stum. Parmi les pays impériaux, vous n’avez pas parlé de la Russie. Pourquoi ne l’avez-vous pas citée ?
Gilles Babinet. Oui, la Russie met aussi en œuvre un soft power, avec la technologie qui en fait un leader en termes de désinformation et de propagande. Mais tous les indicateurs économiques montrent que la Russie est en phase d’écroulement. Sa stratégie est très coûteuse, la corruption la gangrène, et elle perd cinq places tous les deux ans dans le classement des puissances économiques mondiales. La forte gesticulation de Vladimir Poutine, les restes d’un outil militaire puissant et d’une technologie brillante entretenue par la propagande peuvent faire illusion, mais pour moi, c’est le chant du cygne.

Gérard Grancher. Toutes les grandes entreprises technologiques sont aujourd’hui américaines et demain peut-être aussi chinoises. Pourtant l’Europe a souvent été à l’origine des inventions qui ont conduit à ce développement numérique. Comment combler cet écart ?
Gilles Babinet. L’écart s’explique par les montants considérables investis par les Américains, notamment sur le financement direct universitaire. L’Europe met moins d’argent et même moins qu’auparavant.
De plus, pour lancer une technologie sur le marché, il faut une piste de décollage. Aux USA, ils ont 330 millions de personnes pour tester un nouveau produit sur le marché. En Europe, nous sommes 500 millions, mais les règlementations particulières de chaque État ne permettent pas d’aller aussi vite. La Commission Européenne en a pris conscience et souhaite bâtir cette cyberstratégie.

Parmi les états ayant un certain niveau d’expérience technologique il faut aussi citer Israël. Mais en Israël, il faut savoir que les universités, le système militaire, le venture capital, et quasiment toutes les capacités technologiques sont intégrées aux USA. Israël est presque un satellite des USA en matière de technologie et se sert des USA et du marché américain comme terrain de jeux pour lancer ses start-ups.

Charles Maréchal. Que pouvez-vous nous dire du projet Gaïa-X ?
Gilles Babinet. C’est une initiative franco-allemande devenue le projet Gaïa-X. Elle a été présentée en octobre 2019. Un an plus tard, cette initiative est devenue un projet de cloud européen avec pour objectif d’assurer une meilleure souveraineté numérique à l’Europe. Il peut se définir par ses acteurs privés : 180 entreprises ont rejoint l’initiative lancée initialement par 22 entreprises franco-allemandes, mais il faut trouver la taille critique. C’est bien et prometteur, mais il semblerait que la technologie informatique sur laquelle repose le projet Gaia-X ne soit pas la meilleure et que des améliorations soient possibles.

Hadrien Simon. Peut-on rêver d’avoir un jour un géant privé du numérique en France ou en Europe ?
Gilles Babinet. C’est une bonne question. Je ne sais pas répondre. Je dirai que le travail est convenablement fait avec la fondation de la BPI, un organisme bien géré qui a accéléré l’écosystème d’innovation des start-ups européennes. Que se passe-t-il quand on devient une menace pour l’un des GAFAM ? Ils sont prêts à payer des sommes délirantes pour vous acheter. On a vu des exemples en Grande Bretagne et ailleurs. Cela pose d’ailleurs une question antitrust. Le régulateur européen devrait leur interdire de faire la moindre acquisition.

Annick Tesnière. Le corona virus et la crise sanitaire que nous connaissons vont-ils booster les innovations européennes ?
Gilles Babinet. Sur le plan macroéconomique on s’en sort un peu moins bien que les zones chinoises ou américaines. Les USA ont une banque centrale dont le mandat est différent de celui de la BCE. De ce fait ils s’en tirent mieux sur le plan économique, mais ce sera une catastrophe sociale bien plus grande qu’en Europe, même si ici les situations sont plus hétéroclites.
En Europe il y a eu une prise de conscience plus ouverte à de nouveaux types de management moins traditionnels.

Par ailleurs, la fermeture des frontières n’est pas acceptable, car elle serait source de conflits potentiels. Il faut accepter la mondialisation et la globalisation du commerce et en traiter les inconvénients, mais elles ne peuvent être remises en cause.

En revanche on a assisté à une résilience forte des supply chains (chaînes de distribution) par la technologie, notamment dans le domaine de l’alimentaire. Et la part de la technologie est souvent en train de croître chez certains acteurs traditionnels.

Philippe Thillay. Thierry Breton est pas mal attaqué. Qui sont les auteurs des mises en cause, et quelles sont leurs raisons ?
Gilles Babinet. C’est très impressionnant. Le Point a sorti cette fameuse lettre de Google très agressive envers Thierry Breton. Oui on a un problème. On devrait durcir fortement les règles du lobbying. C’est en cours à Bruxelles. Aujourd’hui on condamne moralement l’action des lobbies, demain, on les condamnera légalement.

Les GAFAM agissent indirectement, en utilisant des think tanks tiers, pour être toujours les premiers sur la balle. À chaque question de la Commission, ils sont les premiers à apporter des réponses dès le lendemain matin. Ils sont souvent plus rapides, plus pertinents que les acteurs indépendants.

Michel Delfin. Thierry Breton ne s’interdit pas de parler de démantèlement des monopoles. Qu’en pensez-vous ?
Gilles Babinet. C’est totalement normal pour l’autorité de la concurrence. L’objectif n’est pas d’affaiblir la concurrence, mais il faut résoudre les distorsions concurrentielles. Le démantèlement n’est pas forcément la sanction la plus dure. Mais si on coupe Google en petits morceaux, rien de prouve qu’il ne sera pas encore plus efficace. La mesure la plus dure, c’est la baisse de parts de marchés en créant un groupe concurrent. C’est arrivé soit par des mouvements d’acquisitions ou de fusions acquisition, soit le démantèlement par des réductions de parts de marchés.

Philippe Penot. L’arme fiscale peut-elle être efficace ?
Gilles Babinet. Oui et non. On s’est rendu compte que la France et les USA seraient perdants de la réintégration de certains capitaux venant des paradis fiscaux, alors que d’autres pays seraient gagnants. L’arme fiscale est plus dans le sens de réarmer les états y compris les États Unis vis-à-vis de ces acteurs extrêmement border lines. Tous les GAFAM ont une culture libertarienne incubée dans la Silicon Valley, sauf Microsoft qui vient de Seattle. En France, on ne dit pas libertarien, mais libéral, et même ultralibéral.

Jean Pierre Girod. En Europe quand on parle de concurrence libre et non faussée, ça pose le problème de la taxation. Les GAFAM échappent pour grande partie à l’impôt en ce qui concerne leurs activités en Europe, ce qui entraîne une concurrence déloyale.
Gilles Babinet. Vous savez c’est très généralisé. Renault aussi utilise les paradis fiscaux. D’ailleurs, la holding de Renault se trouve aux Pays-Bas.

Philippe Penot. Si l’Europe devait prendre deux décisions majeures et en urgence pour corriger les déséquilibres. Quelles devraient être ces décisions ?
Gilles Babinet. Malheureusement le coup de baguette magique n’existe pas.
Sans être militariste, la première décision c’est de créer un outil de cyberdéfense européenne. Il faudra un jour que l’Europe s’assure.
La deuxième, c’est le contraire de l’urgence c’est investir dans le très long terme, dans la recherche en général.
Il faut aussi arrêter la compétition fiscale inter-européenne, beaucoup plus grande qu’aux USA.

Il va falloir aussi accepter de faire un choix pour certains pays de faire des partenariats et d’avoir des coopérations renforcées. On devrait sortir Orban de l’Europe. On a aussi un problème avec les Polonais qu’il faudra aussi régler.
Et nous, en France, on doit avoir une certaine orthodoxie budgétaire, pour être crédible aux yeux des Allemands. On ne peut pas rester avec 57 % de dépenses publiques obligatoires et dans le même temps l’inefficacité de l’action publique qu’on connaît.

Michel Le Stum. Investir en cyberdéfense n’est-ce pas une façon détournée de financer des projets technologiques qu’on ne sait pas financer autrement à cause de la concurrence ?
Gilles Babinet. La défense et très semblable à la recherche fondamentale. Projeter une menace sur le très long terme c’est détecter des tendances de fond, positionner les investissements en conséquence.
Là, c’est très clairement la montée de la cyber-agression capable d’arrêter les hôpitaux, les administrations, les réseaux, et tout. C’est une menace d’ordre premier dont il faut tenir compte dans les négociations qui suivent. C’est une négociation permanente, c’est la Real Politik la plus absolue. C’est moins cher que d’envoyer la plus petite armée et c’est plus efficace.

Si on n’est pas capable de faire ça, on sera les vassaux de tout un tas d’acteurs même beaucoup plus petits que nous.

CONCLUSIONS

 Philippe Penot. Merci M. Babinet. Le temps tourne. Nous arrivons à la fin de cette visioconférence. 

Synthèse par Alain Ropers. C’était riche et intéressant, quelquefois un peu ardu. Ce serait peut-être bien d’avoir un petit glossaire en accompagnement. J’ai noté quelques idées fortes.

La première c’est que nous sommes dans la fin des modèles régaliens et que beaucoup d’acteurs d’origine diverses, comme les hackers, les géants du numérique, etc. prennent une puissance aussi grande voire plus grande que les états, et que cela menace notre souveraineté numérique.
Certains passages de la conférence me paraissaient plutôt réservés aux spécialistes, comme les cyber-monnaies, ou l’arrêté de la Cour de Justice Européenne dans l’affaire Maximilian Schrems.  Je me renseignerai sur internet.

J’ai trouvé très intéressant tous les efforts faits par l’Union européenne notamment la manière offensive dont Thierry Breton s’empare du problème. On sent bien que c’est là le nœud de l’affaire, c’est là qu’il faut agir.

Le Message de M Babinet c’est de nous faire penser à long terme, en investissant dans le domaine de la cyber-sécurité militaire, domaine dans lequel l’Europe doit se positionner puisqu’on voit que le parapluie américain n’est pas bien sûr de fonctionner. Il y a là une occasion de mettre des budgets dans la recherche fondamentale, qui fait appel aux mêmes leviers et aux mêmes recherches que la cyberdéfense et qui peut produire des résultats intéressants.  D’ailleurs, cela n’a pas été rappelé, mais Internet était à l’origine un développement militaire.

Cette conférence était très riche, très dense, et manifestement M Babinet connaît très bien son sujet. Merci.

Gilles Babinet. Magnifique conclusion. Merci de votre initiative, de vos travaux. C’est formidable de brasser des idées et de faire avancer les prises de conscience. Ce que vous faites est extrêmement vertueux. Pour finir, je voudrais vous faire partager un de mes motos favoris. Pancho Villa disait qu’il suffit de cent hommes décidés pour faire une révolution. Quand j’arrive à faire passer une idée et que d’autres la font leur, elle devient très générale. Chacun d’entre nous peut faire ça ou l’a déjà fait.  En s’y mettant à plusieurs on arrive à diffuser des idées extrêmement fortes et à les rendre réelles. Voilà pourquoi je salue vos travaux.

Philippe Penot. Merci de nous avoir consacré du temps dans un emploi du temps que je sais très serré. J’ai noté deux phrases que vous avez prononcées, et qui peuvent servir de conclusion : « Tout n’est pas perdu. Mais il faut se réveiller. »

Conclusion de Philippe Thillay. Rien à ajouter. J’ai beaucoup appris. Il faut continuer de se cultiver sur cette question pour pouvoir aller porter le projet européen dans sa dimension numérique.
Merci à tous d’avoir été attentifs et merci à Gilles Babinet. Merci à la partie technique Jean-Marc, Gérard, Florence et Alain. Rendez-vous demain pour la séance de synthèse.

 Fin de la visioconférence, à 19 h 10.

Textes à découvrir

Une Europe plus verte, plus numérique et plus “géopolitique” :
La Présidente élue de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est exprimée le mercredi 27 novembre 2019 devant le Parlement européen réuni en session plénière à Strasbourg. A cette occasion, elle a présenté son “Collège”de commissaires et leur programme. Le Parlement européen a approuvé la nouvelle Commission, qui entrera en fonction le 1er décembre 2019.
https://ec.europa.eu/france/news/20191128/discours_ursula_von_der_leyen_fr

Une stratégie mondiale ?
Avec la prochaine loi sur les services numériques, l’UE vise à façonner l’économie numérique, non seulement au niveau européen mais aussi pour être une référence au niveau mondial, comme elle l’a fait pour la protection des données.
https://www.europarl.europa.eu/news/fr/agenda/briefing/2020-10-19/1/priorites-du-parlement-pour-la-future-loi-sur-les-services-numeriques

Numérique : La Cour de Justice de l’UE consacre le principe de neutralité du net.
Les mesures pratiquées par certains fournisseurs d’accès à Internet vont à l’encontre du principe d’égalité de traitement et d’accès des contenus en ligne, a considéré la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt rendu mardi 15 septembre2020.
https://www.touteleurope.eu/actualite/breve-numerique-la-cour-de-justice-de-l-union-europeenne-consacre-le-principe-de-neutralite-du.html

Souveraineté numérique : quelles stratégies pour la France et l’Europe ? Fiscalité des GAFAM, risques d’ingérence de puissances étrangères, dépendance de l’État vis-à-vis d’acteurs technologiques extra-européens… La souveraineté numérique met en évidence la nécessité de faire émerger en Europe de nouveaux acteurs du numérique dont les activités respecteraient les principes et les valeurs des Européens.
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/276126-souverainete-numerique-quelles-strategies-pour-la-france-et-leurope

Infographie

Le numérique dans l’Union européenne :
Une frise sur Le marché unique numérique en Europe. Déroulé historique de la démarche et des actions de l’UE.
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/digital-single-market/

 Vidéos

L’Estonie, paradis du numérique.
Daniel Cohn-Bendit est impressionné par le pays balte, où l’administration est presque intégralement dématérialisée.

Numérique : l’Europe à la traîne ?
Paris capitale de la Tech au salon de 17 mai 2019. L’Élysée a réuni 80 grands patrons du numérique pour promouvoir le numérique en Europe. Table ronde avec Pascale Joanin (Rapport Robert Schuman), Guillaume Leboucher de IA pour l’École et Aurélien Sousset.

Internet ou un raté français !

I. Falque-Pierrotin (CNIL) “Les données des Européens profitent aux acteurs internationaux.
Isabelle Falque-Pierrotin est présidente de la CNIL, cette autorité administrative française chargée entre autres de garantir que les usages d’Internet ne portent pas atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles. Dans cet entretien, elle explique pourquoi les acteurs internationaux qui utilisent nos données personnelles devront respecter le droit européen.

L’Europe à l’heure numérique: l’enjeu sociétal, la suite

Vidéoconférence  enregistrée
le vendredi 27 novembre

Avec Philippe Vidal, Géographe,
Professeur des Universités, Le Havre

Retrouvez ici l’enregistrement vidéo de la conférence et des échanges:
https://bit.ly/27-11-enjeu-societal

Téléchargez :
le compte rendu,
Le diaporama support

de la conférence
 : L’enjeu sociétal
du 27 novembre 2020 – 14 h 30 

Animation : Philippe Thillay
Régie : Jean-Marc Delagneau et Gérard Grancher
Suivi des questions par le chat : Florence Aston
Prise de notes : Alain Ropers
Ouverture de la session et réglages par Jean-Marc Delagneau et Gérard Grancher. Conseils pour utiliser le chat. Florence Aston
26 participants connectés.

Propos d’accueil par Philippe Thillay. C’est notre troisième visioconférence, après les précédentes consacrées aux enjeux économiques et éthiques du numérique, nous nous intéressons aujourd’hui aux enjeux sociétaux.
Le numérique va être pour l’Europe une priorité pour les années à venir et intervient pour 20% dans le budget du plan de relance. Le numérique est présent partout et entraîne une transformation considérable de notre société.

Au Mouvement européen de Seine Maritime, nous ne sommes pas des spécialistes, mais notre rôle est de mettre en avant le fait que l’Union européenne prend conscience du phénomène, qu’elle est potentiellement à la hauteur des enjeux pour réussir cette transformation.
Philippe Vidal est professeur des universités au Havre, en géographie et en aménagement du territoire. Il a travaillé sur les conséquences du déploiement du numérique sur l’habitat, sur les politiques publiques et sur l’urbanisme.
Je le remercie de nous consacrer cet après-midi et je lui laisse la parole.

Philippe Vidal. Merci de votre accueil. Vous m’interrogez sur un sujet qui renvoie à la question sociétale. Je suis géographe, pas sociologue. Mais les géographes prennent forcément en compte ces sujets et je vous propose de vous parler des implications du numérique selon trois angles d’attaque.

  • Le numérique territorial et ses enjeux sociétaux
  • L’Europe à l’origine du numérique
  • Les orientations européennes pour le numérique

LE NUMÉRIQUE TERRITORIAL ET SES ENJEUX SOCIÉTAUX

Je suis professeur de géographie et j’analyse les modifications que le numérique engendre sur l’habitat ou sur la production de nouvelles territorialités, la relation à l’espace, à l’urbanité, aux mobilités. Mon travail sur l’aménagement du territoire me permet d’analyser les politiques publiques d’aménagement et de planification des territoires à l’heure du numérique. Et mes recherches sur l’urbanisme m’amènent à analyser la place du numérique dans l’organisation et la requalification des espaces urbains. En tant que chercheur depuis 1994, année de ma maîtrise, je m’intéresse à l’influence du numérique sur les processus contemporains de transformation des sociétés.

Quelles sont les raisons de l’inégale diffusion et appropriation du numérique au sein des territoires ?
Quelles dynamiques territoriales sont engendrées par le numérique ?
Le numérique donne-t-il, redonne-t-il, ou enlève-t-il de la valeur à l’espace ?
Pour moi, la notion de numérique mérite d’être précisée, et recouvre trois domaines bien distincts.

  • Les infrastructures de télécommunication et les équipements divers, ce qui suppose des questions de connectivité des territoires et d’accès des organisations et des particuliers aux réseaux informatiques.
  • Les contenus, services matérialisés, données en provenance de la sphère marchande, publique ou de la société civile.
  • L’usage, et les usagers, qui s’organisent parfois en communautés et utilisent le numérique et sa collection d’outils comme moyens de mieux gérer leur quotidienneté.

Pour que le numérique soit un opérateur très important de lien territorial, il faut que les trois éléments de ce triptyque fonctionnent ensemble.
Aujourd’hui, les conséquences sociétales du numérique se déclinent, à mon sens, suivant six enjeux principaux, concernant les habitants, la régulation publique, la justice spatiale, la justice sociale, la formation et la démocratie.

Enjeux pour les habitants

Quelle est la place de l’habitant dans les politiques publiques du numérique territorial, dans les offres privées urbano-numériques et au sein des smart-territoires ?
Habiter c’est vivre dans un espace qu’on s’approprie, le traverser, s’y mouvoir, en rester captif tout en étant en lien. Le numérique y joue le rôle de lien territorial. Citons pêle-mêle : le télétravail, les achats en ligne ou en drive, les rencontres, la gestion des mobilités, les relations à l’administration, le tourisme, etc.
Le rapport au monde est désormais un rapport aux services médiés par le numérique. C’est une technologie au service des besoins sociétaux, malgré des réticences de la part de certains publics au regard de risques supposés ou réels.

Enjeu de régulation publique

Pour la première fois les acteurs publics se trouvent en face d’évolutions non décidées par eux et non totalement maîtrisées. Ils ont perdu la main, c’est une situation dangereuse. Cette évolution, depuis 1993 a vu trois grandes périodes, que j’appellerai Web 1.0, Web 2.0, Web 3.0.
Web 1.0 concerne l’information. Création d’un gigantesque annuaire électronique mondial qui échappe au monopole des pouvoirs publics, mais ne remet pas en question son rôle dans la gestion des affaires territoriales. C’est en France l’époque du minitel.

Web 2.0 concerne les services. Le secteur privé et la société publique réinventent des services de gestion de la proximité. Cette innovation sociale échappe en grande partie à l’acteur public qui perd la maîtrise de ce qui se passe sur son territoire, et perd la fiscalité qui va avec. C’est l’apparition de Airbnb, Uber, Blablacar, etc.

Web 3.0 concerne les données. La remontée des données en direction des usagers capables de les traiter est une opportunité pour les acteurs publics de reprendre la main, pour gérer la proximité, non seulement en temps réel, mais aussi de façon prédictive. Ce sont les Smart-Cities, les territoires intelligents.

Enjeux de justice spatiale

L’Europe nourrit historiquement la construction d’une territorialité européenne sur la correction des disparités régionales. Or, le numérique peut être générateur de différenciation territoriale, de rupture d’égalité.
Il y a d’abord eu une première fracture territoriale entre les grandes villes, mieux équipées en infrastructure numérique, car plus rentables pour les opérateurs et le reste du territoire, avec un sentiment d’exclusion de la part des habitants des campagnes et des zones périphériques.

Cette fracture augmente encore avec les avancées novatrices des Smart-Cities, ces villes repensées ex nihilo qui élargissent fortement le spectre des équipements numériques, permettant ainsi aux élus des grandes métropoles de s’engager dans des politiques publiques et des dispositifs concrets marquant physiquement leur territoire.
C’est une tendance qui a à voir avec le sociétal plus qu’avec le technique et qui alimente le spectre du déclassement urbain et de la relégation. C’est une rupture d’égalité entre les villes.

Enjeux de justice sociale

Il s’agit de délaisser ou ne pas délaisser les habitants des territoires isolés. Un peu partout des services publics ferment et sont peu à peu remplacés par des services médiés par le numérique. On voit le même phénomène avec la télémédecine qui remplace petit à petit les anciens médecins de campagne qui sont partis.
Or, tout le monde n’est pas en capacité de se saisir de ces outils qui se déploient. Il faut permettre à ces habitants d’accéder quand même à ces services qui sont actuellement une alternative, et qui seront demain une obligation.
Tout le monde n’habite pas le même monde numérique, et à l’intérieur d’un même monde numérique les gens sont différents. Une partie de l’urbanité échappe à une partie de la population.

Enjeux de formation.

Au-delà des marginalités territoriales, une autre forme de marginalité s’installe à cause de la capacité inégale des gens à s’approprier cette culture numérique désormais globale et foisonnante. Par exemple, aujourd’hui, avec le confinement de la Covid, si je n’ai pas d’imprimante, je ne sors pas parce que je ne sais pas imprimer une attestation.
Pour l’instant, nous sommes dans un numérique encore assez rudimentaire, mais qui devient de plus en plus sophistiqué. D’où l’enjeu de formation aujourd’hui devenu indispensable.

Enjeu de démocratie et de gouvernance

Les municipalités développent des plateformes pour fluidifier les relations entre les citoyens et les élus, plateformes sur lesquelles les citoyens peuvent intervenir, donner leur avis, etc. Dans les services de proximité nous trouvons encore peu d’outils destinés à l’auto-organisation des citoyens et à leurs capacités d’interpellation politique. Mais il y a de nombreux outils au service de la gouvernance contributive pour développer la « participation ».

Réponses à quelques questions posées sur le chat

Florence Aston transmet une remarque de Michel Le Stum, selon lequel le minitel créait une sorte de « protolien » territorial en permettant l’accès à tous, avec le même débit, de façon égalitaire. Et Florence Aston complète la question : l’État a-t-il les moyens d’obliger les opérateurs majoritaires à couvrir toutes les communes, qu’elles soient rentables ou pas ?

Philippe Vidal. L’État s’est doté de ces moyens mais très récemment. Pendant très longtemps, l’État voulait que cette couverture soit totale dès le départ. C’étaient ce qu’on a appelé les autoroutes de l’information en 1994 sous Balladur, qui prévoyait que pour 2015 l’ensemble du territoire national soit couvert. En 2004 on a essayé les PPP (partenariats public-privé) et les RIC (Réseau d’Initiative Publique). Aujourd’hui, c’est le « new deal mobile », autour de la 4G et de la 5G, qui dote l’État de moyens réglementaires pour accorder aux opérateurs des droits en contrepartie de certaines obligations.

Florence Aston. Une observation de Philippe Penot. Obligation de couverture, c’est bien mais la faire appliquer c’est autre chose.

Philippe Vidal.  La fracture numérique c’est un puits sans fond. La 5G ne va pas apparaître, y compris dans les espaces ruraux, de façon miraculeuse.

Philippe Thillay. J’ai passé ces jours-ci un peu de temps à la campagne près d’Yvetot, et j’ai retrouvé les souvenirs de l’internet des origines.

Florence AstonGérard Grancher s’inquiète : la formation dans la domaine du numérique est essentielle, les besoins évoluent très rapidement, mais en France il n’existe pas de tradition de formations continue et permanente. N’est-ce pas un handicap pour notre pays ?

Philippe Vidal.  C’est un axe fort de la politique européenne pour 2021-2027 qui va tenter de répondre à cette difficulté. Il faut aussi souligner le rôle majeur des EPN (Espaces Publics Numériques), financés en partie par l’État, et qui ont fortement contribué dès 1999 à acculturer les populations et à réduire ces inégalités, même si ce n’est bien sûr pas encore suffisant.

Philippe Penot. Se pose aussi la question des générations. On sait que ce sont les plus anciens qui ont le plus de mal avec le numérique. Mais chez les jeunes, est-ce qu’on retrouve cette fracture numérique ?

Philippe Vidal.  C’est la question centrale de la fracture numérique, même si pour moi ce mot est un peu fort. Dans l’esprit des pouvoirs publics, il s’agit surtout de problèmes d’infrastructure. En réalité, ce sont des usages très différenciés. Manuel Castells auteur de « La société en réseaux » paru en 2003, disait qu’il connaissait la solution : il suffit d’attendre trente ans. Les anciennes générations allaient disparaître, et les nouvelles générations, baignées dans le numérique allaient s’en tirer. Mais aujourd’hui, en 2020, on voit que ce n’est pas une question d’attente. Plus on est jeune, moins l’apprentissage du numérique est quelque chose de pensé, mais plutôt spontané et passif. Ce qui fait qu’on n’apprend rien sinon à être dépendant des outils. En fait, il faut former toutes les cohortes, pas seulement les plus âgés, de façon à dominer l’outil et non être dominé par l’outil.

 Bertrand Legendre. Tout dépend ce qu’on entend par le mot « numérique » qui représente en même temps des choses différentes et des pratiques très éloignées les unes des autres. Pour beaucoup de jeunes, le numérique se résume à tweeter, consulter un groupe d’amis sur Facebook, etc. pour eux, ce n’est pas forcément un outil de travail structuré, comme un carnet d’adresse, ou une liste de liens web utilisés comme une bibliothèque, etc.

Philippe Thillay. C’est le même type d’inactivité que face à la lecture et à l’écriture, il faut apprendre. Si on n’apprend pas le numérique, ce sera pareil.
Mais il est temps de passer au deuxième volet de notre conférence.

L’EUROPE À L’ORIGINE DU NUMÉRIQUE

Philippe Thillay. L’Union européenne souhaite réduire la fracture entre les différents territoires, faire se rapprocher les citoyens, travailler sur les ruptures d’égalité, etc. Comment l’Europe s’empare-t-elle de ces questions numériques ?

Philippe Vidal (Après avoir répondu à une observation de Michel Le Stum sur le chat, au sujet de Castells et de son livre « la société en réseaux »).
L’Europe et le numérique c’est une vieille histoire presqu’aussi vieille que celle des USA et du numérique. Toutes les générations de politiques européennes ont fait face à la même triple problématique.

  • Donner l’impulsion, c’est-à-dire créer les conditions du marché unifié pour les infrastructures, les innovations, etc.
  • Réguler le marché, pour la protection des citoyens et des consommateurs européens.
  • Maintenir solidarité et équilibre dans le développement solidaire de l’espace européen.

Une difficulté, c’est que le numérique est un objet spécifique et transversal, intégré dans toutes les politiques sectorielles. Les programmes pour une Europe numérique complètent et accompagnent les autres programmes mis en place par l’Union européenne.
De plus la politique européenne est influencée par celle des USA, la « National Information Infrastructure » rédigée en 1993. La réponse européenne est donnée par le livre blanc du rapport Bangemann en 1994 « Growth, competitiveness and employment. Report on Europe and the global information society » qui décrivait la façon dont les TIC (Technologies de l’information) bouleversent le fonctionnement de nos sociétés.
Les politiques européennes sur le numériques se sont déroulées en trois temps :

Temps 1. Le temps du projet de société (1994-1999)

L’Europe a eu un rôle majeur dans le déploiement du numérique elle est partie avant les états, en publiant des livres blancs définissant les axes à développer, en tenant compte des enjeux sociétaux, administratifs, et économiques. Considérant que les villes de moins de 20 000 habitants représentaient des lieux d’observations privilégiés, l’Europe a associé quatre villes européennes, les « digital towns », chacune formant un consortium d’industriels, de chercheurs en sciences sociales, d’élus et de techniciens de la collectivité. Il s’agit de Parthenay (Poitou Charentes), Torgau (Allemagne), Arnedo (Espagne) et Weinstadt (Allemagne). Dans ces villes on a expérimenté de l’innovation sociale, par exemple avec l’analyse des besoins des utilisateurs, puis une logique de démonstration avec la mise en place d’applications concrètes, comme l’ouverture d’un cybermarché, etc. Ce sont les projets ERISA ou SERISE en français (Stratégie Européenne et Régionale pour l’Information dans la Société de l’Économie).

Temps 2. Le temps de l’ambition globale (1999-2005)

Le traité de Lisbonne développe des objectifs ambitieux au plus fort de la bulle internet, mais les résultats sont estimés décevants notamment en matière de dynamiques économiques. Aussi, un deuxième plan, appelé i2010 a sacrifié un peu les aspects sociaux et environnementaux pourtant essentiels dans le traité de Lisbonne, pour se recentrer sur les perspectives économiques.

Temps 3. Le temps de l’économie (2005-2020)

Ce plan i2010, qui vise la période 2005-2010 est complété par un plan Europe 2010, visant la période 2010-2020. L’Union européenne continue ses efforts en matière d’infrastructures de télécommunication, renforce ses outils de recherche et développement, et bâtit une stratégie pour un marché unique numérique. C’est le projet ELBA (European Location Based Advertising) et la « Gigabit Society » ou le gigabit pour tous. Pour tous les pôles d’activité (écoles, plateformes de transport, administrations, entreprises, etc.), toutes les zones urbaines qui doivent disposer d’une couverture 5G, et tous les foyers européens qui doivent bénéficier d’une connexion d’au moins 100 Mb/s.

Philippe Thillay. Ce qui nous amène à aujourd’hui. Nous abordons donc la troisième partie de la conférence : les orientations européennes pour le numérique.

LES ORIENTATIONS EUROPÉENNES POUR LE NUMÉRIQUE

Philippe Vidal. Il est important de faire le bilan de l’existant. Je vous montre des cartes de l’Europe montrant les développements numériques différents selon chaque pays, sur le plan de la connectivité, du capital humain (la littératie numérique), des usages, de l’équipement des entreprises, de la numérisation des services publics ; et enfin, une carte représentant la moyenne européenne de tout ça. Ces images sont un résumé, elles permettent d’avoir une vue globale, mais c’est bien sûr au détriment d’une certaine finesse d’analyse.

Sur toutes ces cartes, on voit que les pays scandinaves sont en avance, que les pays de l’est et du sud sont un peu à la traîne, et que la France se trouve faire partie d’un groupe nombreux de pays entre ces deux extrêmes. Pour la France, il convient de préciser qu’il y a de gros contrastes entre certaines zone qui sont très en avance et d’autres très en retard.
Les grandes orientations de l’Europe portent principalement sur les points suivants.

  • Des efforts importants sur la régulation (marchés, data, etc.)
  • Des dispositifs de plus en plus nombreux pour favoriser l’économie numérique et la recherche et développement.
  • Une considération de plus en plus forte pour les métropoles, notamment autour du référentiel de Smart-City.

Ces orientations se déclinent sur les six enjeux dont nous avons parlé plus haut, et pour lesquels on essaie d’améliorer les choses grâce au numérique.

  • Pour l’enjeu habitants, ce sont les Smart-Cities pour les habitants les plus impliqués.
  • Pour l’enjeu de régulation publique, il s’agit d’harmoniser les régulations nationales et de renforcer la cyber-sécurité (data).
  • En ce qui concerne l’enjeu de justice spatiale, de gros efforts sont faits autour du Gigabit pour tous.
  • Pour l’enjeu de justice sociale, il y a, entre autres, le développement de la télémédecine (EU4Health).
  • En ce qui concerne l’enjeu formation et d’éducation numérique, on développe la formation informatique de travailleurs, à tous les niveaux de compétence.
  • Enfin, pour les enjeux de démocratie et de gouvernance, il s’agit de renforcer les droits des usagers et protéger leurs données.

Ces éléments ne constituent bien entendu pas une liste exhaustive. Ils sont donnés à titre d’exemple et d’illustration.
Pour finir la présentation, je dirais que l’Europe et les citoyens européens sont à la croisée des chemins. Quatre scénarios sont possibles. Deux sont à éviter, à mon sens, et deux sont davantage porteurs d’espoir.

Les scénarios éviter :

  • Aller vers un modèle dérégulé permettant aux plateformes de gagner au détriment des États et des citoyens.
  • Aller vers le modèle chinois, imposant de façon autoritaire un développement au prix de la restriction des libertés et des droits de l’homme.

Les scénarios à promouvoir :

  • Favoriser un modèle humaniste plaçant l’humain au centre de l’innovation et prônant une société ouverte, démocratique et durable.
  • Maintenir et développer le modèle social européen traditionnel, agir avec prudence, ce qui est plus sécurisant, mais limite un peu le potentiel d’innovation.

L’avenir dépend des européens eux-mêmes, que ce soit dans le secteur public que dans le secteur privé. 

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

Gérard Grancher. Pourquoi les pays scandinaves réussissent-ils mieux ?

Philippe Vidal. Je ne peux donner qu’une réponse partielle. Mais on constate que l’Estonie est très en avance. C’est là qu’on a inventé Skype, et qu’on a mis en place un système gouvernemental totalement dématérialisé. Il y a dans ce pays une culture de l’acceptation de la prise de risque.

Michel Le Stum. L’Estonie s’est aussi appuyée sur les mathématiciens russes qui ne sont pas les plus mauvais. De plus, ce pays est à l’échelle d’un département français, sa capitale est plus petite que Rouen. Ils ont pris le problème de façon pragmatique pour prendre le moins de risques possibles, avec des outils simples. Leur réseau a été créé à partir d’ordinateurs de table, et tout cela a fait l’objet d’une campagne d’acceptation de la population. Ils ont repris les infrastructures russes, ils ont construit quelque chose de cohérent avec du petit matériel, et ils ont été ensuite aidés par les Américains et par l’Europe.

Sophie Boucher. Je confirme, pour avoir fait le même voyage d’études que Michel Le Stum. Il faut dire aussi que l’Estonie c’était la base des services secrets de URSS. Ils ont cultivé ce savoir-faire, et l’ont reparti entre les citoyens à qui l’État a distribué le matériel nécessaire. Maintenant, tout est numérisé. Sur ce plan, il n’y a pas de fracture sociale.

Philippe Vidal.  Je vous remercie pour vos apports, notamment sur la question des échelles non comparables entre nos deux pays, et il n’est pas sûr que le système estonien puisse être approprié en France.

CONCLUSIONS

 Synthèse par Alain Ropers. Vous nous avez fait voyager dans le temps et dans l’espace en nous montrant les étapes du développement numérique dans les différents territoires européens.
Vous nous avez fait prendre conscience des six enjeux fondamentaux prenant en compte les habitants, la régulation publique, la justice spatiale et sociale, la nécessité de la formation et les aspects de la démocratie et de la gouvernance.
Vous nous avez ensuite raconté la genèse du numérique aux USA et en Europe, et montré, par des cartes très explicites le point sur la situation actuelle du numérique en Europe. Enfin, vous nous avez montré les orientations européennes en la matière, aussi bien les scénarios à éviter que les scénarios à promouvoir. Merci pour votre éclairage.

Conclusion de Philippe Thillay. Merci à tous d’avoir été attentifs et merci à Philippe Vidal. Merci à la partie technique Jean-Marc, Gérard, Florence et Alain.

Notre troisième visioconférence sur l’enjeu social et sociétal de la transition numérique est maintenant terminée. La prochaine, le 3 décembre à 17 h 30, traitera de géopolitique et notamment de la souveraineté du numérique, avec Gilles Babinet, Président du Conseil National du Numérique, une instance de conseil du Gouvernement, et « Digital Champion » ou « Spin Doctor » représentant la France auprès de la Commission Européenne. Nous vous y attendons nombreux.

L’Europe à l’heure numérique : l’enjeu éthique

 Vidéo conférence  enregistrée le mardi 24 novembre
Avec Elodie Paola Palombi,
directrice Générale
de Ethic Digital Impact

Retrouvez ici l’enregistrement vidéo de la conférence et des échanges:
https://bit.ly/24-11-ethique-numerique

Lire  ou télécharger le compte rendu de la conférence  L’EUROPE À L’HEURE DU NUMERIQUE – NOVEMBRE 2020
Semaine 2 : L’ENJEU ÉTHIQUE
Visioconférence du 24 novembre 2020 – 17 h 30 

Invitée : Mme Elodie-Paola Palombi. Ethic Digital Impact.

Animation : Philippe Penot
Régie : Gérard Grancher
Suivi des questions par le Chat : Florence Aston
Prise de notes : Alain Ropers

Ouverture de la session et réglages par Gérard Grancher. Conseils pour utiliser le chat. Une vingtaine de participants connectés.
Accueil et présentation d’Elodie-Paola Palombi et de EDI par Philippe Penot. Elodie-Paola Palombi est à l’origine docteur en médecine vétérinaire. Elle s’est reconvertie comme consultante en créant Ethic Digital Impact cabinet spécialisé dans l’étude éthique des transformations impliquées par la transition numérique.

Après ces présentations, Philippe Penot pose la première question.

TRANSFORMATION ANTHROPOLOGIQUE

Philippe Penot: Nombreux sont ceux qui n’ont pas conscience des impacts de la transformation digitale ou alors juste au prisme de craintes liées à l’IA (intelligence artificielle) et à la crainte pour leur job. Benoit Anger, DGA Communication & Business Développement de NEOMA Business School, récemment décédé, parlait de « Métamorphose digitale » pour souligner le passage irréversible d’une période à une autre. Tout le monde est concerné par le processus, entreprises et clients. Elodie-Paola Palombi évoque une transformation anthropologique.
Pourriez-vous nous éclairer sur ce que vous entendez par transformation anthropologique ?

Elodie-Paola Palombi : Merci beaucoup de votre accueil. Ce sujet de l’éthique m’anime depuis quelques années, et demande beaucoup d’investissement et de travail, car la problématique n’est pas seulement technologique mais concerne bien des domaines. Pour illustrer mon propos je vais vous raconter une anecdote.

J’ai été invitée à visiter un Datacenter près de Lille en 2017. C’était le début de la prise de conscience et l’époque d’un premier virage en direction de quelque chose de plus sain pour notre planète. Depuis, les choses s’accélèrent d’année en année.  En sortant, j’ai rencontré Bernard, un sans-abri. Il m’a demandé comment c’était à l’intérieur. J’ai pleinement pris conscience de la fracture et du paradoxe. Nous avons des villes mais nous ne sommes pas capables de répondre à nos besoins primaires, puisque le problème de l’habitat n’est pas résolu pour tout le monde. C’était le début de ma réflexion.

Au néolithique, l’homme a connu la révolution agricole qui a tout changé. L’homme est devenu sédentaire et les sociétés se sont organisées. Au dix-neuvième siècle, la révolution industrielle a encore modifié profondément la façon de vivre des êtres humains sur la planète en les confrontant à la machine. Le bouleversement que nous sommes en train de vivre avec le numérique est sans doute encore beaucoup plus important que ces deux révolutions, et il ne se déroule pas pendant un millénaire comme la première ou un siècle comme la deuxième, mais en quelques années, voire quelques mois.

Nous travaillons maintenant en temps réel, connectés en permanence avec quelqu’un à l’autre bout de la planète. L’humain est maintenant confronté non seulement à la terre ou à la machine, mais au réseau. Cela change profondément notre travail, nos loisirs, notre culture, notre santé, etc. Aucun domaine n’est exclu, personne n’est épargné. Nous sommes obligés de redéfinir la vraie valeur des choses, de nous repositionner et de comprendre quelle est notre place. Deux notions fondamentales que nous pensions immuables, le temps et l’espace, sont remises en cause. L’espace n’a plus aucune frontière, et le temps est devenu le temps réel.

Chaque crise vécue par l’humanité a été l’occasion de mettre en valeur l’éthique. Mais qu’est-ce que l’éthique ? Il y a un problème de sémantique, et il est souvent plus facile de dire ce qui n’est pas éthique : ce n’est pas transparent, pas clair, pas écologique, pas juste, etc. Mais il manque une définition positive de l’éthique. La notion de morale est plus facile à comprendre, car, à mon sens, il s’agit du respect de certaines règles, de certaines lois, définies par des groupes, des religions, des états, etc. Et ces règles étant différentes d’un groupe à l’autre, on peut avoir des conceptions différentes de la morale. Mais l’éthique a un domaine plus vaste, et je la définirais comme une discipline réflexive, soucieuse du juste dans les circonstances et permettant de définir la meilleure conduite à avoir dans un contexte donné dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui, l’espace, c’est notre planète, et le temps c’est le temps réel immédiat. C’est une véritable transformation anthropologique à laquelle nous sommes confrontés.

Chaque fois que nous utilisons l’outil numérique, nous laissons une trace indélébile dans le cyberespace, trace qui sera utilisée pour connaître nos désirs et tenter de nous vendre des produits « adaptés ». En fait, nous assistons à la création d’une identité numérique. C’est comme si nous avions un frère jumeau vivant dans cet espace. Et cette évolution est si rapide que le vide juridique s’installe, car la loi ne peut suivre à la même vitesse pour en réguler les excès. C’est la même problématique qu’au néolithique, mais avec des enjeux beaucoup plus importants.

TRANSFORMATION DIGITALE ET ÉTHIQUE

 Philippe Penot : A l’heure où le flux d’innovations technologiques crée un défi renouvelé pour les entreprises, la gestion des données personnelles constitue un véritable sujet de société. Sommes-nous toujours le client d’un produit, ne sommes-nous pas devenus le produit lui-même ?

Aussi bouleversante que l’invention de l’écriture ou l’imprimerie, la transformation numérique engendre à la fois l’émergence de nombreux problèmes et de nouveaux défis. Porteur de nombreuses avancées sociétales, technologiques, environnementales, solidaires, le numérique présente les deux faces d’une même médaille.

Au-delà de la gestion des données personnelles, la véritable réflexion n’est-elle pas avant tout de savoir comment concilier transformation digitale et éthique ?

Elodie-Paola Palombi : Absolument. Quand un outil nous demande une contrepartie, ce n’est plus un outil. Sur Google, on tape une question, mais on laisse des infos.  Et ces informations sont utilisées. On nous prend quelque chose en contrepartie, il faut en prendre conscience, des enjeux se cachent derrière. Il est impossible de revenir en arrière. Mais il faut prendre conscience des limites, des enjeux, et voir la deuxième facette du numérique. Les enfants qui communiquent sur les réseaux sociaux n’ont pas conscience des risques. Savez-vous qu’en l’absence d’une réglementation sur le sujet, on recense 3,5 millions de cas de pédophilie en France ? Nous devons pouvoir comprendre et agir. La technologie doit nous servir et pas l’inverse. Si le numérique peut être utilisé pour surmonter un handicap, créer du lien social, faciliter la recherche d’emploi, etc., il ne faut pas oublier le revers de la médaille.

Aujourd’hui il faut prendre vraiment conscience de ce changement sociétal dans lequel nous sommes plongés car tout le monde est impacté. Si on regarde de plus près, on s’aperçoit que le numérique a apporté des dérèglements sociaux, économiques, civilisationnels et environnementaux.

Ce sont les quatre grands enjeux à prendre en compte et auxquels l’éthique nous impose d’apporter des réponses. C’est comme pour la recherche, il faut passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Il s’agit de passer à l’éthique appliquée. Pour nous, l’éthique digitale, c’est une discipline anthropologique et technologique qui étudie la pression de l’industrie numérique sur le vivant et sur son habitat, au sens large, c’est-à-dire la biodiversité.

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

Florence Aston. Une question d’Annick Tesnière : comment permettre à l’humain de garder la main sur ses données ?

Elodie-Paola Palombi. Il est difficile de donner une réponse précise. En France, on a mis en place le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) qui nous permet de nous protéger à minima, ce qui n’est pas le cas des d’autres pays. Le problème est la souveraineté de ces données. Nous voudrions connaître ce qui en est fait et avoir le choix entre ce qu’on accepte ou non de donner. Sachant que les traces sont indélébiles, on doit se poser les questions : Quelle utilisation dois-je faire de mes outils ? Est-ce bien nécessaire ? Dois-je avoir une autre adresse mail ? Il faut mieux connaître les mécanismes pour mieux se défendre. Mais il y a beaucoup de vides juridiques, même si tout le monde y travaille actuellement. Nous avons développé l’empreinte éthique qui consiste à mesurer la pression que le numérique a sur nous et réguler notre utilisation. Ces technologies sont faites par des êtres humains qui doivent agir aussi bien en amont dans la création des technologies et en aval auprès des utilisateurs.

Nolwenn Germain. Nous nous sommes félicités des ciseaux Crisp-r et cela a fait du buzz dans les médias. Cette technologie permet de réduire les maladies et aussi de modifier l’ADN humain. Et beaucoup furent choqués lorsqu’un médecin chinois a annoncé avoir créé des bébés sur lesquels il avait modifié leur ADN.

Le Numérique n’est-il pas aussi tel que cette technologie Crisp-R, il oblige à se positionner sur les limites de ce que nous accepterons sur le vivant (être humain, faune et flore) et son habitat.
L’Europe s’est positionnée sur la protection de nos données mais est-ce si non-éthique que cela d’être dans un continent qui n’a pas encore une sensibilité à la protection des données des citoyens ?
L’éthique digitale est-elle universelle ou non ?

Elodie-Paola Palombi. Les problèmes de l’éthique ne sont jamais partagés de façon uniforme partout. C’est exactement comme le développement durable il y a une quinzaine d’années.

De plus, l’approche de l’égalité est très différente selon les pays. Avec un couteau, je peux couper une pomme ou tuer ou blesser quelqu’un. C’est moi qui décide de la façon dont j’utilise la technologie. Cela doit amener une réflexion pour donner un sens. L’Europe est plutôt avancée dans la réflexion avec une envie d’agir qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs.

Bertrand Legendre. Il y a me semble-t-il un angle mort dans nos échanges. On ne parle pas de l’éducation, l’apprentissage, la pédagogie, la formation.

Elodie-Paola Palombi. Aujourd’hui on devrait introduire le numérique très tôt, et les enfants devraient être capables de lire, écrire, et coder. Les jeunes se servent du numérique sans avoir conscience de ce qui va se passer derrière. Il faut descendre plus bas et agir plus tôt.

Philippe Penot. On évoque la responsabilité individuelle, le rôle de l’État, celui de l’Europe, car tous ont un rôle à jouer pour aider, mais, est-ce suffisant ? Les régimes autoritaires ont la main, devons-nous les imiter ?

Elodie-Paola Palombi. C’est très pertinent. Aujourd’hui, il est clair que nous manquons de gouvernance sur ce sujet. Il n’y a pas de périmètre. Notre encadrement législatif est réduit, pas adapté et trop lent, et surtout, il n’y a pas de frontières. Donc un seul pays ne peut quasiment rien, c’est pourquoi l’Europe a son rôle à jouer, mais ce n’est pas encore suffisant si on ne veut pas se laisser asservir par cette technologie. Il faut aller bien plus loin que le RGPD.

Et sur le plan individuel, réfléchissons bien en acceptant les conditions qu’on nous impose pour avoir accès à un site, et que nous pouvons toujours paramétrer.

Florence Aston transmet une question d’Hadrien Simon.
Quid de la déresponsabilisation des géants du numérique ? La responsabilité individuelle ne risque-t-elle pas de dédouaner les géants du numérique de leurs responsabilités ?

Elodie-Paola Palombi. En fait, on retrouve la même problématique en ce qui concerne l’écologie. La responsabilité individuelle ne doit pas dédouaner celle des géants du numérique, et inversement, pas plus que la négligence des gros pollueurs ne dispense chacun de trier ses déchets ou de verdir ses déplacements.

Florence Aston. Une question revient souvent sur le chat. On nous demande de paramétrer les cookies. Bien. Mais si je décoche les cases, est ce que les données ne peuvent vraiment pas atterrir chez les géants du numérique ? Qu’en est-il réellement ?

Elodie-Paola Palombi. Les plus gros espaces de stockage ne se trouvent pas forcément en Europe. On ne peut pas savoir sur quelle technologie s’appuie le commerçant à qui on achète un produit. C’est un problème de traçabilité en amont. La lumière reste à faire sur cette récolte des données.

Hadrien Simon. Si je comprends bien mes craintes subsistent.

Philippe Thillay. Et si je refuse de transmettre mes données à Amazon, par exemple, rien n’empêche un autre site auquel j’aurais transmis mes données de les transmettre à Amazon. Nous n’avons aucune certitude.

Elodie-Paola Palombi. Eux n’ont pas du tout cette approche RGPD qui nous est propre. Il s’agit d’un espace obscur dont on ne sait rien. Amazon est aussi un grand acteur du cloud. Si on ne les donne pas d’un côté on risque de donner de l’autre

Michel Le Stum. « Si c’est gratuit c’est toi le produit ! ». Si on paie, on accepte un contrat qui définit les conditions d’achat. Si on veut la gratuité d’un service, il faut accepter que ce service soit financé par la circulation et le stockage de ses données.

Philippe Thillay. Si j’achète chez Amazon je ne sais pas ce qu’ils font de mes données.

Michel Le Stum.  Le numérique n’a fait que donner une grande efficacité à des méthodes qui étaient déjà employées, par les sondeurs comme l’IPSOS et autres. Quand vous achetez un produit, quelle est la valeur des études de marketing, des sondages, etc. ?

Elodie-Paola Palombi. Des études ont montré que l’usage d’Internet rapportait l’équivalent de 35 euros par jour aux géants du Web. La gratuité des services qu’ils proposent est un leurre. Il y a forcément une compensation. Dans le coût d’un produit, la part de la publicité et des enquêtes est impossible à chiffrer. Ne devrions-nous pas, au moins en Europe, être en mesure de pouvoir choisir, voire d’être rémunérés pour le partage de nos données ?

Charles Maréchal. Une règlementation est en train d’être préparée par Thierry Breton et des parlementaires et des techniciens : ce sont le « Digital Service Act » et le « Digital Market Act ». Et même aux États-Unis, ça avance. Moins qu’en Europe, mais quand même.

Elodie-Paola Palombi. Google est le plus bienveillant de tous les géants du web. Il a même accepté, sous la pression de la Commission, de rémunérer les médias européens, pour la circulation des informations de la presse. Il faut toujours rester dans une démarche de bon sens et voir les deux facettes et la double responsabilité, celle des géants du numérique, mais aussi la nôtre.

Mireille Didienne. Et Wikipédia ?

Elodie-Paola Palombi. C’est une plateforme totalement indépendante qui vit grâce aux dons des internautes. On peut y consulter de l’information, mais aussi y déposer de l’information. Il y a parfois des écarts, des infos peu vérifiées, mais c’est un bon point de départ de recherche, et qui s’améliore, même s’il reste encore un peu de travail.

Philippe Penot. J’ai vécu un exemple concret. Une info demandait une rectification, ce qui a été fait, mais pas complètement. En fait, c’est celui qui parle en dernier qui a raison.

TRANSITION NUMERIQUE ET DEVELOPPEMENT DURABLE

 

Philippe Penot:  La Présidente de la Commission Européenne Ursula Von der Leyen, tandis qu’elle présentait sa feuille de route pour « façonner l’avenir numérique de l’Europe », a souligné que « la transformation verte et la transformation numérique constituent deux défis indissociables ». Et pourtant, on dit que le numérique est le sixième consommateur en énergie.

Alors une transformation digitale plus éthique et plus durable est-elle réellement possible ? Le Digital peut-il servir le développement durable ?

Elodie-Paola Palombi : En fait ils sont maintenant les cinquièmes consommateurs d’énergie et non pas les sixièmes. En prenant de la hauteur, on voit qu’il s’agit en fait de l’éthique de la mondialisation, qui, elle, est totalement invertie par le numérique.
Le développement durable a une vision mais n’a pas d’outils, alors que le numérique a des outils extrêmement puissants mais n’a pas de vision. Il y a donc une très grosse convergence à faire entre les deux. Cette convergence donnerait au numérique le sens et la vision qui lui manque : aller dans le sens du développement durable.

L’Europe a en effet formulé ses ambitions sur le sujet : il s’agit de remettre une plus grande part d’humain dans ce dispositif. C’est vrai que Thierry Breton y travaille mais il y a encore tout à faire. Il est nécessaire que ces deux questions convergent

Nolwenn Germain. J’ai fait des recherches personnelles sur le sujet, et pour moi, le numérique et le développement durable ne sont pas antinomiques bien au contraire, mais la souveraineté numérique est nécessaire en Europe. Une usine de batterie lithium est actuellement en projet, la difficulté étant l’accès aux métaux rares sur le sol européen, même s’il y en au Portugal, en Alsace. La 5G, utile pour créer tous les outils high-tech fait débat aussi, car 95% de la production des terres rares est en Chine. Dans notre continent vieillissant comment faire sans devenir les esclaves des autres continents ? Il faut des actes, car les autres avancent et nous risquons de perdre des avantages technologiques majeurs.

Michel Le Stum. Il y a des terres rares partout, y compris en Europe, mais elles sont difficiles à extraire. En Chine elles sont extraites sans aucune précaution écologique ni protection sociale et le marché en est inondé avec une concurrence féroce. Les mines ont disparu en Europe. Il y en avait une à La Rochelle qui extrayait de la mer les terres rares. Les américains ont commencé à réinvestir dans l’extraction des terres rares pour des raisons purement stratégiques. Notre souveraineté a un coût.

Philippe Penot. Ça interroge sur l’éthique des entreprises. En France on a déjà le RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises). Faut-il aller plus loin ? Vers une responsabilité éthique, englobant le social l’environnement le numérique etc. ?

Le revers de la médaille c’est que on risque d’être en second rôle par rapport à d’autres pays qui ne respectent pas ces règles.

Elodie-Paola Palombi : Dans le RSE de plus en plus répandu dans les entreprises, il y a aussi de l’éthique. Mais toute cette problématique n’est pas vraiment intégrée dans les processus, elle vient plutôt s’y ajouter. Il y a donc des manquements. Les sociétés et les entreprises jouent un rôle intermédiaire entre celui des particuliers et celui de l’État. Certaines transforment même leurs statuts pour pérenniser ces objectifs. Cet engagement, bien réel, ne peut être que favorable.

Philippe Penot. N’est-ce pas un handicap à la concurrence ?

Elodie-Paola Palombi. Les nouvelles générations sont très sensibles à la recherche de sens. Des jeunes renoncent à de beaux postes dans des grands groupes, parce qu’ils n’y perçoivent pas bien le sens qu’ils souhaitent donner à leur travail. Ces nouvelles générations sont porteuses de valeurs. Elles comprennent qu’on n’est que de passage sur cette terre que nous n’avons pas le droit de détériorer. Elles veulent trouver un équilibre entre humain et environnement.

Et si on retrouvait d’abord un équilibre entre nous êtres humains ? Ce serait sans doute le préalable indispensable à cette convergence entre transition numérique et développement durable.

CONCLUSIONS

 Elodie-Paola Palombi.  Pour terminer, je voudrais vous proposer quelques lectures : « Les robots émotionnels », par Laurence Devilliers, et « L’apocalypse n’aura pas lieu » par Guy Mamou-Mani.

Synthèse par Alain Ropers.  J’ai retenu trois idées.

  1. Cette révolution est plus importante encore que les révolutions précédentes et elle se déroule beaucoup plus vite.
  2. Il n’y a pas d’incompatibilité de nature entre développement numérique et développement durable, mais il reste beaucoup à faire pour les faire travailler ensemble, l’un apportant l’outil, l’autre la vision.
  3. Une note espoir vient des nouvelles générations qui veulent donner du sens à leur profession, quitte à rejeter des postes bien rémunérés dans des grosses entreprises prestigieuses, mais dont ils ne comprennent pas le sens.

Cet espoir peut-il résoudre le paradoxe et la fracture dont nous avons parlé au début ? Le numérique va-t-il nous permettre de trouver l’équilibre entre des choses apparemment contradictoires ? La clé de tout ça, c’est peut-être de trouver d’abord l’équilibre entre les humains.

Conclusion de Philippe Penot. Merci Elodie-Paola, vous nous ouvrez les yeux sur des sujets importants pour notre avenir, plutôt que de nous donner des réponses à toutes nos questions. L’éthique sera ce que nous en ferons individuellement et collectivement. Je retiens pour terminer le message d’espoir donné par les nouvelles générations.

Notre deuxième visioconférence sur l’aspect éthique de la transition numérique est maintenant terminée.

La prochaine, vendredi 26 septembre à 14 h 30, traitera de l’enjeu social et sociétal, et notamment des inégalités face au numérique. Pour nous en parler nous avons invité Philippe Vidal, géographe et professeur des universités.

La suivante le 3 décembre à 17 h 30, traitera de géopolitique et notamment de la souveraineté du numérique, avec Philippe Babinet, Président du Conseil National du Numérique, une instance de conseil du Gouvernement, et “Digital Champion” représentant la France auprès de la Commission Européenne

Nous vous attendons nombreux.

Fin de la visioconférence. 19 h 02

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Textes à découvrir

Numérique et éthique, un duo qui se complète : de nos jours, la transformation numérique a réalisé un changement profond vis-à-vis de l’organisation, les modes de management, les relations humaines et les modèles d’affaires. Cette transformation digitale à laquelle nous assistons entraine une réorganisation complète de tous les aspects d’une entreprise ainsi que de sa stratégie…  https://blog.visiativ.com/l-ethique-et-le-numerique/

L’éthique du numérique:   un sujet qui renvoie spontanément à de nombreuses questions et thématiques : Big Data et protection des données personnelles, transparence vis-à-vis des clients…
https://www.cigref.fr/archives/entreprise2020/une-ethique-du-numerique/

Infographies

ÉTHIQUE &INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. Schéma permettant de comprendre les enjeux.
https://www.tnpconsultants.com/sites/default/files/documents/infographie_tnp_ethique_et_ia.pdf

Documentaires

De l’éthique dans le numérique : préserver la souveraineté de l’individu, par Guillaume CHAMPEAU :

L’Europe, le Numérique au service de la paix?

L’Europe numérique suite rencontre : l’enjeu économique

Mardi 17 novembre, nous avons reçu:
Manuella Portier : directrice des affaires européennes à Cap Digital et Margot de Caminel, chef de projet de “Ai4cities”
Retrouvez-ici le compte rendu  de cette  rencontre

Animation : Charles Maréchal
Régie : Gérard Grancher
Suivi des questions par le Chat : Florence Aston
Prise de notes : Alain Ropers
Ouverture de la session et réglages par Gérard Grancher. Conseils pour utiliser le chat. 23 participants connectés.

Télécharger le compte-rendu : cliquez ici
Lire directement le compte-rendu ci-dessous :
Visionner la conférence : cliquez ici

    Propos liminaires par Charles Maréchal

Notre cycle de conférences abordera successivement les principaux enjeux liés au développement du numérique dont la crise sanitaire a révélé, si cela était encore nécessaire, l’importance croissante : l’enjeu économique, l’enjeu éthique, l’enjeu social et l’enjeu géopolitique.
La première conférence est centrée sur l’économie et plus exactement sur l’impact du numérique pour aider à la transformation de l’économie, vers une économie plus vertueuse, centrée sur les objectifs de l’Union Européenne, à savoir la transition énergétique, le développement du numérique et de son indépendance, mais aussi vers une économie mesurée non seulement par le PIB, mais aussi par d’autres indicateurs que le numérique doit aider à définir, incluant par exemple, le bien-être etc.

Nos invitées ce soir sont Manuella Portier, directrice des affaires européennes à Cap Digital, à qui je vais donner la parole pour qu’elle nous présente Cap Digital, son organisation, ses missions, ses réalisations, et Margot de Caminel, chef de projet de « Ai4cities » qui nous présentera plus en détail ce projet de six villes européennes qui se regroupent pour hybrider l’intelligence artificielle et le développement durable.

Leurs interventions nous permettront, je l’espère, de mieux comprendre comment favoriser le développement des nombreuses start-up européennes, à partir de quels projets concrets, comment diminuer l’empreinte carbone et notamment celle du numérique et enfin comment ces expériences sur quelques villes peuvent servir de moteur d’entrainement pour d’autres collectivités territoriales européennes.

Manuella Portier:

Merci beaucoup de votre invitation ce soir. Si aujourd’hui, j’ai plus l’habitude de parler à des startupers ou à des entrepreneurs, il y a quelques années j’ai bien connu les jeunes européens dont les objectifs rejoignent les vôtres et les miens. Je suis contente de pouvoir échanger avec vous ce soir.
Nous sommes une association, un pôle de compétitivité. Nous nous définissons comme le pôle européen de la transition numérique et écologique.

Les pôles de compétitivité, qui rassemblent les énergies sur une thématique ciblée ont été créés en 2004 par le Gouvernement, dans le cadre du lancement d’une nouvelle politique industrielle. Aujourd’hui, le cofinancement des pôles a été transféré aux régions. En France, une cinquantaine de pôles représentent chacun en moyenne environ 200 membres. Cap Digital, ancré sur la région ÎIe-de-France mais aussi sur Lille, est le plus grand cluster en Europe avec environ 1000 membres. Nos structures adhérentes sont principalement (à 85%) des PME et des start-up, mais aussi des grandes entreprises, des établissements de formation, des écoles d’enseignement supérieur, des fonds d’investissement, des collectivités, etc. Nous sommes 40 collaborateurs qui travaillons en partenariat avec des experts, selon les thématiques.

Chaque pôle a sa thématique. La nôtre est de créer du lien entre les différents acteurs cités plus haut, mais aussi avec notre « écosystème », cette communauté qui gravite autour de nous sans forcément adhérer à Cap Digital. Pour ce faire, nous organisons des événements, avec un budget annuel de 6 millions d’euros. Nous sommes des facilitateurs, accompagnant notre communauté mais aussi des acteurs qui n’auraient pas forcément eu l’occasion de se rencontrer en dehors du pôle, pour faire émerger des innovations technologiques puis les développer jusqu’à l’expérimentation. Notre ADN d’origine c’est le numérique, mais ça évolue, car nous voulons utiliser les potentialités du numérique, l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle augmentée, etc. au service d’autres thématiques, comme la ville durable, les questions d’énergie, de mobilité et d’économie circulaire, en vue de favoriser le bien-être en ville, intégrant les questions d’éducation de culture ou de santé.

Nous ne produisons pas directement de service, mais nous sommes en support pour aider nos membres à développer des produits et des services innovants.

Par nos programmes d’open innovation nous aidons des start-up, des villes ou des grandes entreprises à se connecter entre eux. C’est à dire que nous les aidons à définir leurs objectifs, leurs challenges, et à identifier dans l’écosystème les acteurs pouvant les aider avec des challenges similaires ou complémentaires.

Nous proposons aussi des formations entre autres pour familiariser les acteurs aux notions de data, d’intelligence artificielle, de block chain, etc.
Nous faisons aussi un travail de veille technologique et de prospective, pour identifier les grandes tendances sur lesquelles se positionner.

Charles Maréchal :

En résumé, vous faites travailler en synergie des personnes qui, a priori, n’ont rien à voir et vous les mettez en réseau.

Manuella Portier :

Exactement. Nous les mettons en réseau pour les aider à créer des projets de recherche et d’innovation, de recherche et de développement, d’expérimentation de nouveaux prototypes. Mais nous ne voulons laisser personne au bord du chemin, et donc nous accompagnons aussi ceux qui sont encore éloignés du numérique pour les aider à se transformer.

Nous voulons aussi sensibiliser les jeunes générations à la nécessaire évolution très rapide des métiers. Ce sont les mix-up, des ateliers dans lesquels les jeunes peuvent rencontrer les professionnels des métiers de demain et utiliser les outils que nous mettons à leur disposition pour créer sans avoir à acquérir un équipement coûteux.

Un dernier point. Tous les ans depuis dix ans, nous organisons le festival « futur en Seine » gratuit et ouvert à tous, mais qui n’a pas pu avoir lieu cette année. C’est une approche inclusive qui doit permettre aux acteurs économiques mais aussi aux citoyens et même aux enfants de mieux découvrir les nouvelles technologies, grâce à des démonstrations, des conférences, etc.

Nos activités européennes, encouragées par l’État ces dernières années, consistent à aider et à soutenir les acteurs pour déposer des dossiers susceptibles d’obtenir des financements européens. Et nous travaillons en partenariat avec d’autres structures semblables en Europe, pas forcément des pôles, mais centrées sur le numérique et sur d’autres thèmes, comme les médias.
Trois exemples de projets concrets.

Making City. L’objectif est de valider le concept de quartiers à énergie positive comme levier de la transition énergétique urbaine dans deux villes phares «Lighthouse cities» à Groningen aux Pays Bas et à Oulu en Finlande, ainsi que d’aider au développement des plans d’urbanisme dans six villes «Follower cities».

Digicirc. Il s’agit de booster l’économie circulaire grâce aux outils numériques en soutenant des PME très innovantes dans le développement et la mise sur le marché de solutions, produits, process basés sur des chaînes de valeur circulaires dans différents secteurs et différents pays.

Sumity. Le projet consiste à accélérer la transformation numérique et écologique des entreprises dites traditionnelles et des territoires d’Île-de-France et des Hauts-de-France, grâce à l’alliance des plus grandes universités, laboratoires de recherche, grandes entreprises, associations de PME/ETI et collectivités, qui réunissent leurs compétences, leurs moyens techniques, humains et financiers.

Charles Maréchal :

Je rappelle que l’objectif de l’UE c’est d’arriver à la neutralité carbone en 2050 et d’arriver à baisser les émissions de gaz à effet de serre de 50% à l’horizon 2030, pour respecter les accords de Paris de 2015. Ce qui est proposé dans Making City est donc un enjeu stratégique.

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

La croissance bleue, c’est tout ce qui concerne le domaine maritime.
Les villes partenaires de Making City. On peut en retrouver la liste sur le site http://makingcity.eu/city-profiles/ Lighthouse cities : Groningen (Pays Bas) et Oulu (Finlande). Followers cities : Bassano del Grappa (Italie), Kadiköy (Turquie), León (Espagne), Lublin (Pologne), Trenčin (Slovaquie), Vindin (Bulgarie).
Ces exemples peuvent aussi être suivis par des villes qui ne sont pas dans le projet.

Margot de Caminel :

Ai4cities est un projet étalé sur trois ans, de janvier 2020 à décembre 2022. Son objectif est d’aider les villes partenaires engagées dans le projet à atteindre la neutralité carbone à une échéance plus ou moins proche : Copenhague en 2025, Paris en 2050. Le budget total est de 6,6 Millions d’Euros.

Le Consortium est composé des villes suivantes : Amsterdam, Copenhague, Stavanger, Helsinki, Tallin, Paris. Il s’agit de les aider à préciser leurs objectifs, à définir les solutions étape par étape, et à communiquer les résultats. Ensuite, des solutions numériques innovantes et non commercialisées utilisant l’intelligence artificielle leur permettront de réduire leurs émissions de CO2 dans les domaines de la mobilité et de l’énergie grâce à un marché public pré-commercial basé sur des challenges.

Les challenges de mobilité, par exemple, ce sont la mobilité comme un service, la création d’un planning avancé de trafic, la combinaison entre les transports publics et les mobilités douces, l’optimisation et la coordination des transports de marchandises.

Les challenges de l’énergie concernent la qualité thermique des bâtiments neufs, l’isolation et la rénovation des bâtiments existants, la prise de conscience par les citoyens de leur propre consommation d’énergie et leur motivation à la réduire, et l’utilisation optimale des sources d’énergies renouvelables.

Le projet se déroule en phases successives, qui vont de l’étude de marchés, à la recherche des tendances, pour définir les propositions de solutions, créer des prototypes, les tester et enfin les mettre en exploitation. Avec évidement un chiffrage et un budget alloué à chaque phase.

Charles Maréchal :

Merci Margot de Caminel. On rentre ici vraiment dans le vif du sujet et c’est intéressant. Tout ce travail permet de dégager des fonds, aussi bien européens que nationaux, et en plus, il a une valeur d’entraînement pour d’autres villes et d’autres états. San Francisco, par exemple a développé cette stratégie et a entrainé ensuite Los Angeles, dans des pratiques beaucoup plus vertueuses que d’autres villes des États-Unis. Mais aucun cluster n’a la possibilité de changer radicalement les pratiques et les comportements. C’est un travail de longue haleine.

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

Michel Deflin. Le trafic planning de la ville de Paris est-il étudié en coordination avec les villes périphériques ?

Margot de Caminel. L’échelle est la région Île-de-France. Ça dépendra des villes qui voudront être partenaires du projet.

Charles Maréchal. Si on vise 2040 ou 2050 pour Paris, c’est qu’il y a beaucoup de travail à faire. Il y a donc une grosse marge de progression

Philippe Thillay. En Île-de-France, il y a grosso modo 11 millions d’habitants et donc environ 220 000 associations actives qui sont aux côtés des citoyens. On ne parle pas des associations dans ces deux présentations.

Manuella Portier. On travaille beaucoup avec les associations. Les associations, en général, ne sont pas nos membres, mais des partenaires. On s’associe avec elles en fonction des besoins et en fonction des sujets. On travaille aussi avec des fédérations professionnelles.

Michel Deflin. Quelle est la place que vous donnez à l’hydrogène et à partir de quelles sources d’énergie primaire ?

Manuella Portier. On ne s’intéresse pas forcément à la source, mais on favorise les énergies renouvelables. Développer le numérique peut y aider.

Charles Maréchal. L’Hydrogène peut être une énergie propre en soi, mais produite à partir d’énergies non propres, de centrales thermiques, etc.

 Florence Aston. Une remarque de Jean-Marc Delagneau qui voit une approche exclusivement liée au concept de marché, alors que la notion d’économie numérique peut relever aussi d’autres approches.

Manuella Portier. On réfléchit à pousser d’autres modèles, d’autres approches de co-création en mettant le citoyen au centre des préoccupations. Cette coopération n’est pas seulement mercantile mais en termes de développements de compétences. C’est une approche la plus englobante possible. Notre association est indépendante mais évaluée par l’État avec des indicateurs de résultats, notamment économiques.

Philippe Thillay. Cap Digital est un pôle de compétitivité qui a été créé sur un angle très axé sur l’économie et peu transversal, contrairement à ce qui se fait en Allemagne par exemple ou dans d’autres pays européens où on a une approche sensiblement différente.

Charles Maréchal. Il serait intéressant d’utiliser l’intelligence artificielle pour trouver les indicateurs permettant de piloter l’économie de demain et le développement des villes dans une direction plus verte. Ça ne relève pas seulement du marché.

Manuella Portier. On prépare l’appel d’offres pour le projet Ai4cities et on s’interroge sur les critères de choix. Le plus important c’est la réduction du CO2, puis l’utilisation de l’intelligence artificielle, puis l’impact économique, car ça ne servirait à rien de soutenir des structures non viables économiquement. Mais ce changement de paradigme nécessite du temps.

Charles Maréchal. C’est important de définir de nouveaux indicateurs qui permettront de mieux mesurer les choses en tenant compte de bien d’autres facteurs que le PIB.

Florence Aston. Une question de Gérard Grancher. Des laboratoires de recherche universitaire participent-ils au projet de Ai4cities ?

Margot de Carminel. Pas en tant que tel, mais on a sollicité des laboratoires, notamment de la région parisienne, pour mieux définir certains points, certains challenges, et pour mieux comprendre les besoins, etc.

Florence Aston. Une question de Bernard Deladerrière. Sur vos documents j’ai aperçu le logo d’une structure Europe Chine. Quels sont les partenaires, quelles villes sont concernées par ce partenariat ?

Manuella Portier. Je me suis permis de mettre le lien directement dans le chat. Il ne s’agit pas d’une structure mais d’un projet financé dans le cadre d’horizon 20-20, qui s’est terminé l’année dernière, et qui visait à développer une plateforme sur l’urbanisation durable, et à rédiger des recommandations pour la Commission Européenne afin de favoriser la coopération sino-européenne.

Florence Aston. Une question d’Éric Chevalier. Qu’est-ce que l’horizon 20-20 ?

Manuella Portier. C’est un programme cadre de financement de recherche et d’innovation.

Charles Maréchal. L’heure tourne. C’était passionnant. Nous sommes plus intelligents maintenant. Merci d’avoir apporté votre expertise sur cette économie qu’il faut mettre en place et qui est indispensable pour atteindre les objectifs des accords de Paris. Je vous rappelle qu’il y a trois conférences à suivre, sur les thèmes des enjeux Éthique, Social, et Géopolitique.

Philippe Thillay. Merci à nos intervenantes, et à tous ceux qui ont contribué à cette conférence. Notre association, le ME 76, est une force militante dont le rôle est d’animer le débat pour soutenir le projet européen.

Fin de la visioconférence.

Participez aux prochaines rencontres :
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Internet ou un raté français !

Au début des années 60, le Général de Gaulle, en appui sur les outils stratégiques comme le Commissariat au plan, lance le plan Calcul. Un plan qui vise à développer nos capacités mathématiques et informatiques pour, notamment, nous affranchir de la tutelle américaine. Sous la houlette de Maurice Allègre et Louis Pouzin est né le projet Cyclades. Il s’agissait d’augmenter la vitesse de circulation de l’information entre deux points. Cela a engendré le Datagramme, que les Américains ont ensuite développé sous la forme du protocole TCP/IP que nous utilisons tous aujourd’hui sur Internet.

Parallèlement, au CERN à Genève, des chercheurs européens créèrent le Web : Une application permettant d’écrire sur les écrans des ordinateurs et de communiquer l’information.  C’est le protocole htlm.

Ces initiatives ont débouché sur le projet européen Unidata. Un consortium regroupant centres de recherche, universités, entreprises…, avec la perspective de créer une dynamique du type Airbus.

Un projet abandonné:

En 1974, le nouveau Président de la République, Valéry Giscard D’Estaing abandonna le projet. Ambroise Roux, PDG de la Compagnie Générale d’Électricité (CGE), grand fournisseur des PTT, le convainquit de liquider le plan calcul, la filière informatique et par voie de conséquence le projet européen Unidata. Nous eûmes le Minitel tandis que les américains inventèrent le PC. Cherchez l’erreur.

Les Allemands et de nombreux partenaires européens s’en souviennent encore. Les Américains pour leur part, se sont appropriés le Web, ont développé le datagramme et ont créé dans la foulée Internet.

Pour en savoir plus :

L’Europe à l’heure numérique: l’enjeu sociétal

Avec
Philippe Vidal : Géographe, Professeur des Universités,
Vendredi 27 novembre 14h30
Inscrivez-vous sur : https://bit.ly/mois-numerique

Philippe Vidal, Professeur des Universités à l’Université le Havre Normandie, géographe-aménageur, spécialiste des rapports entre « territoires » et « numérique » et très attentif à la construction politique multi-niveaux (local, national, européen) de cette société numérique en cours d’installation.

Depuis de nombreuses années, l’Union européenne investit la question numérique. Si certains pays comme l’Estonie ont accompli une véritable révolution culturelle, la plupart des pays membres, ont encore beaucoup à faire. Le programme 2021-2027 de l’Union, combiné avec le plan de relance va impulser une mutation profonde de nos modes de vie. 20% des budgets de l’Union seront consacrés au numérique.

Nouvelles perspectives ?

Le développement numérique ouvre de nouveaux rapports aux territoires. La culture, la formation, le travail, la consommation semblent pouvoir s’affranchir des distances. Les initiatives prises face à la pandémie en témoigneraient. Une culture de l’initiative se développe, la participation des citoyens est facilitée, de nouvelles dynamiques soci-territoriales émergent, de nouveaux rapports aux pouvoirs se construisent… De nouveaux rapports à la mobilité, aux territoires se tissent, à l’information territoriale (data) se construisent.

Nouvelles fractures ?

Mais, une double fracture nous guette : géographique entre les territoires ayant un accès facile à ces outils et les autres; culturelle entre ceux qui maîtrisent les codes et les usages et ceux qui n’ont qu’une consommation passive ou sont de véritables victimes “d’illectronisme”.
Le risque de désintégration sociale existe : enfermement sur les territoires (puisque de là où on est, on accès à tout). Enfermement induit par les réseaux sociaux, les algorithmes qui séparent. Enfermement nivelant les hiérarchies entre l’informations et les rumeurs, délégitimant les corps intermédiaires et par-delà les règles du vivre ensemble…

des Textes à découvrir

Révolutions technologiques, pour le meilleur ou pour le pire?

Numérique et inégalités sociales: une cause, une conséquence, un reflet ?
Ni victime, ni coupable. Les technologies numériques  reproduisent les biais de notre société. Il est de la responsabilité des Responsables publics, des éducateurs de veiller à permettre à chacun de  s’approprier les potentialités offertes par ce nouveau monde. Voir l’article de Clémentine Désigaud, du Fellow de l’Institut Open Diplomacy

La technologie n’est pas le problème.
Elle n’est qu’un outil, son impact dépend de comment il est utilisé. Retrouvez l’article du Monde publié il y a 10 ans déjà

Des jeunes au bord de l’illettrisme numérique :
Les nouvelles générations seraient naturellement capables d’utiliser les outils du Web. Ce mythe menace les plus défavorisés. Voir Le point de vue de Rachid Zerrouki, publié sur Libération

des Infographies

La fracture numérique qu’est ce que c’est? Quelles sont les populations concernées ? Comment est-elle analysée ?
https://novaveolia.files.wordpress.com/2017/01/novaveolia-infographie-fracture-numerique.jpg

 Des Documentaires

Ce ne sont pas vos données qu’ils vendent…

Philippe Vidal :


Ses recherches portent sur l’impact des TIC sur les dynamiques territoriales, en considérant

Ce ne sont pas vos données qu’ils vendent…

A voir, le documentaire: The social dilemma

Ce documentaire sorti le 20 septembre 2020 sur Netflix donne la parole à une dizaine d’anciens cadres dirigeants qui ont démissionné de grandes entreprises de la Silicon Valley. Comment ces entreprises s’emparent de nos données et au bout du compte façonneent le monde.

“Quand l’accès à un réseau est gratuit, c’est que les utilisateurs sont le produit”. On a tous entendu cette sentence. Mais non! Nous disent ces témoins. Ce ne sont pas vos données qu’ils vendent, mais les modèles comportementaux qu’ils élaborent à partir de vos données. Dès que vous vous connectez, dès que vous téléchargez une application, vous envoyez  à chaque instant des données à partir desquels les firmes élaborent leurs modèles.

Ces modèles, ils les proposent à des entreprises pour caler leur stratégie de communication. Ensuite à chaque fois que vous vous connectez à une application, à un réseau, vous recevrez des notifications, des messages correspondants à vos attentes, vous renforçant dans vos prédispositions, dans vos opinions.
C’est vrai aux plans de la mode, des affaires, des choix culturels… Mais c’est vrai aussi aux plans politique et moral.

Les réseaux sociaux créent des bulles, isolent les groupes sociaux les uns des autres, développent les antagonismes. Ils fragilisent le corps social.Les témoins expliquent ainsi les profonds clivages qui traversent nos sociétés et tout particulièrement les USA.
Les réseaux sociaux plutôt que de favoriser le débat, la rencontre entre des appréciations différentes, confortent au contraire chacun dans ses positions en lui envoyant les informations qu’il attend.

Les témoins tirent le signal d’alarme et dénoncent le chemin vers la guerre civile que prennent les USA. Ils tirent le même signal en direction de l’Europe.

Mais alors Que faire?
Deux propositions ressortent de ce documentaire:

  • A titre individuel, refuser tous les cookies et les notifications proposés par les sites auxquels nous connectons, n’utiliser que des moteurs de recherche comme Qwant qui ne conservent pas nos données.
  • A titre collectif, prendre des mesures pour obliger les entreprises numériques à retreindre leurs collectes. Il suffirait de créer un impôt sur le volume des données collectées.

En savoir plus sur le documentaire:

Révolutions technologiques, pour le meilleur ou pour le pire?

Les 1er et 2 octobre, se déroulaient à Caen le « Forum mondial pour la Paix ». Le Mouvement européen 76 y participait. Retrouvez ici le compte rendu de la conférence du 2 octobre.

Thème de la conférence:

” Dans notre monde interconnecté, les nouvelles technologies imprègnent notre quotidien et impactent de nombreux secteurs. La gestion du Big Data, le recours à l’intelligence artificielle, l’essor de la reconnaissance faciale rendent impérative une réflexion sur la maîtrise et l’encadrement de ces nouveaux procédés, tant d’éventuelles dérives seraient porteuses de déstabilisation majeure, y compris dans les pays démocratiques. Déploiement de robots tueurs, armes intelligentes ou généralisation de la surveillance : sur le terrain militaire également, de nouvelles formes d’intervention et d’affrontement émergent.

Génératrices d’inquiétudes, ces révolutions technologiques sont aussi de formidables leviers d’innovation, porteurs de changements profonds et multiples, y compris pour le meilleur. À l’image de la Green Tech ou de la Tech for Good, elles permettent d’œuvrer en faveur de la transition écologique. Elles  apportent des réponses concrètes à des problématiques contemporaines. Au cœur de la réflexion sur le monde de demain, les révolutions technologiques seront-elles pour le meilleur ou pour la guerre?”

Nicole Gnesotto: Science sans conscience ?

Lors d’une courte introduction, Nicole Gnesotto introduit la notion de rupture civilisationnelle. Jusqu’à nos jours les innovations technologiques ont toujours été ambivalentes. On pouvait les utiliser pour le meilleur ou le pire. On connaît tous cette citation de Rabelais tirée du Pantagruel : “science sans conscience n’est que ruine de l’âme”. Récemment encore on a vu comment des outils comment Twitter pouvaient tout à la fois contourner la censure mais aussi surveiller les comportements de chacun… Mais aujourd’hui?  Que sont les développements de l’intelligence artificielle?  Quelle place  prennent les algorithmes dans la gestion du monde. Quel poids de la conscience humaine? On sait comment les automatismes ont accéléré la crise financière de 2008. Qu’en sera-t-il demain? La question mérite d’être posée.
Nicole Gnesotto: Professeure au CNAM, titulaire de la Chaire Europe : L’Europe indispensable éditions du CNRS   .

Justice : le danger de l’arbitraire

Christiane Feral Shul a pointé le recours de plus en plus importants des cours de justice aux outils numériques. Certes, l’accès aux données est une formidable source d’informations utiles aux différentes parties prenantes. Mais au-delà , Christiane Feral Shul s’inquiète de la tentation pour les juges de recourir à l’intelligence artificielle comme auxiliaire de justice, voire même pour rendre la justice dans certaines situations.

C’est déjà le cas en Estonie où dans les affaires civiles portant sur une créance inférieure à 7000€ la procédure est automatisée. Si cette manière de faire peut paraître objective, rigoureuse, elle présente une faiblesse énorme. Elle ne tient pas compte des circonstances qui sont à l’origine du délit. Elles sont pourtant essentielles pour comprendre les situations et formuler les décisions justes.
La France résiste à une telle évolution mais jusqu’à quand? Il faut se méfier de l’arbitraire de l’Intelligence artificielle.
Il est indispensable de poser des règles éthiques, de mettre sous surveillance les algorithmes, de maintenir l’intervention humaine dans le processus judiciaire.
Le conseil national des barreaux s’est tourné vers le Conseil de l’Europe.
Cette instance est à l’origine de plusieurs conventions qui ont inspiré le législateur: protection des données, cybercriminalités. Il pourrait ici se mobiliser à bon escient, même s’il ne faut surestimer le poids de ces conventions qui ne sont des textes contraignants.
Christiane Feral Schul est avocate: Présidente du conseil national des barreaux.

L’extension du domaine de la lutte :

Jean Marc Vigilant, Général d’Aviation, Directeur de l’école de guerre pointe l’extension de l’environnement stratégique. Très récemment ont été intégrés trois nouveaux domaines: l’Espace, le cyber espace et l’information. Les conflits ne se déroulent plus aujourd’hui uniquement sur les champs de bataille.
Cette extension du domaine de la lutte exprime une double tendance: le recul de l’influence de l’Ouest à l’échelle du monde, et l’importance essentielle du Capital humain.

Pour tenir compte de tout cela, la France élargit son approche stratégique.
– Elle crée des outils: une agence sur l’innovation numérique en lien avec les entreprises, un commandement de la cyberdéfense et de l’espace, l’armée de l’air est aussi celle de l’espace maintenant. Développement de nouvelles bases de données en lien avec l’Intelligence artificielle.
– elle développe une approche globale en réseau pour mettre en œuvre des réponses complexes, multi localisées, répondant en de nombreux points en cas d’agression.

Dans le prolongement ,

Jean-Louis Gergorin, (un ancien du quai d’Orsay) souligne la rupture introduite par le numérique dans le rapport à la guerre. Aujourd’hui la frontière est devenue volatile. Il existe des zones hybrides.
Grâce aux outils numériques, une puissance étrangère peut agresser un territoire. On l’a vu par exemple en Ukraine avec les coupures d’électricité.
Les cyberattaques sont devenues l’équivalent des notes diplomatiques. Elles envoient un message, expriment une menace, invitent à un repositionnement. On peut lire ainsi la cyberattaque de mars dernier sur les hôpitaux de Paris.

Si la France a su prendre la mesure du problème, il faut aller beaucoup plus loin et bien prendre en considération la dimension globale du problème. Il faut tout à la fois:
– traiter de l’information: si les médias traditionnels sont contrôlés, ce n’est pas le cas des réseaux sociaux. On peut dire ce que l’on veut.
– agir dans les domaines militaires et civils: les attaques numériques en demandes de rançon se sont multipliées par 8 depuis 2017.
– les frontières s’estompent entre les groupes mafieux, les attaques “militaires” l’espionnage économique…
– agir à l’échelle internationale: mettre en place pour la circulation de l’information des instances du même type que ce qu’il existe dans l’aviation civile, la santé par exemple…

En contrepoint Nicole Gnesotto réagit  soulignant que  la gouvernance doit aller au-delà des Etats et associer l’ensemble des acteurs de la société civile.

Pour conclure Science et éthique ?

Fréderic Bordry a développé une approche plutôt optimiste en soulignant la dimension géopolitique de la science. Il a cité en exemple plusieurs programmes du CERN qui associent étroitement des soi-disant ennemis. Que ce soit entre Israël et la Palestine, ou entre les différents pays des Balkans
il a souligné la dimension universelle du langage de la science qui permet de jeter des ponts, de s’affranchir des susceptibilités et de jeter des ponts entre des territoires séparés.
Fréderic Bordry est directeur au CERN à Genève.

– Gabriela Ramos Patino est revenue sur la nécessité d’encadrer à l’échelle internationale l’usage des outils numériques et notamment l’Intelligence artificielle. Aujourd’hui 200 entreprises dans le monde régulent 80% des outils numériques.
Quelle que soit la performance des outils, il faut en revenir à l’origine, c’est à dire à la commande et sa régulation, aux valeurs qui la cadrent. C’est possible. Regardons ce qu’a fait l’Europe avec le RGPD. L’Unesco agit en ce sens à l’échelle internationale.
Gabriela Ramos Patino Directrice générales sciences sociales UNESCO

 

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le Pays des Européens par Sylvain Kahn, Jacques Levy:

Un livre écrit à la veille des élections européennes de 2019 par deux géographes. Un livre plutôt optimiste sur l’avenir de l’Union européenne : l’Europe a gagné, les citoyens y sont attachés. L’Euro en témoigne. Les eurosceptiques ne proposent plus de sortir de l’Europe. Le débat s’est déplacé sur un autre plan : de quelle Europe voulons-nous ?
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L’enjeu européen
Si l’Europe n’est pas une nation, elle est cependant une société en construction avec des valeurs fortes (les droits de l’homme), des repères solides (des modes de vie partagés) et la mise en place progressive de réelles institutions. Les résultats des élections européennes de 2019 et les mesures prises ces derniers mois confortent semble-t-il, le point de vue des auteurs.
L’Europe est une société d’individus alliant cohésion sociale et parcours individuels. C’est autour de ce couple que s’articule le débat d’idées. Quel équilibre entre cohésion sociale et libertés individuelles ?

Le fruit d’une longue histoire :
Les auteurs identifient trois axes géographico-historiques :

  • A l’ouest, protégé sur son flanc est par des territoires « tampons », ce secteur est entré plus tôt dans la stabilité « géopolitique ». Certains de ces territoires ont donné naissance à des puissances militaires puis à des Etats forts protégeant les citoyens en échange de leur soumission.
  • A l’est, des territoires aux contours plus « fragiles » soumis aux pressions de voisins plus à l’est encore (Russie, Turquie…)
  • Au centre, des territoires moins hiérarchisés qu’à l’ouest, en appui sur des réseaux d’acteurs, ont progressivement vu le jour. Ils conjuguent initiatives individuelles et institutions sociales fortes.

L’Europe aujourd’hui est le prolongement de cette « Mittel Europa », constituant un axe Nord-sud au centre de l’Europe. Même si les Etats conservent le pilotage institutionnel de l’Europe, L’Union européenne fait une large place aux territoires et à la société civile.

Le choc de la mondialisation
La mondialisation, le développement des technologies de communication bouleversent les rapports sociaux.  Les territoires décentralisés, organisés traditionnellement autour des réseaux d’acteurs, accordant une place importante à l’initiative des citoyens, aux réseaux de solidarités semblent plus réactifs face à cette situation. La mondialisation bouscule le pacte social des Etats forts.

Certaines forces politiques stigmatisant cet affaiblissement désignent l’Europe, vecteur de la mondialisation, comme la cause de l’affaiblissement des institutions de leurs pays.

La montée des populismes
Par-delà des sensibilités politiques parfois opposées, ces forces politiques souhaitent le renforcement de ces Etats forts, garants de la préservation d’un ordre et d’une cohésion sociale originelle. C’est le sens des courants populistes que l’on voit se développer un peu partout. Ils se retrouvent sur deux axes :

  • A l’échelle européenne, affirmer les valeurs de la civilisation européenne et s’inscrire à l’échelle internationale dans une confrontation des civilisations
  • A l’échelle nationale, affaiblir les corps intermédiaires, privilégier l’unité du peuple autour de ses dirigeants, quitte à restreindre les libertés individuelles, ce sont les tenants de régimes « illibéraux ».

Les partisans de cette approche trouvent un écho positif dans les territoires fragiles qu’ils soient à l’Est de l’Europe ou à l’écart des agglomérations.

Le nouveau clivage politique :
Face à cela, s’expriment des forces politiques valorisant une Europe des citoyens, promouvant les initiatives individuelles, en appui sur la mobilisation des territoires et la société civile.  De ce point de vue, il convient d’ouvrir l’Europe à la différenciation des modes de vie, aux nouvelles pratiques sociétales. Le réchauffement climatique, le développement durable, l’écologie, les technologies de l’information sont autant de défis à relever pour articuler davantage cohésion sociale et épanouissement individuel.

C’est autour de cette alternative que se structure le débat européen aujourd’hui, quitte à recomposer les clivages politiques traditionnels.