Le Havre, son attractivité culturelle, étudiante, écologique et ses friches

Le Havre a misé sur une triple attractivité

Classée au patrimoine mondial de l’humanité, la ville du Havre est fière de ses immeubles imaginés par Auguste Perret et construits dans les années 50. Tout d’abord, nous remarquons l’harmonie de l’architecture et le profil unique du “volcan” de O. Niemeyer . La ville a beaucoup d’atouts : des activités culturelles, des écoles internationales et une université. De plus, Le Havre se veut une ville novatrice et écologique, soucieuse de l’habitat. Les industries se développent autour de la transition numérique. Nous découvrons que toutes les friches recensées sont en harmonie avec les différentes facettes de la ville. 
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Au Havre, deux projets, l’un urbain, l’autre participatif

Rendez-vous le jeudi 27 mai. 

Pour faire suite à notre rencontre du 11 mai, nous allons nous transporter dans la Communauté Urbaine du Havre le 27 mai pour  la présentation de deux friches et de leur reconversion. De plus, lors de la réunion du 27 mai nous allons découvrir deux projets très créatifs et ingénieux, deux perspectives de dimension européenne. 
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LES FRICHES INDUSTRIELLES : LE REBOND

Webinaire printemps 2021. Cycle de conférences.

Premier volet :  LA METROPOLE ROUENNAISE

Conférence inaugurale de notre séminaire “L’Europe, le long de la Seine” du mardi 11 mai 2021.

Compte rendu rédigé par Alain Ropers, membre du Bureau du ME 76. (vidéo en pièce attachée)

Pourquoi les friches industrielles ?

FRICHES INDUSTRIELLES : LE REBONDDans son propos d’accueil,   Philippe Thillay, président du Mouvement Européen de Seine Maritime, montre que l’Europe, au-delà de ses institutions, de ses directives et de ses financements, c’est aussi un projet, des citoyens, des territoires, une communauté de destins. Aujourd’hui, l’Europe est sujette à de profondes mutations, ses territoires doivent se réinventer, comme ces friches industrielles, témoins d’un passé florissant, et que l’on doit maintenant se ré-approprier. Un rebond est indispensable. 

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L’art contemporain est le langage commun de l’Europe

L’art contemporain et l’Europe

L’art contemporain et l’Europe, tel est thème retenu pour le 9 mai 2021. La réflexion porte sur le projet européen, ses valeurs et son avenir. En préparation de la Fête de l’Europe, le ME-F nous propose de méditer sur le thème de l’art contemporain et l’Europe. Le choix de l’art pour parler d’Europe est un signe de soutien au monde culturel dans le contexte mais aussi et surtout un moyen de questionner chacune et chacun dans sa perception sans porter de jugements ou faire de leçon sur le sujet.
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L’Europe à l’heure numérique, les suites

Vendredi 4 décembre s’est tenue la conférence de synthèse du séminaire : l’Europe à l’heure numérique. Nous avons reçu Nicolas Mayer-Rossignol, Président de Métropole Rouen Normandie, Maire de Rouen et Mme Morin-Desailly, Sénatrice de Seine-Maritime.
La conférence a été introduite par Alain Ropers qui en quelques minutes a présenté une synthèse de nos travaux.

MINI-SYNTHÈSE GÉNÉRALE, par Alain Ropers

 Comme nous l’avons précisé au début de cette réunion, nous avons organisé deux cycles de visioconférences.

  • Un premier cycle au mois de juin sur le thème de la santé que nous avons abordé avec différents regards : celui du médecin, de l’industrie pharmaceutique, du législateur français et européen, et sous l’aspect de la solidarité entre états et de la souveraineté européenne en la matière. C’était passionnant.
  • Un deuxième cycle qui se termine aujourd’hui sur le thème du numérique qui bouleverse profondément nos sociétés. Nous y avons donc consacré quatre visioconférences, en invitant des personnalités qualifiées pour nous parler des enjeux économique, éthique, sociétal et géopolitique du développement numérique….   Pour lire la suite, cliquez ici

Visionnez les interventions de Nicolas Mayer-Rossignol et Catherine Morin-Desailly. Cliquez sur le lien: https://bit.ly/04-12-synthese-seminaire 

Intervention de Nicolas Mayer-Rossignol,

Fonctionnaire auprès de la Commission Européenne de 2003 à 2008, spécialiste de pharmacobiologie et actuellement, Maire de Rouen et Président de Rouen Normandie Métropole.
À la commission européenne, Nicolas Mayer-Rossignol était spécialisé dans le domaine du médicament, des vaccins et de la thérapie génétique. Ce domaine dépendait de l’Industrie, à présent ce domaine est rattaché à la Santé.
Monsieur Mayer-Rossignol est en disponibilité actuellement … Pour lire la suite, cliquez ici.

Intervention de Madame Catherine Morin-Desailly

L’Europe et le numérique, deux thèmes qui me sont chers. Le numérique est plus que jamais d’actualité ; en juin 2016 j’ai clôturé une réunion des jeunes européens au CNAM où je parlais du numérique ; or aujourd’hui, plus que jamais, le numérique est en pleine actualité.
Je reprends les propos de Nicolas Mayer-Rossignol, je partage avec lui l’idée que Rouen doit être une Eurocité, Rouen a tous les bons atouts pour y réussir, de plus l’attractivité de la Normandie passe par l’attractivité de ses villes.

Le parlement français fait des propositions de loi, comme le projet de loi contre la haine en ligne ; il est essentiel de préserver la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Je sors d’une réunion où j’étais en lien avec des parlementaires de plusieurs pays pour mettre en place une régulation de l’Internet qui se joue au niveau européen, mais aussi au niveau mondial… Pour lire la suite, cliquez ici

Synthèse, par Alain Ropers

MINI-SYNTHÈSE GÉNÉRALE,

 Comme nous l’avons précisé au début de cette réunion, nous avons organisé deux cycles de Visio conférences.

  • Un premier cycle au mois de juin sur le thème de la santé que nous avons abordé avec différents regards : celui du médecin, de l’industrie pharmaceutique, du législateur français et européen, et sous l’aspect de la solidarité entre états et de la souveraineté européenne en la matière. C’était passionnant.
  • Un deuxième cycle qui se termine aujourd’hui, sur le thème du numérique qui bouleverse profondément nos sociétés. Nous y avons donc consacré quatre visioconférences, en invitant des personnalités qualifiées pour nous parler des enjeux économique, éthique, sociétal et géopolitique du développement numérique.

L’ENJEU ÉCONOMIQUE:

Lors de notre première visioconférence, nous avons écouté Manuela Portier, présidente de Cap Digital.
Elle a choisi d’axer son propos non pas sur l’économie à proprement parler, ni même sur le numérique, mais plutôt sur l’impact du numérique pour aider à la transformation de l’économie, vers une économie plus vertueuse, centrée sur les objectifs de l’Union Européenne, à savoir la transition énergétique, le développement du numérique et son indépendance.

Elle a montré comment cette démarche de mise en réseau d’acteurs qui n’avaient pas forcément l’habitude de travailler ensemble pouvait aider à l’apparition de villes vertueuses.
Accéder à cette conférence: https://mouvement-europeen76.eu/europe-numerique-economie/

L’ENJEU ÉTHIQUE:

Pour notre deuxième visioconférence, l’invitée, Elodie-Paola Palombi, fondatrice de la société EDI, ou Ethic Digital Impact.
Elle a attiré notre attention sur la formidable révolution que nous vivons actuellement, après l’apparition de l’agriculture au néolithique et l’apparition de l’industrie au dix-neuvième siècle.

L’homme est confronté aux réseaux et au temps réel, ce qui entraine des dérèglements sociaux, économiques, civilisationnels et environnementaux, enjeux auxquels l’éthique, nous impose d’apporter des réponses et donc de mettre en place le développement durable, auquel le numérique peut apporter du positif comme du négatif.
Accéder au compte rendu de cette conférence: https://mouvement-europeen76.eu/suite-conference-ethique/ 

L’ENJEU SOCIÉTAL:

Pour la troisième visioconférence, notre invité était Philippe Vidal, professeur des universités en géographie et en aménagement actuellement en poste à l’université du Havre.
Il nous a montré les étapes du développement numérique dans les différents territoires européens, américains et chinois, et présenté les enjeux fondamentaux du numérique : les habitants, la régulation publique, la justice spatiale et sociale, la formation, la démocratie et la gouvernance.

Pour lui l’Europe et les citoyens européens sont à la croisée des chemins, et devra choisir, parmi les scénarios possibles, de favoriser un modèle humaniste plaçant l’humain au centre de l’innovation et prônant une société ouverte, démocratique et durable.
Accéder au compte rendu de cette conférence: https://mouvement-europeen76.eu/enjeu-societal-compte-rendu/

L’ENJEU GÉOPOLITIQUE:

Pour notre quatrième visioconférence notre invité était Gilles Babinet, vice-président du Conseil National du numérique, un collège de trente membres nommés par le premier ministre, et chargé de représenter la France à Bruxelles en ce qui concerne le numérique.
Il nous a expliqué la fin des modèles régaliens, puisqu’aujourd’hui de nombreux acteurs comme les hackers, les géants du numériques, etc. prennent une puissance aussi grande voire plus grande que les états, et que cela menace notre souveraineté numérique.

Selon Gilles Babinet le destin de l’Europe est de faire émerger un projet européen de démocratie technologique, et surtout, il est urgent de penser à long terme, en misant, par exemple sur le développement d’une cyber défense européenne, ce qui se rapproche de la recherche fondamentale.

Deux courtes phrases de Gilles Babinet peuvent résumer ces quatre visioconférences :
Accéder au compte rendu de cette conférence: https://mouvement-europeen76.eu/compte-rendu-enjeu-geopolitique/ 

« Tout n’est pas perdu. Mais il faut se réveiller. »

 

 

L’Europe à l’heure numérique: Nicolas-Mayer Rossignol

Fonctionnaire auprès de la Commission Européenne de 2003 à 2008, spécialiste de pharmaco-biologie et actuellement, Maire de Rouen et Président de Rouen Normandie Métropole.
A la commission européenne, Nicolas Mayer-Rossignol était spécialisé dans le domaine du médicament, des vaccins et de la thérapie génétique. Ce domaine dépendait de l’Industrie, à présent ce domaine est rattaché à la Santé. Monsieur Rossignol est en disponibilité actuellement .

Smart City ?

Rouen s’appuie sur le numérique pour pousser sa candidature à Rouen Capitale Européenne de la culture, candidature sur laquelle nous fondons beaucoup d’espoirs.
Lorsque l’on parle de Digital et de Smart City on a souvent le sentiment que mettre du numérique et de la technologie est forcément positif mais il faut rester prudent car l’évolution technologique n’est que ce que l’on en fait, elle n’est pas intrinsèquement un gage de moralité d’intelligence progressiste, sociale, inclusive, bienveillante, durable… Il faut garder en tête ce principe, mais ce principe de prudence n’est pas un principe d’inaction, mais un principe selon lequel l’action doit être dirigée par l’humain. Smart City ne résout pas tout. Il y a quelques années on croyait que l’Internet allait ouvrir toutes les portes, cela a fermé des portes à certains.

L’ambition de la Métropole sur le numérique est forte ; on dispose déjà d’une filière numérique et le pourcentage d’emploi est en croissance depuis 10 ans, même si on est encore loin d’autres régions il existe une dynamique numérique dans la Métropole, avec un écosystème (e-commerce, usine 4.0 …) encouragée par les attentes des citoyens. Rouen Métropole Capitale du monde d’après intègre un projet de métropole connecté sur plusieurs dimensions : administration, participation citoyenne, inclusion, mobilité, open data qui seront déployés tout au long du mandat. Travailler à un forum de la résilience e-numérique permet de développer l’intelligence collective.

Le numérique intervient dans tous les aspects de la vie de la ville de Rouen. Dans le domaine universitaire, Erasmus a encouragé les échanges d’étudiants, désormais les étudiants font une partie de leurs études à l’étranger. Il y a des étudiants norvégiens au lycée Corneille, il faut multiplier et développer ces échanges entre pays européens.

Le digital a fait évoluer la vie quotidienne de la ville, cela nous a aidés par exemple à faire face à la gestion des déchets. Nous pourrions avoir une application qui donnent les horaires des camions poubelle, le niveau de remplissage des containers…Rouen a du retard, mais nous travaillons à rattraper ce retard. Pendant la crise sanitaire les élus ont mis des moyens en ligne pour garder le contact avec les habitants. En tant que maire je suis disponible tous les vendredis à 18 heures pour des échanges en visioconférence ouverte à tous. Nous développons une intelligence collective. Les élus ont préparé la rentrée des classes avec les parents par visioconférence, il y a eu des échanges qui ont permis de faire émerger des idées auxquelles nous n’avions jamais pensé auparavant.

La Métropole rouennaise et l’Europe :

L’apport européen est fondamental, nous partageons des valeurs, un modèle de société, en plus de la science et de la technologie. C’est un sujet de résilience et un apport culturel. Le levier culturel est essentiel dans la transformation de notre territoire. La Seine est un axe qui est loin de nous unir, on vit chacun de son côté, mais pas ensemble. Rouen ne donne pas l’image d’emblée d’une ville portuaire. Il y a un potentiel inexploré, il y a des flux intéressants : flux de bateaux, flux de d’étudiants, il y a des festivals. Notre territoire souffre d’un déficit de friche portuaire ; il y a un grand besoin de changement, nous sommes dans l’attente de la transition sociale et écologique, de transition numérique et agricole.

Le lien de la Métropole et l’Europe sous l’angle numérique est très fort ; le numérique autorise les échanges et collaborations entre les grandes villes européennes qui partagent des problématiques identiques (difficultés économiques, liens historiques…).

Les relations Europe – Métropole se manifeste aussi au travers du projet de Rouen Capitale Européenne de la culture. Ce projet doit inscrire notre métropole dans la dynamique européenne mais aussi être, au-delà de 2028, un véritable levier pour le développement et la transformation de notre territoire sur la décennie ou plus et un levier de lien entre nous (le vivre ensemble et non côte à coôte) ; c’est du point de vue de Nicolas Meyer-Rossignol un véritable enjeu d’enrichissement : entre quartiers, entre rives mais aussi dans notre rapport à notre environnement, lien entre les villes portuaires d’Europe par exemple ; et l’Europe est un catalyseur formidable pour notre futur.

Malgré les efforts de ces dernières années pour faire évoluer notre métropole, le monde a aussi évolué et les attentes de nos citoyens également ; et pour cela on a aussi besoin d’Europe, pas seulement en termes d’aides financières mais aussi pour nous nourrir des expériences européennes en matière d’urbanisme, de logement, de mobilité. Par exemple en mobilité active sur 100 produits qui entrent ou sortent du port de Rouen 75 le sont via la route 20 via le fleuve et 5 via le train ; ce n’est évidemment pas satisfaisant pour demain et des solutions inspirantes existent ailleurs en Europe. Nous pouvons nous nourrir des expériences Européennes comme la ville de Leipzig qui peut nous inspirer pour l’habitat et la mobilité. Il faut s’intéresser aux mobilités actives : utiliser les vélos etc. Il faut s’intéresser au ferroutage, d’autres pays européens l’ont fait avec succès, pourquoi pas nous. À Anvers, qui a mieux compris les impératifs écologiques, les chargements partent par canaux.

Redonner envie d’Europe :

Nous devons redonner envie d’Europe, pas seulement pour des raisons économiques mais aussi pour ses valeurs, les échanges, la fraternité, la laïcité. Rouen doit retrouver sa place dans les radars européens dans les réseaux de villes portuaires, de jeunesse en s’appuyant sur ses institutions publiques mais pas que… elle doit aussi s’appuyer sur ses entreprises, ses associations, ses citoyens.

En réponse à Bernard Deladerrière et Jean-Marc Delagneau, l’idée de développement d’un partenariat d’axe Seine avec l’axe Hanovre- Berlin est une idée à creuser et aussi développer une vision de transformation industrielle avec Hanovre de méthode industrielle de dépollution.  Un partenariat pourrait s’organiser dans ce cadre portant sur un écosystème à déployer et le développement des énergies marines renouvelables.

 trois mots clé pour conclure :

  • Technologie et démocratie
  • Transitions
  • Lien : notion de fraternité, de solidarité, solidarité militaire, mais aussi solidarité des peuples.

L’identité de notre capitale normande doit évoluer. Nous avons besoin d’un lien entre Rive Droite / Rive Gauche et entre les communes de la Métropole. Nous pouvons enrichir nos liens avec les villes de la Hanse.

 

 

 

 

L’Europe à l’heure numérique, Catherine Morin-Desailly

Intervention de madame Catherine Morin-Desailly

L’Europe et le numérique, deux thèmes qui me sont chers. Le numérique est plus que jamais d’actualité ; en juin 2016 j’ai clôturé une réunion des jeunes européens au CNAM où je parlais du numérique, or aujourd’hui le numérique est plus que jamais en pleine actualité.
Je reprends les propos de Nicolas Mayer-Rossignol, je partage avec lui l’idée que Rouen doit être une Eurocité, Rouen a tous les bons atouts pour y réussir, de plus l’attractivité de la Normandie passe par l’attractivité de ses villes.

Le parlement français fait des propositions de loi, comme le projet de loi contre la haine en ligne ; il est essentiel de préserver la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Je sors d’une réunion où j’étais en lien avec des parlementaires de plusieurs pays pour mettre en place une régulation de l’Internet qui se joue au niveau européen, mais aussi au niveau mondial.

Cette technologie est très jeune, sa puissance de transformation n’en finit pas. La technologie numérique est l’épine dorsale de notre société, ses implications sont économiques, politiques… 57% de la population mondiale est connectée. Il faut toutefois noter que ce chiffre comprend 90% d’habitants de pays membres de l’OCDE. Fin 2012, il existait 1,4 milliards de terminaux, en 2020, ce sont 14 milliards, soit dix fois plus. Il y a une accélération des données en ligne, données de santé, éducation, finance, culture, handicap et solidarité. La crise sanitaire a accentué l’usage de l’Internet. Nous avons connu le Web social avec B&B, puis le «3.0» avec les puces que l’on trouve partout : voitures, machines à laver, objets connectés, on arrive à présent au «4.0» qui concerne la santé, un Web généticien.
Aux États-Unis, Bill Clinton a pris les devants en 2000 sur le plan législatif pour maîtriser le système avant son développement. La Chine et la Russie ont suivi.

Un enjeu stratégique

L’Europe n’est qu’un petit satellite, nous n’avons pas d’acteurs de premier plan. Nous avons perdu notre souveraineté. La stratégie européenne ne se soucie pas de savoir si l’Europe sera composée de consommateurs, de producteurs ou d’acteurs. L’Europe a bien identifié le problème, mais a surtout axé sur les usages du numérique. Les révélations de l’affaire Snowden ont changé la donne. L’affaire Cambridge Analytica où il est avéré que l’on a manipulé les données pour influencer le vote des électeurs en faveur de D. Trump. Le Brexit a aussi largement fait l’objet de manipulations de ce type. Depuis tous les forums mettent en avant leurs qualités de sécurité.
Cédric O, Secrétaire d’État à la Transition numérique, a confié à Microsoft TousAntiCovid. Le Health data Hub a été confié à Microsoft avec nos données de santé, au prétexte que nous n’avons pas de sociétés capables en Europe. On ne fait pas confiance aux entrepreneurs européens.

Cinq axes pour l’Europe

Thierry Breton est très actif dans ce domaine, c’est notre chance. L’Europe est coincée entre le capitalisme de surveillance et le modèle chinois, autoritaire. L’Europe ne doit pas se résigner, elle a un rôle à jouer. Il nous faut retrouver un modèle vertueux, un modèle conforme à nos valeurs. Voici 5 axes

  1. Protection des données (RGPD)
  2. Régulation / offensive du numérique.
  3. Prendre des mesures fiscales. Préférence communautaire. Small business Act. Réguler les plateformes. Digital Services Act. Établir un statut d’hébergeur/éditeur. Il y a une urgence démocratique à régler. Il faut avoir une politique industrielle qui permette d’aider les entreprises européennes qui existent. Favoriser la Greentech.
  4. Peser dans la gouvernance mondiale de l’Internet.
  5. L’appropriation citoyenne est indispensable, les citoyens doivent être aguerris pour peser sur les évolutions culturelles et politiques.

Les américains utilisaient nos données. Avec GAIA-X, le projet de cloud européen franco-allemand, je me réjouis, nous avons l’espoir d’un véritable retour de notre souveraineté. Google abusait de sa position de force pour favoriser ses propres partenaires ; il faut revoir les règles de la concurrence. Il nous faut une directive qui donnera un statut à ces plateformes et évite la manipulation. On a proposé aux plateformes de s’autoréguler, c’est une mauvaise solution, il ne faut pas les laisser décider, cela leur donnerait davantage de pouvoir. Depuis un an les Démocrates américains parlent de démantèlement. La polémique dans l’affaire Breton montre la volonté d’ingérence pour détruire les tentatives de régulation

De nouveaux clivages politiques

Jean Louis Borloo a affirmé qu’il ne faut plus penser en termes de clivage droite / gauche ; il y a deux enjeux importants : 1. Relever le défi climatique. 2. Acquérir notre souveraineté vis-à-vis du numérique.
D’énormes progrès ont été réalisés grâce au numérique, en ce qui concerne la mobilité par exemple. Nous pouvons faire confiance à Thierry Breton. En France nous avons trop longtemps été naïfs. Toutefois nous avons su agir sur le RGPD et sur la culture, les ministres de la culture successifs ont su faire avancer la loi sur les droits d’auteur. Les plateformes reversent une partie des droits aux auteurs sur les textes publiés. Nous avons besoin d’une législation plus stricte. Il reste également à régler le problème du statut des plateformes. Je regrette les pantouflages, notamment les fonctionnaires européens en charge de la concurrence. Lire le livre de Shoshana Zuboff : L’Âge du capitalisme de surveillance.

Questions du public :

Question de M. Legendre : « Comment contrôler les lobbies ? »
Réponse de CMD : la législation est à créer. Difficile de trouver un avocat : ils travaillent tous pour les géants américains.

Question de Gérard Grancher : « Comment inciter nos concitoyens européens à utiliser Qwant plutôt que Google et Libre office plutôt que Microsoft ? »
Réponse de CMD : « Il faut choisir la préférence communautaire, l’État devrait faire de la publicité pour faire connaitre Qwant. Les Américains ont financé tous les développements d’Apple.

Deux questions de Valérie Milaire : « Comment dès la petite enfance sensibiliser à la protection des données ? » et « Comment permettre l’accès au numérique pour tous ? »
Réponse de CMD : « Il faut arriver à une montée en puissance du numérique pour tous. La formation des maîtres a changé, on les forme au numérique désormais. Il a fallu former des formateurs pour que tous les enseignants soient compétents. Pas d’écran avant 3 ans, pas d’Internet avant 6 ans. La Région a fait un effort pour les Mairies n’ont pas toujours les moyens financiers d’équiper toutes les écoles. L’enjeu est important car tout passe par le numérique.

Compte rendu rédigé par Florence Aston le vendredi 4 décembre.

L’Europe à l’heure numérique: l’enjeu géopolitique

L’EUROPE À L’HEURE DU NUMÉRIQUE – NOVEMBRE 2020
Semaine 3 : L’ENJEU GÉOPOLITIQUE
Visioconférence du 3 décembre 2020 – 17 h 30
Invité :
Gilles Babinet : Conseil National du Numérique, une instance de conseil du Gouvernement, et « Digital Champion » ou « Spin Doctor » représentant la France auprès de la Commission Européenne.

Animation : Philippe Penot
Régie : Gérard Grancher
Suivi des questions par le Chat : Florence Aston
Prise de notes : Alain Ropers

Ouverture de la session et réglages par Gérard Grancher. Conseils pour utiliser le chat. Une trentaine de participants connectés.
Présentation par Philippe Thillay de l’ensemble du cycle de conférences dans lequel s’inscrit celle-ci.

LA FIN DES MONOPOLES RÉGALIENS

Philippe PenotLa géopolitique classique repose sur la notion de territoire, d’état ; la notion de souveraineté est définie traditionnellement comme le pouvoir suprême exercé sur un territoire, à l’égard d’une population, par un État indépendant, libre de ses choix. Or, le cyberespace de par sa nature immatérielle et volatile, bouleverse la notion même de géopolitique.

En géopolitique digitale, le territoire est l’ensemble des réseaux d’information et de communication dont dispose un pays (câbles sous-marins, bandes passantes, serveurs, etc.). Les données numériques sont de nouveaux outils de puissance pour les États.
L’acteur principal en géopolitique traditionnelle est incontestablement l’État. À l’heure du digital, les états partagent cette puissance avec d’autres acteurs :

  • Des individus (Edward Snowdon, Julian Assange, etc.)
  • Des groupes d’individus (les hackers d’Anonymous, etc.) qui peuvent d’ailleurs être utilisés par les États pour régler leurs comptes avec d’autres États qualifiés d’hostiles (particulièrement les hackers russes et chinois)
  • Les géants du web : les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) américains et les BATX chinois (Biad, Ali baba, Tencent et Xiaomi). Ces data brokers, forts des data centers qu’ils détiennent et des applications qu’ils développent, sont considérés comme les acteurs les plus puissants sur l’échiquier des relations internationales.

Dans ce contexte de fin des états-nations, la souveraineté numérique est bien un enjeu géopolitique.
La souveraineté numérique, c’est-à-dire notre capacité à rester maîtres de nos choix, de nos décisions et de nos valeurs dans une société numérisée recouvre plusieurs aspects sur lesquels nous aimerions Monsieur Babinet avoir votre éclairage.
Ma première question, Monsieur Babinet, concernera la remise en question des monopoles régaliens (le privilège de battre monnaie, l’identification officielle, celui de la violence légitime…) à l’ère du numérique.  L’efficacité de nos services d’enquête judiciaire et de renseignement repose dorénavant sur des solutions étrangères et privées, par exemple pour le traitement de données.
Quel regard portez-vous sur cette atteinte à notre souveraineté par des acteurs sans aucune légitimité ?

Gilles BabinetMerci de vous intéresser à ces sujets passionnants et cruciaux. La géostratégie de la technologie devient un sujet fondamental et beaucoup d’études lui sont consacrées, surtout aux États-Unis, mais aussi en Europe. Les concepts militaires sont en train de changer de nature très profondément. Aujourd’hui, l’espace territorial n’a plus la même importance qu’auparavant et la part des acteurs privés délocalisés est d’une importance croissante. La technologie n’est pas neutre, comme le montre beaucoup de travaux de chercheurs et comme le montre l’histoire. L’invention du canon en Europe après celle de la poudre en chine, a eu une importance géostratégique indéniable, car ce sont ces inventions qui ont créé la parenthèse « westphalienne », puisque ceux qui pouvaient s’offrir ces technologies ont pris le dessus en agrégeant les petits, ceux qui n’ont pas pu en disposer.

Aujourd’hui, on se trouve dans un entre-deux. On assiste à une coalition entre acteurs privés et états impériaux. Citons les GAFAM avec l’État fédéral américain, ou les BATX avec l’État chinois. Les américains ont compris les premiers qu’il faut arriver à maîtriser ce type d’acteur.

En conclusion de cette première question, je constate que l’Europe n’a pas encore réussi à former une stratégie de ce genre parce que ce n’est possible que pour des états dont le pouvoir est très concentré. La fameuse subsidiarité européenne complique cette problématique :  chaque État peut avoir sa propre stratégie ; c’est ainsi que Huawei est entré au Portugal et en Italie. Ces désaccords sont souvent clivants et rendent la construction d’une doctrine commune difficile.

Philippe Penot. Un des aspects de la souveraineté régalienne, c’est le droit de battre monnaie. Actuellement, on assiste à l’essor des crypto-monnaies, comme le bitcoin. Quel est le risque de ce côté-là ?

Gilles Babinet. Les crypto-monnaies sont symptomatiques de ces technologies très décentralisées, sans banque centrale, sans chambre de compensation et donc le danger est que ces monnaies peuvent être manipulées de façon incontrôlée.

Il y a eu un projet alternatif au bitcoin, basé sur des technologies semblables, c’est le libra, imaginé par Facebook, Mais il y a eu une levée de boucliers des états, vis à vis d’une monnaie qui prétendait s’affranchir des banques centrales, et Facebook a compris qu’un système sans régulateur et banque centrale pouvait le décrédibiliser. Facebook a donc présenté une nouvelle copie. C’est maintenant une monnaie adossée au dollar et en fin de compte, c’est plus un système de transaction qu’une monnaie en tant que telle. Ces technologies ont leur origine dans la Silicon Valley, et sont portées par une idéologie libertarienne qui leur est consubstantielle.


LA SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE

 Philippe Penot. Deuxième dimension, la souveraineté numérique : comment conserver notre capacité autonome d’appréciation, de décision et d’action dans le cyberespace ? À ce titre, vous pourriez peut-être nous éclairer sur l’importance de l’arrêt du 16 juillet 2020 de la Cour de Justice de l’Union européenne dans l’affaire qui oppose Facebook à l’Autrichien Maximilian Schrems relative aux transferts de données personnelles de l’Union européenne vers les États-Unis, pays qui oblige, nonobstant la RGPD, les opérateurs du net à mettre les données personnelles de ses utilisateurs à la disposition des autorités américaines, telles que la NSA et le FBI ?

Gilles Babinet. Après le Cloud Act adopté en 2018 par les Américains, une loi fédérale règlementant l’accès aux données de communication et notamment les données personnelles opérées dans le Cloud, les Européens avec l’arrêt « Schrems 2 » de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ont invalidé le système du « Privacy Shield » qui permettait le transfert de données personnelles vers les États-Unis Cet arrêt oblige également les responsables de traitement à repenser les transferts de données personnelles et leur encadrement.

Cette décision européenne montre que nous sommes dans un moment critique pour agir, une fenêtre de tir favorable, un momentum comme on dit en anglais. Un momentum pour se hisser au niveau du Cloud Act, en investissant davantage car nous sommes loin des investissements américains sur le sujet. Le risque est que si nous réussissons à créer un système de régulation efficace, il y ait une perte de marché pour ces sociétés américaines et que pour les aider les États-Unis renoncent au Cloud Act, faussant encore davantage la concurrence.

Philippe Penot. À quel niveau l’Europe intervient-elle ?

Gilles Babinet. Vous connaissez l’attitude très offensive du commissaire français, Thierry Breton, qui a demandé des comptes au patron Sundar Pichai alors que Google préparait une riposte au Digital Service Act. Ce texte en cours de préparation vise à donner la possibilité de réguler les grandes entreprises technologiques. Il s’agit d’une vraie réflexion sur cette notion de data et de souveraineté.

Il faut que l’Europe se réveille, avec un vrai projet stratégique, qu’elle crée, ce parapluie politico-technologique européen, vers lequel finiront par converger les pays regardant ailleurs, et même d’autres, comme Singapour ou d’autres qui cherchent à se rapprocher de l’UE car ils ont besoin d’évoluer dans le cadre d’alliances. C’est le moment d’avoir sur certains thèmes des discours unifiés. Un pas supplémentaire est à faire aujourd’hui dans le domaine de la technologie.


LES OUTILS NUMÉRIQUES

 Philippe Penot. Enfin, troisième enjeu, la souveraineté des outils numériques : comment maîtriser nos réseaux, nos communications électroniques et nos données, publiques ou personnelles ?  Face aux puissances en présence (entreprises aux capitaux presque illimités, États dont le comportement impérieux et peu soucieux du respect des droits fondamentaux n’est plus à démontrer, affaissement des États libéraux), quelle posture nos États démocratiques et l’Europe doivent-ils adopter ?

Quelles dispositions l’Europe doit-elle prendre pour restaurer notre souveraineté ?

 Gilles Babinet. Il y a une sorte de fatalisme qui consiste à laisser croire que les États non démocratiques avanceraient plus vite que les autres, mais je suis convaincu que ce n’est pas inéluctable, et qu’il faut faire émerger un projet de démocratie technologique. C’est le destin de l’Europe. La concentration de pouvoirs finit toujours mal, car le niveau de désinformation et de propagande, cachent les dysfonctionnements du pays. Par exemple, selon le Financial Times, il y aurait eu cinq millions de morts de la Covid-19 en Chine ce qui est très loin des chiffres annoncés. Pour assurer sa souveraineté, notamment dans le domaine numérique, l’Europe doit à mon sens bâtir une cyberstratégie militaire en dehors de l’OTAN.
Et pour cela, il faut d’urgence investir sur le long terme.

  • Augmenter les investissements dans la recherche fondamentale. L’Europe est la partie du monde qui comprend le plus de prix Nobel, le plus de publications scientifiques, etc. et elle est la mieux dotée en termes d’infrastructures télécom. Nous devrions pouvoir mettre en place nos propres plateformes.
  • Renforcer la recherche universitaire avec obligation de transfert de technologie
  • Augmenter les investissements dans les start-up
  • Orienter les systèmes éducatifs dans ce sens

Il n’est pas trop tard pour faire de l’Europe la première zone de recherche et d’innovation, même si jusqu’à présent nous n’avons pas été capables de faire ce projet susceptible d’entraîner l’adhésion des citoyens européens.

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

 Florence Aston a noté les questions de Charles Maréchal, Michel Le Stum et Gérard Grancher.

Michel Le Stum. Parmi les pays impériaux, vous n’avez pas parlé de la Russie. Pourquoi ne l’avez-vous pas citée ?
Gilles Babinet. Oui, la Russie met aussi en œuvre un soft power, avec la technologie qui en fait un leader en termes de désinformation et de propagande. Mais tous les indicateurs économiques montrent que la Russie est en phase d’écroulement. Sa stratégie est très coûteuse, la corruption la gangrène, et elle perd cinq places tous les deux ans dans le classement des puissances économiques mondiales. La forte gesticulation de Vladimir Poutine, les restes d’un outil militaire puissant et d’une technologie brillante entretenue par la propagande peuvent faire illusion, mais pour moi, c’est le chant du cygne.

Gérard Grancher. Toutes les grandes entreprises technologiques sont aujourd’hui américaines et demain peut-être aussi chinoises. Pourtant l’Europe a souvent été à l’origine des inventions qui ont conduit à ce développement numérique. Comment combler cet écart ?
Gilles Babinet. L’écart s’explique par les montants considérables investis par les Américains, notamment sur le financement direct universitaire. L’Europe met moins d’argent et même moins qu’auparavant.
De plus, pour lancer une technologie sur le marché, il faut une piste de décollage. Aux USA, ils ont 330 millions de personnes pour tester un nouveau produit sur le marché. En Europe, nous sommes 500 millions, mais les règlementations particulières de chaque État ne permettent pas d’aller aussi vite. La Commission Européenne en a pris conscience et souhaite bâtir cette cyberstratégie.

Parmi les états ayant un certain niveau d’expérience technologique il faut aussi citer Israël. Mais en Israël, il faut savoir que les universités, le système militaire, le venture capital, et quasiment toutes les capacités technologiques sont intégrées aux USA. Israël est presque un satellite des USA en matière de technologie et se sert des USA et du marché américain comme terrain de jeux pour lancer ses start-ups.

Charles Maréchal. Que pouvez-vous nous dire du projet Gaïa-X ?
Gilles Babinet. C’est une initiative franco-allemande devenue le projet Gaïa-X. Elle a été présentée en octobre 2019. Un an plus tard, cette initiative est devenue un projet de cloud européen avec pour objectif d’assurer une meilleure souveraineté numérique à l’Europe. Il peut se définir par ses acteurs privés : 180 entreprises ont rejoint l’initiative lancée initialement par 22 entreprises franco-allemandes, mais il faut trouver la taille critique. C’est bien et prometteur, mais il semblerait que la technologie informatique sur laquelle repose le projet Gaia-X ne soit pas la meilleure et que des améliorations soient possibles.

Hadrien Simon. Peut-on rêver d’avoir un jour un géant privé du numérique en France ou en Europe ?
Gilles Babinet. C’est une bonne question. Je ne sais pas répondre. Je dirai que le travail est convenablement fait avec la fondation de la BPI, un organisme bien géré qui a accéléré l’écosystème d’innovation des start-ups européennes. Que se passe-t-il quand on devient une menace pour l’un des GAFAM ? Ils sont prêts à payer des sommes délirantes pour vous acheter. On a vu des exemples en Grande Bretagne et ailleurs. Cela pose d’ailleurs une question antitrust. Le régulateur européen devrait leur interdire de faire la moindre acquisition.

Annick Tesnière. Le corona virus et la crise sanitaire que nous connaissons vont-ils booster les innovations européennes ?
Gilles Babinet. Sur le plan macroéconomique on s’en sort un peu moins bien que les zones chinoises ou américaines. Les USA ont une banque centrale dont le mandat est différent de celui de la BCE. De ce fait ils s’en tirent mieux sur le plan économique, mais ce sera une catastrophe sociale bien plus grande qu’en Europe, même si ici les situations sont plus hétéroclites.
En Europe il y a eu une prise de conscience plus ouverte à de nouveaux types de management moins traditionnels.

Par ailleurs, la fermeture des frontières n’est pas acceptable, car elle serait source de conflits potentiels. Il faut accepter la mondialisation et la globalisation du commerce et en traiter les inconvénients, mais elles ne peuvent être remises en cause.

En revanche on a assisté à une résilience forte des supply chains (chaînes de distribution) par la technologie, notamment dans le domaine de l’alimentaire. Et la part de la technologie est souvent en train de croître chez certains acteurs traditionnels.

Philippe Thillay. Thierry Breton est pas mal attaqué. Qui sont les auteurs des mises en cause, et quelles sont leurs raisons ?
Gilles Babinet. C’est très impressionnant. Le Point a sorti cette fameuse lettre de Google très agressive envers Thierry Breton. Oui on a un problème. On devrait durcir fortement les règles du lobbying. C’est en cours à Bruxelles. Aujourd’hui on condamne moralement l’action des lobbies, demain, on les condamnera légalement.

Les GAFAM agissent indirectement, en utilisant des think tanks tiers, pour être toujours les premiers sur la balle. À chaque question de la Commission, ils sont les premiers à apporter des réponses dès le lendemain matin. Ils sont souvent plus rapides, plus pertinents que les acteurs indépendants.

Michel Delfin. Thierry Breton ne s’interdit pas de parler de démantèlement des monopoles. Qu’en pensez-vous ?
Gilles Babinet. C’est totalement normal pour l’autorité de la concurrence. L’objectif n’est pas d’affaiblir la concurrence, mais il faut résoudre les distorsions concurrentielles. Le démantèlement n’est pas forcément la sanction la plus dure. Mais si on coupe Google en petits morceaux, rien de prouve qu’il ne sera pas encore plus efficace. La mesure la plus dure, c’est la baisse de parts de marchés en créant un groupe concurrent. C’est arrivé soit par des mouvements d’acquisitions ou de fusions acquisition, soit le démantèlement par des réductions de parts de marchés.

Philippe Penot. L’arme fiscale peut-elle être efficace ?
Gilles Babinet. Oui et non. On s’est rendu compte que la France et les USA seraient perdants de la réintégration de certains capitaux venant des paradis fiscaux, alors que d’autres pays seraient gagnants. L’arme fiscale est plus dans le sens de réarmer les états y compris les États Unis vis-à-vis de ces acteurs extrêmement border lines. Tous les GAFAM ont une culture libertarienne incubée dans la Silicon Valley, sauf Microsoft qui vient de Seattle. En France, on ne dit pas libertarien, mais libéral, et même ultralibéral.

Jean Pierre Girod. En Europe quand on parle de concurrence libre et non faussée, ça pose le problème de la taxation. Les GAFAM échappent pour grande partie à l’impôt en ce qui concerne leurs activités en Europe, ce qui entraîne une concurrence déloyale.
Gilles Babinet. Vous savez c’est très généralisé. Renault aussi utilise les paradis fiscaux. D’ailleurs, la holding de Renault se trouve aux Pays-Bas.

Philippe Penot. Si l’Europe devait prendre deux décisions majeures et en urgence pour corriger les déséquilibres. Quelles devraient être ces décisions ?
Gilles Babinet. Malheureusement le coup de baguette magique n’existe pas.
Sans être militariste, la première décision c’est de créer un outil de cyberdéfense européenne. Il faudra un jour que l’Europe s’assure.
La deuxième, c’est le contraire de l’urgence c’est investir dans le très long terme, dans la recherche en général.
Il faut aussi arrêter la compétition fiscale inter-européenne, beaucoup plus grande qu’aux USA.

Il va falloir aussi accepter de faire un choix pour certains pays de faire des partenariats et d’avoir des coopérations renforcées. On devrait sortir Orban de l’Europe. On a aussi un problème avec les Polonais qu’il faudra aussi régler.
Et nous, en France, on doit avoir une certaine orthodoxie budgétaire, pour être crédible aux yeux des Allemands. On ne peut pas rester avec 57 % de dépenses publiques obligatoires et dans le même temps l’inefficacité de l’action publique qu’on connaît.

Michel Le Stum. Investir en cyberdéfense n’est-ce pas une façon détournée de financer des projets technologiques qu’on ne sait pas financer autrement à cause de la concurrence ?
Gilles Babinet. La défense et très semblable à la recherche fondamentale. Projeter une menace sur le très long terme c’est détecter des tendances de fond, positionner les investissements en conséquence.
Là, c’est très clairement la montée de la cyber-agression capable d’arrêter les hôpitaux, les administrations, les réseaux, et tout. C’est une menace d’ordre premier dont il faut tenir compte dans les négociations qui suivent. C’est une négociation permanente, c’est la Real Politik la plus absolue. C’est moins cher que d’envoyer la plus petite armée et c’est plus efficace.

Si on n’est pas capable de faire ça, on sera les vassaux de tout un tas d’acteurs même beaucoup plus petits que nous.

CONCLUSIONS

 Philippe Penot. Merci M. Babinet. Le temps tourne. Nous arrivons à la fin de cette visioconférence. 

Synthèse par Alain Ropers. C’était riche et intéressant, quelquefois un peu ardu. Ce serait peut-être bien d’avoir un petit glossaire en accompagnement. J’ai noté quelques idées fortes.

La première c’est que nous sommes dans la fin des modèles régaliens et que beaucoup d’acteurs d’origine diverses, comme les hackers, les géants du numérique, etc. prennent une puissance aussi grande voire plus grande que les états, et que cela menace notre souveraineté numérique.
Certains passages de la conférence me paraissaient plutôt réservés aux spécialistes, comme les cyber-monnaies, ou l’arrêté de la Cour de Justice Européenne dans l’affaire Maximilian Schrems.  Je me renseignerai sur internet.

J’ai trouvé très intéressant tous les efforts faits par l’Union européenne notamment la manière offensive dont Thierry Breton s’empare du problème. On sent bien que c’est là le nœud de l’affaire, c’est là qu’il faut agir.

Le Message de M Babinet c’est de nous faire penser à long terme, en investissant dans le domaine de la cyber-sécurité militaire, domaine dans lequel l’Europe doit se positionner puisqu’on voit que le parapluie américain n’est pas bien sûr de fonctionner. Il y a là une occasion de mettre des budgets dans la recherche fondamentale, qui fait appel aux mêmes leviers et aux mêmes recherches que la cyberdéfense et qui peut produire des résultats intéressants.  D’ailleurs, cela n’a pas été rappelé, mais Internet était à l’origine un développement militaire.

Cette conférence était très riche, très dense, et manifestement M Babinet connaît très bien son sujet. Merci.

Gilles Babinet. Magnifique conclusion. Merci de votre initiative, de vos travaux. C’est formidable de brasser des idées et de faire avancer les prises de conscience. Ce que vous faites est extrêmement vertueux. Pour finir, je voudrais vous faire partager un de mes motos favoris. Pancho Villa disait qu’il suffit de cent hommes décidés pour faire une révolution. Quand j’arrive à faire passer une idée et que d’autres la font leur, elle devient très générale. Chacun d’entre nous peut faire ça ou l’a déjà fait.  En s’y mettant à plusieurs on arrive à diffuser des idées extrêmement fortes et à les rendre réelles. Voilà pourquoi je salue vos travaux.

Philippe Penot. Merci de nous avoir consacré du temps dans un emploi du temps que je sais très serré. J’ai noté deux phrases que vous avez prononcées, et qui peuvent servir de conclusion : « Tout n’est pas perdu. Mais il faut se réveiller. »

Conclusion de Philippe Thillay. Rien à ajouter. J’ai beaucoup appris. Il faut continuer de se cultiver sur cette question pour pouvoir aller porter le projet européen dans sa dimension numérique.
Merci à tous d’avoir été attentifs et merci à Gilles Babinet. Merci à la partie technique Jean-Marc, Gérard, Florence et Alain. Rendez-vous demain pour la séance de synthèse.

 Fin de la visioconférence, à 19 h 10.

Textes à découvrir

Une Europe plus verte, plus numérique et plus “géopolitique” :
La Présidente élue de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est exprimée le mercredi 27 novembre 2019 devant le Parlement européen réuni en session plénière à Strasbourg. A cette occasion, elle a présenté son “Collège”de commissaires et leur programme. Le Parlement européen a approuvé la nouvelle Commission, qui entrera en fonction le 1er décembre 2019.
https://ec.europa.eu/france/news/20191128/discours_ursula_von_der_leyen_fr

Une stratégie mondiale ?
Avec la prochaine loi sur les services numériques, l’UE vise à façonner l’économie numérique, non seulement au niveau européen mais aussi pour être une référence au niveau mondial, comme elle l’a fait pour la protection des données.
https://www.europarl.europa.eu/news/fr/agenda/briefing/2020-10-19/1/priorites-du-parlement-pour-la-future-loi-sur-les-services-numeriques

Numérique : La Cour de Justice de l’UE consacre le principe de neutralité du net.
Les mesures pratiquées par certains fournisseurs d’accès à Internet vont à l’encontre du principe d’égalité de traitement et d’accès des contenus en ligne, a considéré la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt rendu mardi 15 septembre2020.
https://www.touteleurope.eu/actualite/breve-numerique-la-cour-de-justice-de-l-union-europeenne-consacre-le-principe-de-neutralite-du.html

Souveraineté numérique : quelles stratégies pour la France et l’Europe ? Fiscalité des GAFAM, risques d’ingérence de puissances étrangères, dépendance de l’État vis-à-vis d’acteurs technologiques extra-européens… La souveraineté numérique met en évidence la nécessité de faire émerger en Europe de nouveaux acteurs du numérique dont les activités respecteraient les principes et les valeurs des Européens.
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/276126-souverainete-numerique-quelles-strategies-pour-la-france-et-leurope

Infographie

Le numérique dans l’Union européenne :
Une frise sur Le marché unique numérique en Europe. Déroulé historique de la démarche et des actions de l’UE.
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/digital-single-market/

 Vidéos

L’Estonie, paradis du numérique.
Daniel Cohn-Bendit est impressionné par le pays balte, où l’administration est presque intégralement dématérialisée.

Numérique : l’Europe à la traîne ?
Paris capitale de la Tech au salon de 17 mai 2019. L’Élysée a réuni 80 grands patrons du numérique pour promouvoir le numérique en Europe. Table ronde avec Pascale Joanin (Rapport Robert Schuman), Guillaume Leboucher de IA pour l’École et Aurélien Sousset.

Internet ou un raté français !

I. Falque-Pierrotin (CNIL) “Les données des Européens profitent aux acteurs internationaux.
Isabelle Falque-Pierrotin est présidente de la CNIL, cette autorité administrative française chargée entre autres de garantir que les usages d’Internet ne portent pas atteinte à la vie privée et aux libertés individuelles. Dans cet entretien, elle explique pourquoi les acteurs internationaux qui utilisent nos données personnelles devront respecter le droit européen.

L’Europe à l’heure numérique: l’enjeu sociétal, la suite

Vidéoconférence  enregistrée
le vendredi 27 novembre

Avec Philippe Vidal, Géographe,
Professeur des Universités, Le Havre

Retrouvez ici l’enregistrement vidéo de la conférence et des échanges:
https://bit.ly/27-11-enjeu-societal

Téléchargez :
le compte rendu,
Le diaporama support

de la conférence
 : L’enjeu sociétal
du 27 novembre 2020 – 14 h 30 

Animation : Philippe Thillay
Régie : Jean-Marc Delagneau et Gérard Grancher
Suivi des questions par le chat : Florence Aston
Prise de notes : Alain Ropers
Ouverture de la session et réglages par Jean-Marc Delagneau et Gérard Grancher. Conseils pour utiliser le chat. Florence Aston
26 participants connectés.

Propos d’accueil par Philippe Thillay. C’est notre troisième visioconférence, après les précédentes consacrées aux enjeux économiques et éthiques du numérique, nous nous intéressons aujourd’hui aux enjeux sociétaux.
Le numérique va être pour l’Europe une priorité pour les années à venir et intervient pour 20% dans le budget du plan de relance. Le numérique est présent partout et entraîne une transformation considérable de notre société.

Au Mouvement européen de Seine Maritime, nous ne sommes pas des spécialistes, mais notre rôle est de mettre en avant le fait que l’Union européenne prend conscience du phénomène, qu’elle est potentiellement à la hauteur des enjeux pour réussir cette transformation.
Philippe Vidal est professeur des universités au Havre, en géographie et en aménagement du territoire. Il a travaillé sur les conséquences du déploiement du numérique sur l’habitat, sur les politiques publiques et sur l’urbanisme.
Je le remercie de nous consacrer cet après-midi et je lui laisse la parole.

Philippe Vidal. Merci de votre accueil. Vous m’interrogez sur un sujet qui renvoie à la question sociétale. Je suis géographe, pas sociologue. Mais les géographes prennent forcément en compte ces sujets et je vous propose de vous parler des implications du numérique selon trois angles d’attaque.

  • Le numérique territorial et ses enjeux sociétaux
  • L’Europe à l’origine du numérique
  • Les orientations européennes pour le numérique

LE NUMÉRIQUE TERRITORIAL ET SES ENJEUX SOCIÉTAUX

Je suis professeur de géographie et j’analyse les modifications que le numérique engendre sur l’habitat ou sur la production de nouvelles territorialités, la relation à l’espace, à l’urbanité, aux mobilités. Mon travail sur l’aménagement du territoire me permet d’analyser les politiques publiques d’aménagement et de planification des territoires à l’heure du numérique. Et mes recherches sur l’urbanisme m’amènent à analyser la place du numérique dans l’organisation et la requalification des espaces urbains. En tant que chercheur depuis 1994, année de ma maîtrise, je m’intéresse à l’influence du numérique sur les processus contemporains de transformation des sociétés.

Quelles sont les raisons de l’inégale diffusion et appropriation du numérique au sein des territoires ?
Quelles dynamiques territoriales sont engendrées par le numérique ?
Le numérique donne-t-il, redonne-t-il, ou enlève-t-il de la valeur à l’espace ?
Pour moi, la notion de numérique mérite d’être précisée, et recouvre trois domaines bien distincts.

  • Les infrastructures de télécommunication et les équipements divers, ce qui suppose des questions de connectivité des territoires et d’accès des organisations et des particuliers aux réseaux informatiques.
  • Les contenus, services matérialisés, données en provenance de la sphère marchande, publique ou de la société civile.
  • L’usage, et les usagers, qui s’organisent parfois en communautés et utilisent le numérique et sa collection d’outils comme moyens de mieux gérer leur quotidienneté.

Pour que le numérique soit un opérateur très important de lien territorial, il faut que les trois éléments de ce triptyque fonctionnent ensemble.
Aujourd’hui, les conséquences sociétales du numérique se déclinent, à mon sens, suivant six enjeux principaux, concernant les habitants, la régulation publique, la justice spatiale, la justice sociale, la formation et la démocratie.

Enjeux pour les habitants

Quelle est la place de l’habitant dans les politiques publiques du numérique territorial, dans les offres privées urbano-numériques et au sein des smart-territoires ?
Habiter c’est vivre dans un espace qu’on s’approprie, le traverser, s’y mouvoir, en rester captif tout en étant en lien. Le numérique y joue le rôle de lien territorial. Citons pêle-mêle : le télétravail, les achats en ligne ou en drive, les rencontres, la gestion des mobilités, les relations à l’administration, le tourisme, etc.
Le rapport au monde est désormais un rapport aux services médiés par le numérique. C’est une technologie au service des besoins sociétaux, malgré des réticences de la part de certains publics au regard de risques supposés ou réels.

Enjeu de régulation publique

Pour la première fois les acteurs publics se trouvent en face d’évolutions non décidées par eux et non totalement maîtrisées. Ils ont perdu la main, c’est une situation dangereuse. Cette évolution, depuis 1993 a vu trois grandes périodes, que j’appellerai Web 1.0, Web 2.0, Web 3.0.
Web 1.0 concerne l’information. Création d’un gigantesque annuaire électronique mondial qui échappe au monopole des pouvoirs publics, mais ne remet pas en question son rôle dans la gestion des affaires territoriales. C’est en France l’époque du minitel.

Web 2.0 concerne les services. Le secteur privé et la société publique réinventent des services de gestion de la proximité. Cette innovation sociale échappe en grande partie à l’acteur public qui perd la maîtrise de ce qui se passe sur son territoire, et perd la fiscalité qui va avec. C’est l’apparition de Airbnb, Uber, Blablacar, etc.

Web 3.0 concerne les données. La remontée des données en direction des usagers capables de les traiter est une opportunité pour les acteurs publics de reprendre la main, pour gérer la proximité, non seulement en temps réel, mais aussi de façon prédictive. Ce sont les Smart-Cities, les territoires intelligents.

Enjeux de justice spatiale

L’Europe nourrit historiquement la construction d’une territorialité européenne sur la correction des disparités régionales. Or, le numérique peut être générateur de différenciation territoriale, de rupture d’égalité.
Il y a d’abord eu une première fracture territoriale entre les grandes villes, mieux équipées en infrastructure numérique, car plus rentables pour les opérateurs et le reste du territoire, avec un sentiment d’exclusion de la part des habitants des campagnes et des zones périphériques.

Cette fracture augmente encore avec les avancées novatrices des Smart-Cities, ces villes repensées ex nihilo qui élargissent fortement le spectre des équipements numériques, permettant ainsi aux élus des grandes métropoles de s’engager dans des politiques publiques et des dispositifs concrets marquant physiquement leur territoire.
C’est une tendance qui a à voir avec le sociétal plus qu’avec le technique et qui alimente le spectre du déclassement urbain et de la relégation. C’est une rupture d’égalité entre les villes.

Enjeux de justice sociale

Il s’agit de délaisser ou ne pas délaisser les habitants des territoires isolés. Un peu partout des services publics ferment et sont peu à peu remplacés par des services médiés par le numérique. On voit le même phénomène avec la télémédecine qui remplace petit à petit les anciens médecins de campagne qui sont partis.
Or, tout le monde n’est pas en capacité de se saisir de ces outils qui se déploient. Il faut permettre à ces habitants d’accéder quand même à ces services qui sont actuellement une alternative, et qui seront demain une obligation.
Tout le monde n’habite pas le même monde numérique, et à l’intérieur d’un même monde numérique les gens sont différents. Une partie de l’urbanité échappe à une partie de la population.

Enjeux de formation.

Au-delà des marginalités territoriales, une autre forme de marginalité s’installe à cause de la capacité inégale des gens à s’approprier cette culture numérique désormais globale et foisonnante. Par exemple, aujourd’hui, avec le confinement de la Covid, si je n’ai pas d’imprimante, je ne sors pas parce que je ne sais pas imprimer une attestation.
Pour l’instant, nous sommes dans un numérique encore assez rudimentaire, mais qui devient de plus en plus sophistiqué. D’où l’enjeu de formation aujourd’hui devenu indispensable.

Enjeu de démocratie et de gouvernance

Les municipalités développent des plateformes pour fluidifier les relations entre les citoyens et les élus, plateformes sur lesquelles les citoyens peuvent intervenir, donner leur avis, etc. Dans les services de proximité nous trouvons encore peu d’outils destinés à l’auto-organisation des citoyens et à leurs capacités d’interpellation politique. Mais il y a de nombreux outils au service de la gouvernance contributive pour développer la « participation ».

Réponses à quelques questions posées sur le chat

Florence Aston transmet une remarque de Michel Le Stum, selon lequel le minitel créait une sorte de « protolien » territorial en permettant l’accès à tous, avec le même débit, de façon égalitaire. Et Florence Aston complète la question : l’État a-t-il les moyens d’obliger les opérateurs majoritaires à couvrir toutes les communes, qu’elles soient rentables ou pas ?

Philippe Vidal. L’État s’est doté de ces moyens mais très récemment. Pendant très longtemps, l’État voulait que cette couverture soit totale dès le départ. C’étaient ce qu’on a appelé les autoroutes de l’information en 1994 sous Balladur, qui prévoyait que pour 2015 l’ensemble du territoire national soit couvert. En 2004 on a essayé les PPP (partenariats public-privé) et les RIC (Réseau d’Initiative Publique). Aujourd’hui, c’est le « new deal mobile », autour de la 4G et de la 5G, qui dote l’État de moyens réglementaires pour accorder aux opérateurs des droits en contrepartie de certaines obligations.

Florence Aston. Une observation de Philippe Penot. Obligation de couverture, c’est bien mais la faire appliquer c’est autre chose.

Philippe Vidal.  La fracture numérique c’est un puits sans fond. La 5G ne va pas apparaître, y compris dans les espaces ruraux, de façon miraculeuse.

Philippe Thillay. J’ai passé ces jours-ci un peu de temps à la campagne près d’Yvetot, et j’ai retrouvé les souvenirs de l’internet des origines.

Florence AstonGérard Grancher s’inquiète : la formation dans la domaine du numérique est essentielle, les besoins évoluent très rapidement, mais en France il n’existe pas de tradition de formations continue et permanente. N’est-ce pas un handicap pour notre pays ?

Philippe Vidal.  C’est un axe fort de la politique européenne pour 2021-2027 qui va tenter de répondre à cette difficulté. Il faut aussi souligner le rôle majeur des EPN (Espaces Publics Numériques), financés en partie par l’État, et qui ont fortement contribué dès 1999 à acculturer les populations et à réduire ces inégalités, même si ce n’est bien sûr pas encore suffisant.

Philippe Penot. Se pose aussi la question des générations. On sait que ce sont les plus anciens qui ont le plus de mal avec le numérique. Mais chez les jeunes, est-ce qu’on retrouve cette fracture numérique ?

Philippe Vidal.  C’est la question centrale de la fracture numérique, même si pour moi ce mot est un peu fort. Dans l’esprit des pouvoirs publics, il s’agit surtout de problèmes d’infrastructure. En réalité, ce sont des usages très différenciés. Manuel Castells auteur de « La société en réseaux » paru en 2003, disait qu’il connaissait la solution : il suffit d’attendre trente ans. Les anciennes générations allaient disparaître, et les nouvelles générations, baignées dans le numérique allaient s’en tirer. Mais aujourd’hui, en 2020, on voit que ce n’est pas une question d’attente. Plus on est jeune, moins l’apprentissage du numérique est quelque chose de pensé, mais plutôt spontané et passif. Ce qui fait qu’on n’apprend rien sinon à être dépendant des outils. En fait, il faut former toutes les cohortes, pas seulement les plus âgés, de façon à dominer l’outil et non être dominé par l’outil.

 Bertrand Legendre. Tout dépend ce qu’on entend par le mot « numérique » qui représente en même temps des choses différentes et des pratiques très éloignées les unes des autres. Pour beaucoup de jeunes, le numérique se résume à tweeter, consulter un groupe d’amis sur Facebook, etc. pour eux, ce n’est pas forcément un outil de travail structuré, comme un carnet d’adresse, ou une liste de liens web utilisés comme une bibliothèque, etc.

Philippe Thillay. C’est le même type d’inactivité que face à la lecture et à l’écriture, il faut apprendre. Si on n’apprend pas le numérique, ce sera pareil.
Mais il est temps de passer au deuxième volet de notre conférence.

L’EUROPE À L’ORIGINE DU NUMÉRIQUE

Philippe Thillay. L’Union européenne souhaite réduire la fracture entre les différents territoires, faire se rapprocher les citoyens, travailler sur les ruptures d’égalité, etc. Comment l’Europe s’empare-t-elle de ces questions numériques ?

Philippe Vidal (Après avoir répondu à une observation de Michel Le Stum sur le chat, au sujet de Castells et de son livre « la société en réseaux »).
L’Europe et le numérique c’est une vieille histoire presqu’aussi vieille que celle des USA et du numérique. Toutes les générations de politiques européennes ont fait face à la même triple problématique.

  • Donner l’impulsion, c’est-à-dire créer les conditions du marché unifié pour les infrastructures, les innovations, etc.
  • Réguler le marché, pour la protection des citoyens et des consommateurs européens.
  • Maintenir solidarité et équilibre dans le développement solidaire de l’espace européen.

Une difficulté, c’est que le numérique est un objet spécifique et transversal, intégré dans toutes les politiques sectorielles. Les programmes pour une Europe numérique complètent et accompagnent les autres programmes mis en place par l’Union européenne.
De plus la politique européenne est influencée par celle des USA, la « National Information Infrastructure » rédigée en 1993. La réponse européenne est donnée par le livre blanc du rapport Bangemann en 1994 « Growth, competitiveness and employment. Report on Europe and the global information society » qui décrivait la façon dont les TIC (Technologies de l’information) bouleversent le fonctionnement de nos sociétés.
Les politiques européennes sur le numériques se sont déroulées en trois temps :

Temps 1. Le temps du projet de société (1994-1999)

L’Europe a eu un rôle majeur dans le déploiement du numérique elle est partie avant les états, en publiant des livres blancs définissant les axes à développer, en tenant compte des enjeux sociétaux, administratifs, et économiques. Considérant que les villes de moins de 20 000 habitants représentaient des lieux d’observations privilégiés, l’Europe a associé quatre villes européennes, les « digital towns », chacune formant un consortium d’industriels, de chercheurs en sciences sociales, d’élus et de techniciens de la collectivité. Il s’agit de Parthenay (Poitou Charentes), Torgau (Allemagne), Arnedo (Espagne) et Weinstadt (Allemagne). Dans ces villes on a expérimenté de l’innovation sociale, par exemple avec l’analyse des besoins des utilisateurs, puis une logique de démonstration avec la mise en place d’applications concrètes, comme l’ouverture d’un cybermarché, etc. Ce sont les projets ERISA ou SERISE en français (Stratégie Européenne et Régionale pour l’Information dans la Société de l’Économie).

Temps 2. Le temps de l’ambition globale (1999-2005)

Le traité de Lisbonne développe des objectifs ambitieux au plus fort de la bulle internet, mais les résultats sont estimés décevants notamment en matière de dynamiques économiques. Aussi, un deuxième plan, appelé i2010 a sacrifié un peu les aspects sociaux et environnementaux pourtant essentiels dans le traité de Lisbonne, pour se recentrer sur les perspectives économiques.

Temps 3. Le temps de l’économie (2005-2020)

Ce plan i2010, qui vise la période 2005-2010 est complété par un plan Europe 2010, visant la période 2010-2020. L’Union européenne continue ses efforts en matière d’infrastructures de télécommunication, renforce ses outils de recherche et développement, et bâtit une stratégie pour un marché unique numérique. C’est le projet ELBA (European Location Based Advertising) et la « Gigabit Society » ou le gigabit pour tous. Pour tous les pôles d’activité (écoles, plateformes de transport, administrations, entreprises, etc.), toutes les zones urbaines qui doivent disposer d’une couverture 5G, et tous les foyers européens qui doivent bénéficier d’une connexion d’au moins 100 Mb/s.

Philippe Thillay. Ce qui nous amène à aujourd’hui. Nous abordons donc la troisième partie de la conférence : les orientations européennes pour le numérique.

LES ORIENTATIONS EUROPÉENNES POUR LE NUMÉRIQUE

Philippe Vidal. Il est important de faire le bilan de l’existant. Je vous montre des cartes de l’Europe montrant les développements numériques différents selon chaque pays, sur le plan de la connectivité, du capital humain (la littératie numérique), des usages, de l’équipement des entreprises, de la numérisation des services publics ; et enfin, une carte représentant la moyenne européenne de tout ça. Ces images sont un résumé, elles permettent d’avoir une vue globale, mais c’est bien sûr au détriment d’une certaine finesse d’analyse.

Sur toutes ces cartes, on voit que les pays scandinaves sont en avance, que les pays de l’est et du sud sont un peu à la traîne, et que la France se trouve faire partie d’un groupe nombreux de pays entre ces deux extrêmes. Pour la France, il convient de préciser qu’il y a de gros contrastes entre certaines zone qui sont très en avance et d’autres très en retard.
Les grandes orientations de l’Europe portent principalement sur les points suivants.

  • Des efforts importants sur la régulation (marchés, data, etc.)
  • Des dispositifs de plus en plus nombreux pour favoriser l’économie numérique et la recherche et développement.
  • Une considération de plus en plus forte pour les métropoles, notamment autour du référentiel de Smart-City.

Ces orientations se déclinent sur les six enjeux dont nous avons parlé plus haut, et pour lesquels on essaie d’améliorer les choses grâce au numérique.

  • Pour l’enjeu habitants, ce sont les Smart-Cities pour les habitants les plus impliqués.
  • Pour l’enjeu de régulation publique, il s’agit d’harmoniser les régulations nationales et de renforcer la cyber-sécurité (data).
  • En ce qui concerne l’enjeu de justice spatiale, de gros efforts sont faits autour du Gigabit pour tous.
  • Pour l’enjeu de justice sociale, il y a, entre autres, le développement de la télémédecine (EU4Health).
  • En ce qui concerne l’enjeu formation et d’éducation numérique, on développe la formation informatique de travailleurs, à tous les niveaux de compétence.
  • Enfin, pour les enjeux de démocratie et de gouvernance, il s’agit de renforcer les droits des usagers et protéger leurs données.

Ces éléments ne constituent bien entendu pas une liste exhaustive. Ils sont donnés à titre d’exemple et d’illustration.
Pour finir la présentation, je dirais que l’Europe et les citoyens européens sont à la croisée des chemins. Quatre scénarios sont possibles. Deux sont à éviter, à mon sens, et deux sont davantage porteurs d’espoir.

Les scénarios éviter :

  • Aller vers un modèle dérégulé permettant aux plateformes de gagner au détriment des États et des citoyens.
  • Aller vers le modèle chinois, imposant de façon autoritaire un développement au prix de la restriction des libertés et des droits de l’homme.

Les scénarios à promouvoir :

  • Favoriser un modèle humaniste plaçant l’humain au centre de l’innovation et prônant une société ouverte, démocratique et durable.
  • Maintenir et développer le modèle social européen traditionnel, agir avec prudence, ce qui est plus sécurisant, mais limite un peu le potentiel d’innovation.

L’avenir dépend des européens eux-mêmes, que ce soit dans le secteur public que dans le secteur privé. 

Réponses à quelques questions posées sur le chat :

Gérard Grancher. Pourquoi les pays scandinaves réussissent-ils mieux ?

Philippe Vidal. Je ne peux donner qu’une réponse partielle. Mais on constate que l’Estonie est très en avance. C’est là qu’on a inventé Skype, et qu’on a mis en place un système gouvernemental totalement dématérialisé. Il y a dans ce pays une culture de l’acceptation de la prise de risque.

Michel Le Stum. L’Estonie s’est aussi appuyée sur les mathématiciens russes qui ne sont pas les plus mauvais. De plus, ce pays est à l’échelle d’un département français, sa capitale est plus petite que Rouen. Ils ont pris le problème de façon pragmatique pour prendre le moins de risques possibles, avec des outils simples. Leur réseau a été créé à partir d’ordinateurs de table, et tout cela a fait l’objet d’une campagne d’acceptation de la population. Ils ont repris les infrastructures russes, ils ont construit quelque chose de cohérent avec du petit matériel, et ils ont été ensuite aidés par les Américains et par l’Europe.

Sophie Boucher. Je confirme, pour avoir fait le même voyage d’études que Michel Le Stum. Il faut dire aussi que l’Estonie c’était la base des services secrets de URSS. Ils ont cultivé ce savoir-faire, et l’ont reparti entre les citoyens à qui l’État a distribué le matériel nécessaire. Maintenant, tout est numérisé. Sur ce plan, il n’y a pas de fracture sociale.

Philippe Vidal.  Je vous remercie pour vos apports, notamment sur la question des échelles non comparables entre nos deux pays, et il n’est pas sûr que le système estonien puisse être approprié en France.

CONCLUSIONS

 Synthèse par Alain Ropers. Vous nous avez fait voyager dans le temps et dans l’espace en nous montrant les étapes du développement numérique dans les différents territoires européens.
Vous nous avez fait prendre conscience des six enjeux fondamentaux prenant en compte les habitants, la régulation publique, la justice spatiale et sociale, la nécessité de la formation et les aspects de la démocratie et de la gouvernance.
Vous nous avez ensuite raconté la genèse du numérique aux USA et en Europe, et montré, par des cartes très explicites le point sur la situation actuelle du numérique en Europe. Enfin, vous nous avez montré les orientations européennes en la matière, aussi bien les scénarios à éviter que les scénarios à promouvoir. Merci pour votre éclairage.

Conclusion de Philippe Thillay. Merci à tous d’avoir été attentifs et merci à Philippe Vidal. Merci à la partie technique Jean-Marc, Gérard, Florence et Alain.

Notre troisième visioconférence sur l’enjeu social et sociétal de la transition numérique est maintenant terminée. La prochaine, le 3 décembre à 17 h 30, traitera de géopolitique et notamment de la souveraineté du numérique, avec Gilles Babinet, Président du Conseil National du Numérique, une instance de conseil du Gouvernement, et « Digital Champion » ou « Spin Doctor » représentant la France auprès de la Commission Européenne. Nous vous y attendons nombreux.