Visioconférence du 26 juin 2020 – 10 h
Invitée : Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne (Renew Europe)
Animation : Philippe Penot (PP)
Synthèse rédigée par : Alain Ropers
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Présentation de l’invitée et propos d’accueil par Philippe Penot.
Stéphanie Yon-Courtin, avocate de formation a été élue en mai 2019 députée européenne. Elle est spécialisée dans le domaine du droit de la concurrence, a exercé en qualité de juriste à la Commission Européenne et, de ce fait, possède une bonne connaissance de nos institutions européennes. À noter son ancrage territorial en Normandie où elle a été élue Maire de Saint-Contest en 2014.
« L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. A l’heure où l’Union Européenne vit sa plus grande crise sanitaire, il sera intéressant de voir si, à long terme, ce principe d’un des pères de la Communauté Européenne se vérifie.
L’Europe au temps du coronavirus s’est montrée dispersée, peu solidaire, chaque État choisissant sa version d’un confinement plus ou moins strict, d’un déconfinement plus ou moins rapide. « La crise a mis l’accent sur des défaillances des systèmes de santé nationaux et sur le manque de compétence de l’UE pour répondre à ces défaillances », résume Claire Dhéret, responsable d’un programme de recherche sur « Europe sociale et bien-être » au European Policy Center. Pour certains, cette gestion étatique a montré l’inutilité de l’Union européenne. Pour d’autres, au contraire, une véritable Europe de la santé n’a jamais été aussi urgente.
Première question. Les armes de l’Europe face aux crises.
Philippe Penot : Alors diriez-vous avec Jean-Yves Le Drian que : “L’Europe a eu du retard à l’allumage”, mais “s’est bien rattrapée” ? A la lumière de la gestion de la crise sanitaire actuelle pensez-vous que l’Europe est, d’un point de vue institutionnel, bien armée pour les affronter avec toute la réactivité exigée par les circonstances ?
Stéphanie Yon-Courtin : Merci de m’accueillir. Vous avez mentionné dans votre présentation l’ancrage territorial. Oui, il est plus que jamais nécessaire d’être ancré sur les territoires. Je suis, pour ce qui me concerne, toujours conseillère départementale du calvados.
Jean Monet disait fort justement que l’Europe se construirait grâce aux crises, et ça peut tout à fait être le cas cette fois-ci. S’il a été dit que l’Europe a eu du retard à l’allumage, cela montre a contrario que la population a une très forte attente de la part de l’Europe. Les dernières crises auxquelles l’Europe a dû faire face étaient d’ordre financier ou économique, et on pouvait mieux en cerner les causes, et même pointer du doigt un responsable. Là, c’est différent. La pandémie nous est tombée dessus de façon inattendue, et sans qu’on puisse l’attribuer à qui que ce soit en particulier. Les reproches qu’on entend ici ou là ne s’adressent pas aux responsables indéterminés de la pandémie, mais concernent la façon dont le problème a été pris en compte par les uns ou les autres.
Au niveau de l’Europe, et malgré les circuits complexes qui la caractérise, des décisions ont été prises très rapidement : assouplissement budgétaire (la fin du verrou de Maastricht), déblocage de 120 milliards d’euros pour des rachats d’actifs et pour des investissements, etc. Et ce, malgré le fait que la compétence en matière sanitaire relève des États membres et non de la Commission. Pour changer cela, il faudra passer par de nouveaux traités, et donc il faudra l’unanimité, ce qui ne simplifie pas les choses. De plus, dans certains États membres, cette compétence en matière sanitaire ne relève même pas de l’État, mais des entités régionales. Et c’est le cas notamment des pays les plus touchés par le virus, l’Espagne et l’Italie.
Ce n’est pas à l’Europe de venir au secours des systèmes de santé défaillants. Il faut proposer quelque chose, et certains y travaillent au Parlement Européen, pour muscler le rôle de l’Europe dans ce domaine, et lui permettre de coordonner les actions des États membres. Cette coordination n’est pas facile, puisque cette fois, par exemple, chaque État n’a pas été touché de la même manière ou avec la même intensité, ni au même moment.
Ça n’a pas empêché la solidarité de fonctionner. Quelques exemples parmi d’autres : La France a donné 1 million de masques et de tenues de protection à l’Italie, l’Allemagne donné des tonnes de masques, l’Autriche le Luxembourg la Grèce ont accueilli beaucoup de patients venant des autres pays, les États se sont entraidés pour rapatrier énormément de monde. De plus, on a pu débloquer des fonds pour la recherche qui a travaillé en concertation, des reliquats de fonds régionaux inemployés ont été mobilisés, etc. En résumé, il y a eu une vraie dynamique, bien au delà des compétences de la Commission Européenne.
Deuxième question. Efficacité et types de régimes.
Philippe Penot : J’aimerais aussi entendre votre sentiment sur ce débat qui agite nos sociétés : les régimes autoritaires seraient plus efficaces pour lutter contre les crises sanitaires et, corollairement, les démocraties adoptent des mesures régressives de nos libertés, généralement temporaires, sauf à utiliser la crise comme prétexte pour s’installer durablement dans un régime illibéral, y compris au sein de l’Europe.
Stéphanie Yon-Courtin: C’est un point sur lequel on est vigilant. Les périodes de crises sont souvent des opportunités pour les régimes autoritaires et les dictateurs en germe qui profitent de l’état d’urgence pour mettre en place des mesures liberticides, museler le parlement, les juges et les journalistes. Victor Orban n’a pas attendu la crise pour le faire. Mais, l’Europe s’est construite sur des valeurs de respect des droits de l’homme et des valeurs démocratiques qu’il ne faut pas oublier et qui ne sont pas négociables. Une collègue hongroise a vu sa photo placardée la montrant avec un fusil pointé sur elle et la mention « il faut les tuer, ce sont les ennemis de la Hongrie ». Elle nous a envoyé un SOS. Le parlement a adopté une résolution indiquant que l’état d’urgence en Hongrie ne pouvait pas être maintenu indéfiniment, car incompatible avec les valeurs européennes. En France, par opposition, les mesures de restrictions de liberté sont strictement proportionnées et limitées dans le temps. Actuellement, nous travaillons sur les prochains budgets, et beaucoup d’entre nous veulent introduire pour la perception de fonds régionaux, des critères de conditionnalité au respect des valeurs démocratiques et de l’état de droit. Ce sont justement les pays qui cherchent à s’affranchir des valeurs européennes qui perçoivent le plus de fonds régionaux. Dans l’ensemble, ce principe de conditionnalité est assez accepté, mais avec un bémol : Victor Orban fait partie du FIDES, dont les députés siègent au PPE. Et la droite française, ne se démarque pas suffisamment de ses positions et se refuse à exclure le FIDES du PPE.
Troisième question. Compétences de l’Europe.
Philippe Penot : La santé publique est, par principe, de la compétence interne des Etats membres, même si l’action de l’Union européenne se manifeste déjà en matière de santé dans les domaines de l’information, l’éducation, la prévention, la surveillance ou la recherche. Nul doute qu’à la lumière de cette crise, des améliorations, extensions de compétences … seront envisagées.
A-t-on déjà quelques idées de dispositions souhaitables et quelles chances ont-elles d’être mises en œuvre et quelles seront les actions prioritaires ?
Et, corollairement, l’Europe devrait-elle se doter de moyens de fiscalité propre pour une action plus efficace ?
Stéphanie Yon-Courtin: Permettre à l’Europe d’avoir des compétences réelles, oui. Mais il faut des moyens financiers à la hauteur de ces nouvelles ambitions. La création de ressources propres est en discussion pour le budget en cours. On travaille notamment sur la fameuse taxe GAFA visant à faire contribuer les géants du numérique. Et d’autant plus qu’il faut mettre au point dès maintenant des plans de gestion de crise, car une deuxième vague n’est pas exclue, pas plus qu’une autre pandémie. Nous avons fait des propositions pour un programme santé de 10 milliards d’euros, soit 23 fois plus qu’évoqué avant la crise. La crise peut avoir du bon. Ce programme va de la réaction aux crises, à la lutte contre les inégalités face aux problèmes de santé, et à l’aide à la coordination et l’harmonisation des systèmes sanitaires des États membres. Il est actuellement en cours de discussion entre la Commission, le Parlement et le Conseil pour trouver une position commune.
L’Europe est un géant politique en germe mais un nain budgétaire. Son budget ne représente que seulement un peu plus de 1% du PIB de chaque État, alors qu’il y a énormément de choses à financer, et d’autant plus qu’il faut trouver un budget supplémentaire, en remplacement de celui que l’Union Européenne perdra avec le départ du Royaume Uni. La renégociation du CFP (cadre financier pluriannuel), définissant la liste des ressources possibles est en cours de discussion. On cherche la possibilité d’instaurer des taxes et redevances là où on peut, comme sur les plastiques ou autres. Le parlement Européen est maintenant co-législateur, notamment en matière de budget, et on ne votera pas le budget s’il n’est pas assez ambitieux.
Mais il faut aussi discuter aussi avec ceux qui ne sont pas d’accord pour une augmentation de budget comme les pays dits « frugaux ». Augmenter les compétences sans augmenter le budget paraît pourtant illusoire. Si chaque État membre se met à taxer les GAFA à sa façon, avec des taux différents, ça n’a pas de sens car l’homogénéité n’est pas respectée. Il vaut mieux avoir la même taxe pour tous. Emmanuel Macron et Angela Merkel ne ménagent pas leurs efforts sur le sujet, avec leur proposition d’une émission de dettes communes mutualisées. C’est encore plus nécessaire au moment où Donald Trump vient d’annoncer, par son Secrétaire d’État, son intention de voir les USA quitter l’OCDE.
Dernière question. Opportunité.
Philippe Penot : En guise de conclusion, la crise du Covid-19, après celle des migrants et le Brexit, risque-t-elle être la crise de trop pour l’Europe ou au contraire une opportunité pour le réveil européen et pour que l’Europe s’affirme comme puissance souveraine de son destin ? Et que peut-on attendre de la conférence sur l’avenir de l’Europe ?
Stéphanie Yon-Courtin : Il n’y a jamais eu une crise de trop. À chaque fois, quand elle est au bord du gouffre, l’Europe s’affirme. C’est comme après la deuxième guerre mondiale. L’Europe, c’est un espoir et c’est aussi un devoir. Les lignes commencent à bouger. C’est une opportunité à saisir plus que jamais, car la crise a aidé beaucoup d’États membres, à s’intéresser davantage au social et à la solidarité. C’est le moment d’utiliser ce marché européen pour réaffirmer nos valeurs démocratiques, notre attachement à l’état de droit et à la libre circulation, ce qui profitera à tous, y compris aux salariés.
Les économies sont trop interdépendantes pour s’en sortir seules. La souveraineté européenne c’est la somme des souverainetés nationales, elles sont complémentaires.
Jean Monnet disait au sujet de la construction européenne : « Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je suis réaliste ». Churchill, quant à lui, avait cette phrase : « Never underrate a good crisis ». (Ne jamais sous-estimer l’intérêt d’une bonne crise)
On prépare la conférence sur l’avenir de l’Europe. Il s’agit d’associer les citoyens, et toutes les parties prenantes, dès que les conditions sanitaires le permettront. La question c’est de savoir comment rendre l’Europe plus efficace et plus démocratique, car on constate un déficit de démocratie et de citoyenneté européenne.
L’Europe doit arrêter d’être naïve et se rendre compte des rapports de force. On n’a plus le choix que d’être ensemble, surtout depuis le Brexit. L’Europe est loin d’être achevée. Elle est reconnue, et enviée, notamment par les Américains, car elle offre à leurs yeux des avantages fabuleux, comme le chômage partiel, etc.
Questions des participants.
Dominique Renoult. L’Union Européenne a une compétence en matière de santé, avec l’agence des médicaments, même si c’est peu connu. Quelles sont les extensions possibles du rôle de l’Europe en la matière ?
Stéphanie Yon-Courtin : On vient de faire une petite brochure regroupant nos propositions. L’agence européenne du médicament à laquelle vous faites allusion n’est pas armée, par exemple, pour faire face à une pénurie de médicaments. Vous savez que 80% des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Chine ou en Inde. L’extension des pouvoirs de l’Union Européenne est nécessaire pour harmoniser les règles dans chaque État. Cela repose sur trois piliers.
Premièrement, il faut établir une souveraineté sanitaire européenne et un approvisionnement sécurisé. Pour cela il faudra autoriser des aides des États, pour que les industriels puissent relocaliser. Il faut aussi établir des critères prioritaires dans les appels d’offres. Il faut créer des établissements pharmaceutiques à but non lucratif pour produire des médicaments en cas de crise. Il faut sortir du giron de la productivité et de la rentabilité, pour que le médicament puisse devenir un bien commun.
Deuxièmement, il faut mieux coordonner l’action européenne, notamment pour créer une réserve européenne sanitaire de médicaments, avoir recours à des achats groupés, et recourir à un pilotage centralisé dans la chaîne de distribution.
Enfin, troisièmement, il faut renforcer la coopération entre les États membres, pour connaître et mieux gérer les stocks. Il faut simplifier les législations, et avoir une meilleure lisibilité des mesures réglementaires en temps de crise. Il faut introduire la notion d’intérêt thérapeutique majeur pour certains produits comme les vaccins, pour leur éviter de tomber dans le giron de certains intérêts privés.
Gérard Grancher : Plusieurs questions se regroupent sur le thème de l’appartenance du parti de Victor Orban au PPE, à son exclusion éventuelle qui le ferait renforcer les groupes d’extrême droite au Parlement Européen et augmenterait ainsi la sphère d’influence de la Russie. Qu’en pensez-vous ?Stéphanie Yon-Courtin : Effectivement, l’exclure comporte des risques, mais ne pas l’exclure et le laisser agir c’est ouvrir la porte à d’autres agissements comparables. C’est aussi très dangereux sans doute encore plus dangereux. Il faut être cohérent avec les valeurs qui fondent notre union. C’est un équilibre à trouver.
Charles Maréchal : Nous avons réalisé une union monétaire, mais pas une union budgétaire. Si nous ne faisons pas cette union budgétaire, aurons-nous jamais la force financière de nos ambitions ?
Stéphanie Yon-Courtin : Je suis entièrement d’accord. Notre union monétaire n’est pas aboutie. Christine Lagarde remarquait le décalage dans l’opinion entre le plébiscite de l’Euro et l’opposition contre la BCE « et tous ces machins ». Il faut avancer sur l’union budgétaire et sur une union plus économique. Il faut aussi réorienter l’épargne pour investir dans l’économie réelle et participer à la relance de notre pays.
Dominique Lacaille : Mettre en place des plans pluriannuels, n’est ce pas revenir à l’époque de Michel Rocard ?
Stéphanie Yon-Courtin : L’idée c’est de permettre aux décisions d’être prises sur le long terme. Il faut des plans adaptés, mais on est loin de la planification soviétique ! Derrière les mots, il faut une stratégie et du pragmatisme, une articulation entre les niveaux européen, national et local et redonner du sens à notre devise « unis dans la diversité ». On peut imaginer un noyau dur sur les axes majeurs, tout en laissant la possibilité aux États d’adapter les modalités en fonction des spécificités nationales voire locales. Nous devons transcender les clivages politiques, et ça, ça me plait bien. Faisons l’Airbus de la batterie, de la 5G et que sais-je… Réinventons, transcendons les dogmes et les clivages, en respectant les convictions de chacun, par la méthode de compromis et de consensus ! Ça passe ou ça casse ! Si on n’a pas d’Europe, ça fera très mal. Si les Chinois et les Américains cherchent à nous diviser, c’est qu’ils craignent l’Europe. Profitons-en ! Disons-leur de venir investir chez nous, mais avec nos règles.
Letycia Ossibi : Que prévoit l’UE pour le tiers monde ?
Stéphanie Yon-Courtin : Actuellement un sommet Union Européenne Afrique est en préparation. On évoque la suspension de certaines dettes et des renégociations, pour permettre à certains pays d’investir, notamment dans les domaines sanitaires.
André Calentier : Faut-il garder le Parlement Européen à Strasbourg ? Les dépenses qu’il génère en temps et en argent pourraient être mieux investies ailleurs. Et les bâtiments pourraient être transformés en musée de l’Europe.
Stéphanie Yon-Courtin : La question n’est pas iconoclaste, et elle est actuelle surtout en période de crise. Mais il est difficile de répondre surtout quand on est français. Oui, il y a une perte de temps et d’argent, mais d’un autre côté ce n’est pas mal de ne pas tout avoir à Bruxelles. Le Parlement est le seul organisme qui représente directement les citoyens européens, et tout concentrer à Bruxelles symboliquement c’est réduire la démocratie à la bureaucratie. L’Europe se trouve partout et non seulement dans son noyau. De plus, le Parlement de Strasbourg a été utile pendant la pandémie, car il a ouvert ses portes pour l’hôpital. Mais ça ne se sait pas, car les élans de solidarité ne font pas le buzz médiatique. De même, à Bruxelles, on a accueilli les femmes brutalisées.
Venez, venez donc nous voir. Nous vous accueillerons avec plaisir, et nous écouterons les idées que vous nous donnerez sur tout ça.
Philippe Penot : Nous arrivons au terme de cette visioconférence. Il reste certaines questions que nous poserons par mail. An nom de tous, je vous remercie pour votre intervention. Merci encore.
Stéphanie Yon-Courtin : Merci à vous. Vous êtes là aussi pour relayer tout ce que l’Union Européenne fait de bien et qui passe trop souvent inaperçu. Par exemple sait-on que les masques sont financés à 80% par les fonds européens ? Merci aux deux Philippe. Ma permanence vous est ouverte, ainsi que votre maison, à Bruxelles ou à Strasbourg. Au revoir !
Régie de la rencontre: Gérard Grancher
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Fin de la visioconférence à 11 h 10.